La France, l’Europe et la PAC edit
La France a profité de sa présidence de l’Union Européenne pour relancer le débat sur une réforme à long terme de la Politique agricole commune : quels devraient être les objectifs après 2013, et quels seraient les instruments politiques adéquats ? Cette initiative est louable. Les déclarations du gouvernement français orientent cependant le débat dans le mauvais sens.
Michel Barnier, le ministre français de l’Agriculture, a souligné le besoin de maintenir les mesures « couplées » à la production agricole. Elles se composent, d’une part, des subventions que les agriculteurs reçoivent d’après le niveau de leurs récoltes ou la surface de leurs terres cultivées. D’autre part, l’Union Européenne intervient pour relever les prix sur le marché : des subventions à l’exportation réduisent l’offre sur le marché européen et des douanes découragent les importations. Selon les dires de Michel Barnier, le soutien public à la production est nécessaire afin d’assurer la sécurité alimentaire en Europe et dans le monde. La flambée des prix de plusieurs denrées de base depuis 2007, provoquant des manifestations violentes et des restrictions à l’exportation dans différents pays en voie de développement, a encouragé ce raisonnement.
L’Union Européenne n’a pourtant guère besoin de telles mesures pour garantir sa sécurité alimentaire.
Au cours des dernières années, elle a su maintenir un équilibre entre ses exportations et ses importations en produits agricoles. Même sans les aides couplées, sa production resterait suffisante pour nourrir la population. En cas de mauvaises récoltes, l’Union Européenne pourrait s’approvisionner sur les marchés mondiaux. Et si cela devenait impossible, elle pourrait toujours étendre ses surfaces cultivées, intensifier ses méthodes de production et donner la priorité aux denrées de base. En somme, la sécurité alimentaire en Europe n’est pas sérieusement menacée. Le seul véritable danger est une interruption catastrophique de la production induite, par exemple, par une maladie des plantes. Un moyen de prévention serait alors d’adapter la production pour la rendre plus résistante aux crises, notamment en préservant la biodiversité de l’agriculture. Un moyen complémentaire serait de renforcer les plans d’action prévus en cas de pénurie et de stocker de la nourriture. Les mesures couplées incitent, au contraire, à une monoculture vulnérable aux maladies et dépendante de ressources telles que les semences et l’énergie.
L’autre raison évoquée pour maintenir des mesures couplées, la lutte contre la faim dans le monde, est ancrée dans une perspective à court terme. Certes, une augmentation de la production européenne contribue à la baisse des prix sur le marché mondial. Dans les pays en voie de développement, les plus démunis en tirent un avantage immédiat étant donné qu’ils achètent plus de nourriture qu’ils n’en vendent. Mais à long terme, une production européenne moins importante relevant les prix sur les marchés mondiaux est préférable.
Elle stimulerait en effet la production agricole dans les pays en voie de développement, augmenterait la demande en main d’œuvre peu qualifiée et revaloriserait les salaires. Par conséquent, les mesures couplées aggravent la faim dans le monde. L’aide au développement – en améliorant les technologies agricoles et en renforçant la sécurité sociale – est la meilleure solution pour augmenter le pouvoir d’achat des plus pauvres.
La sécurité alimentaire en Europe et dans le monde ne justifie donc pas l’emploi des mesures couplées.
Celles-ci devraient être abolies compte tenu des graves désavantages qu’elles présentent. Premièrement, elles corrompent la production. Les agriculteurs investissent dans les secteurs les plus protégés au lieu de préférer ceux qui sont les plus compétitifs. Deuxièmement, les agriculteurs ne bénéficient que d’une partie du soutien des contribuables et des consommateurs. La stimulation de la production augmente la demande pour les facteurs de production tels que la terre, les semences, les engrais, les machines etc. Les gagnants sont les propriétaires terriens et les industries en amont, et non pas les plus dépourvus : les ouvriers agricoles et les petits paysans qui doivent louer leurs terres.
Troisièmement, la distribution aux agriculteurs est paradoxale. Plus un agriculteur produit, moins il a généralement besoin d’un soutien public mais plus il en profite. Enfin, les mesures haussant les prix des denrées alimentaires en Europe – principalement les droits de douane sur l’importation – nuisent aux consommateurs. Selon les données de l’OCDE pour l’année 2007, la politique agricole européenne a relevé ces prix de 13% en moyenne, impliquant un transfert de 37 milliards d’euros des consommateurs aux producteurs. Les ménages à bas revenus sont particulièrement affectés car leurs dépenses alimentaires constituent une partie disproportionnelle de leur salaire.
Il n’est pas dans l’intérêt de la France de défendre une politique obsolète. Il serait plus approprié d’engager une transition des mesures couplées vers des subventions ciblées qui prennent en compte les besoins individuels des agriculteurs et les services que ceux-ci rendent à la société. L’agriculture peut en effet augmenter la valeur culturelle, esthétique et écologique du paysage. Mais les agriculteurs ne sont pas suffisamment récompensés sur le marché quand ils maintiennent des haies et des murs en pierre ou quand ils minimisent l’emploi d’engrais et de pesticides. Voici le vrai défi que les gouvernements devraient se lancer pour l’avenir.
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