Quelle réforme de la réforme des retraites? edit

10 septembre 2024

Il y a deux manières péremptoires de clore le débat politique avant de l’avoir amorcé : TINA, et le politique d’abord, comme l’illustre le débat sur les retraites. Pour les tenants du primat du politique, rien ne peut limiter l’action d’un nouveau gouvernement en matière de réforme économique et sociale, et certainement pas la contrainte financière : il en va de la démocratie. À l’inverse, pour les tenants de l’orthodoxie économique, there is no alternative : il est illusoire de distribuer des avantages sociaux non financés surtout en situation de stress financier quand les spreads de taux restent élevés et que la France est sous surveillance financière à Bruxelles.

Un tel échange manque pourtant l’essentiel : on ne gouverne jamais dans l’éther des principes et toute réforme même récemment votée peut nécessiter des adaptations voire des réorientations.

Trois volets et une contrainte

De plus en l’espèce il y avait trois volets dans la réforme des retraites, et on ne sait pas encore aujourd’hui ce que les réformateurs souhaitent garder ou révoquer. Premier volet, la mesure d’âge, avec le passage à 64 ans ; revenir sur cette mesure se traduirait par une aggravation du déficit prévisible. Deuxième volet, les mesures sociales prévues pour les carrières longues, l’emploi féminin ou le minimum contributif qui sont un coût dans l’ancienne réforme. Troisième volet, l’amélioration du taux d’emploi et son effet sur la croissance qui devait résulter mécaniquement de l’allongement de la durée d’activité.

Ni le NFP quand il espérait encore obtenir Matignon, ni Michel Barnier qui a laissé entendre qu’il reviendrait sur certains aspects de la réforme, n’ont annoncé le détail de leurs propositions ; on en est donc réduit aux conjectures

S’agissant de la mesure d’âge, l’abandon des 64 ans aurait un coût budgétaire notablement accru par rapport aux prévisions initiales depuis que le COR nous a indiqué que la situation était encore plus dégradée que prévu au moment de la réforme. Aux 10 milliards que permettait d’économiser la réforme, il faudrait ajouter 9 milliards de sous-estimation du déficit initial, dus en partie aux indexations automatiques dans un contexte d’inflation. D’après l’Institut Montaigne qui s’était livré à l’exercice à partir des propositions du RN, ce serait davantage. Le retour à un âge légal de départ à 62 ans, voire 60 ans pour ceux qui ont commencé à travailler avant 18 ans (avec 160 trimestres cotisés) ou 61,5 ans pour ceux qui ont débuté à 21 ans (avec 163 trimestres) représenterait une mesure explosive, chiffrée en 2022 à 26,5 milliards d'euros.

S’agissant des mesures d’accompagnement social, on peut difficilement imaginer qu’elles soient retirées, ayant été présentées à l’époque comme des mesures de justice sociale pour des catégories malmenées par l’ancien régime de retraites. On peut donc penser que les coûts budgétés seraient maintenus.

Enfin la moindre croissance est inévitable dès lors qu’on renonce à l’allongement de la durée d’activité. Ainsi l’addition de coûts supplémentaires et de moindres recettes se traduirait par une envolée du déficit.

Au total, toute réforme se heurtera à un équilibre financier déjà mis à rude épreuve comme en témoignent les déficits et les dettes accumulées.

Est-il besoin d’ajouter que les mesures fiscales envisagés comme le rétablissement de l’ancien ISF, l’exit tax ou l’impôt exceptionnel et temporaire, assis sur le patrimoine financier des 10% de ménages les plus aisés, proposé par Jean Pisani-Ferry, ne sont pas à la hauteur des besoins financiers ; la contribution exceptionnelle proposée par Jean Pisani-Ferry, de surcroît, a pour enjeu de financer la transition écologique, et non le modèle social. Quelles solutions alors pour un éventuel gouvernement réformateur ?

Arbitrages

Une réponse immédiate, compte tenu de la contrainte budgétaire, serait en fait ce que propose la CFDT : il ne s’agirait pas tant de l’abrogation de la loi que d’une suspension de ses effets immédiats, avant reconsidération de l’ensemble de la réforme par une éventuelle commission impliquant parlementaires et partenaires sociaux.

Mais suspension ou pas, on en revient à un arbitrage sur les trois paramètres bien connus : alourdir la cotisation des actifs, baisser dans le temps le niveau des prestations, allonger la durée d’activité pour une retraite à taux plein.

Chacun de ces choix a son avantage budgétaire et son coût politique. Sous l’apparence de réglages techniques, ces aspects paramétriques peuvent en outre avoir un impact plus structurel. La mobilisation d’un seul de ces trois outils sur la durée conduirait en fait à une refonte des retraites et de leur place dans notre système de protection sociale.

Au-delà des arbitrages délicats d’une réforme paramétrique, trois pistes s’ouvriront aux réformateurs de demain sous une double contrainte démographique et de protection des salariés.

Une retraite à la carte, dans l’esprit de la réforme inaboutie de 2019, permettrait de satisfaire l’aspiration des Français à mieux maîtriser leur temps d’activité sans nécessairement remettre en cause les équilibres financiers fondamentaux.

Une solidarité plus marquée envers les plus démunis pourrait s’imposer si le niveau des retraites contributives venait à stagner voire à diminuer. Serait-elle le fait de la solidarité nationale, en étant financée par l’impôt, ou pèserait-elle sur le système de retraite par répartition ?

Enfin, le système de répartition sur lequel tous les regards se braquent est en réalité complété depuis longtemps d’une couche de capitalisation, avec les PER. Cette couche est-elle appelée à se développer, un jeu de différences sociales se récréant hors d’un système par répartition de plus en plus redistributif ?

En attendant, les discussions et les décisions seront encadrées par un jeu de contraintes liées les unes aux autres, qui permettent d’esquisser une autre version de la réforme.

Retour à 2019?

La première tient aux priorités et aux marges de manœuvre financières (même pour un éventuel gouvernement de gauche), soit au sein du système social, soit dans le cadre plus large du budget général, c’est-à-dire de la solidarité nationale financée par l’impôt.

Compte tenu des besoins financiers pour l’école, la santé, et le niveau déjà élevé des retraites dans le budget social, il est peu probable que celles-ci puissent constituer une priorité et qu’on accroisse par exemple les cotisations salariales pour pérenniser ou améliorer l’actuel système des retraites. La réforme à venir devra se faire à coût constant faute de quoi Bruxelles et les marchés se déchaîneraient.

Le deuxième tient à l’aspiration des Français au temps choisi ; partir au seuil de déclenchement des droits avec une retraite prévisible compte tenu du temps de cotisation est un choix qui peut être plébiscité. Les Français disent regretter l’absence de cette dimension majeure du projet de réforme abandonné en 2019.

Enfin le spectre de la pauvreté des plus âgés continuant à planer sur la question des retraites, nul ne voudra prendre le risque d’un gel durable des prestations, même si certains avantages fiscaux peuvent être revus notamment pour les détenteurs des pensions les plus élevées.

Tout cela dessine le paysage d’un retour à la réforme Macron 1 avec le consentement des macronistes qui renoncent à défendre la réforme actuellement à l’œuvre.

Le gel des 64 ans n’est plus tabou, c’est le prix à payer pour embraquer la CFDT.

Le maintien du minimum contributif et des mesures d’âge est acquis, on ne revient pas sur l’amélioration des petites retraites.

La retraite à la carte avec un régime à points ferait son grand retour. On renouerait ainsi avec l’esprit réformateur du premier mandat d’Emmanuel Macron.

Reste la question qui est à l’origine de la réforme, celle des équilibres financiers de court moyen et long terme. Sans solution crédible de financement, le retour de bâton des marchés est inévitable et les équilibres savamment négociés seront sévèrement testés.