UE : la question agricole revient au galop edit
L’Union européenne vient enfin de boucler la ratification du Traité de Lisbonne et la formation de la nouvelle Commission Barroso. Mais le répit sera de courte durée. Car très vite vont se profiler les négociations pour le prochain budget cadre de l’UE, qui orientera les dépenses à partir de 2013. L’aspect le plus contentieux de ces négociations sera l’avenir de la politique agricole commune (PAC) qui absorbe plus de 40% des fonds européens. Pour faciliter ce débat – et surtout pour faire prévaloir la recherche de solutions efficaces sur la défense des subsides existants – un groupe d’éminents économistes agricoles a publié une déclaration en faveur d’« Une politique agricole commune pour les biens publics européens ».
Le texte complet est disponible ici. En voici l'essentiel.
Depuis 1992, les mécanismes de soutien des prix ont été progressivement transformés en paiements directs découplés en faveur des agriculteurs (les Paiements Uniques). Cela a atténué les effets secondaires négatifs de la PAC. Le temps est venu de repenser la PAC afin de renforcer ses effets positifs. La PAC ne sera légitime aux yeux de nos concitoyens – et viable à long terme – que si elle contribue efficacement à promouvoir les intérêts de la société. L’UE devrait seulement être impliquée dans le financement et la régulation du secteur dans la mesure où cela sert des objectifs plus larges, et notamment lorsque les effets des politiques agricoles se font ressentir au delà des frontières nationales. Autrement, les politiques devraient refléter le principe de subsidiarité. Les politiques sociales et de redistribution doivent être laissées aux autorités nationales et subnationales qui sont plus aptes à refléter les préférences locales en faisant preuve d’une responsabilité financière. Une concurrence loyale sur le marché intérieur peut être obtenue à travers un contrôle exercé par l’UE, sans pour autant nécessiter un financement important de sa part.
Nous sommes d’accord sur le fait que l’Europe a besoin d’une politique agricole, mais il en faut une qui porte sur les domaines où une action européenne engendre les plus grands bénéfices. La PAC n’est pas la politique appropriée pour rendre l’agriculture plus efficace, changer la distribution des revenus dans l’UE et à l’étranger, promouvoir la sécurité alimentaire mondiale, ou encourager le développement rural. Le rôle futur de la PAC devrait être de fournir aux agriculteurs les incitations pour qu’ils produisent les biens publics européens exigés par la société, notamment dans le domaine de l’environnement. Ceci inclut la lutte contre le changement climatique, la protection de la biodiversité et la gestion de l’eau (en évitant la pollution, la rareté et les inondations).
Une PAC conforme avec cet objectif serait fondamentalement différente de la PAC actuelle. Le premier pilier serait progressivement supprimé. Initialement destinée à dédommager les agriculteurs pour une réduction dans les prix de soutien, le principal instrument du premier pilier – le Paiement Unique – ne favorise pas les intérêts de la société. Il devrait être progressivement abandonné, et de nouveaux dispositifs – basés sur des comportements futurs et non sur des comportements passés – devraient être conçus. Les politiques du deuxième pilier devraient être soigneusement réévaluées. Seules les politiques qui encouragent la production de véritables biens publics européens et qui ciblent efficacement leurs objectifs, tout en évitant les paiements excessifs, devraient être conservées.
La déclaration a été présentée à Bruxelles devant une audience de 150 personnes. Paolo De Castro, Président de la Commission de l’agriculture et du développement rural du Parlement Européen, a soutenu le ciblage des subventions sur les biens publics, tout en soulignant les dangers d’une re-nationalisation qui pourrait fausser le marché commun. Par contre, la Direction générale de l’agriculture et du développement rural a rejeté l’essentiel de la déclaration. Tassos Haniotis, Directeur des analyses économiques, perspectives et évaluation, a affirmé que le premier pilier de la PAC, et notamment le Payement Unique, restait nécessaire. Selon M. Haniotis, ces payements promeuvent l’agriculture durable grâce à la stabilisation des revenus des agriculteurs et au système de l’éco-conditionnalité.
Il reste à voir comment ces deux institutions européennes se positionneront dans les mois à venir. Dacian Ciolos prend le relais de Mariann Fischer Boel comme Commissaire pour l’agriculture. Et le Parlement préparera un rapport sur la réforme de la PAC au courant de la première moitié de l’année 2010. Ceci révèlera le rapport des forces au sein du nouveau Parlement. Les parlementaires proches des milieux paysans sont en majorité dans la Commission parlementaire de l’agriculture – et se montrent souvent moins ouverts d’esprit que Paolo De Castro, professeur titulaire d’économie. La plupart des autres membres du Parlement verraient leurs intérêts principaux – tels que la protection de l’environnement, la lutte contre la pauvreté, les investissements dans l’infrastructure et la recherche – servis par une PAC moins coûteuse et plus ciblée. Pourtant, ils s’impliquent peu dans une matière jugée trop compliquée et risquée.
On s’attend à un développement très dynamique du débat. La déclaration des économistes agricoles aura un rôle important dans les discussions auprès de la Commission, du Parlement et des autres parties prenantes – et fournira un point de référence pour évaluer les positions respectives. La déclaration ainsi que tous les discours donnés lors de sa présentation à Bruxelles sont disponibles sur www.reformthecap.eu, un site dédié aux informations utiles à la réforme de la PAC.
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