CPE : un regard italien edit
La flexibilité du marché du travail est en France comme en Italie au centre des débats politiques. Le CPE du gouvernement Villepin a suscité des manifestations étudiantes comme on n'en avait pas vu depuis 1968. Dans l'arène politique italienne, le thème s'impose aussi comme l'un des plus marquants à la veille des élections générales prévues début avril. Cette semaine marque aussi le quatrième anniversaire de l'assassinat de Marco Biagi, un universitaire tué par les terroristes pour ses idées et ses essais de réforme du marché du travail italien.
La situation en Italie et France a beaucoup de traits en commun. Au sein de l'OCDE, les deux pays sont historiquement caractérisés par deux des législations les plus strictes sur ce sujet. Les salariés embauchés en CDI sont très difficiles à licencier et ils jouissent en général d'une sécurité d'emploi à vie. Pendant les dix dernières années, les deux pays ont connu une série de réformes marginales du marché du travail, qui n'ont pas changé les règles des CDI, mais ont assoupli celles des autres contrats, créant ainsi une grande variété de contrats flexibles, permettant aux entreprises d'embaucher de nouveaux salariés sur une base temporaire. Résultat, la part de salariés embauchés avec des contrats flexibles s'est progressivement élevée, jusqu'à atteindre presque 13% en Italie et 10% en France.
Les nouveaux contrats proposés par le Premier ministre français sont dans la même veine. Le Contrat première embauche, en particulier, est la réforme marginale par excellence, puisqu'il permettrait aux entreprises d'embaucher et de débaucher librement de jeunes salariés sans toucher à leur stock de CDI. Les étudiants manifestant à Paris se sont décrits comme la génération Kleenex, puisqu'ils ont l'impression de n'avoir aucune garantie de leurs perspectives d'emploi à moyen terme après l'expiration du contrat proposé. Ils ont un argument de poids : en France, 50% des nouvelles embauches se font déjà sur la base de contrats flexibles. En Italie, le dernier communiqué économique de la Banque nationale précise que presque 80% des jeunes salariés sont embauchés en CDD, avec un taux de conversion en CDI d'à peine 10% par an, ce qui atteste le haut risque de ségrégation auquel ils sont exposés. Certains partis de ce qui pourrait devenir la future coalition gouvernementale réclament l'inversion de cette flexibilité, malgré les bonnes performance du marché du travail italien depuis 10 ans.
A nos yeux, la discussion prend dans les deux pays une direction aussi mauvaise que dangereuse. Vu qu'elle prend la forme d'un conflit de générations entre les pères protégés les fils outsiders, il y a peu de chances que les réformes nécessaires du marché du travail soient jamais présentées dans les deux pays sans susciter une coalition de jeunes salariés et de salariés syndiqués.
Puisque certaines des inquiétudes des jeunes sont raisonnables, nous croyons que les politiques font des erreurs dans les deux pays. Un plan de réforme à long terme raisonnable et crédible devrait offrir de vraies perspectives aux jeunes actifs. Actuellement, il n'y a aucune perspective à long terme après l'expiration d'un contrat temporaire. Le CPE proposé par le gouvernement français s'interrompt brutalement après deux ans et les entreprises rechigneront probablement à convertir des contrats complètement flexibles en positions complètement rigides. Le résultat probable est que la plupart des contrats aboutiront à la case chômage après deux ans, pour la simple raison que le coût d'une conversion en CDI sera trop élevé.
Une politique plus raisonnable devrait viser à promouvoir une entrée dans le marché du travail en plusieurs étapes, en introduisant graduellement la protection d'emploi et en évitant la formation à long terme d'un marché dual. Les indemnités de licenciement devraient augmenter progressivement, semaine par semaine, de façon à ce que les entreprises n'aient pas à opérer leurs choix en fonction d'effets de seuil. En pratique, la mise en œuvre d'une telle période de consolidation devrait s'appuyer sur la législation et les contrats qui existent déjà. En Italie, par exemple, nous envisageons une période d'essai de six mois, suivie par un "engagement" pouvant aller jusqu'à trois ans, au cours duquel les salariés seraient couverts contre le risque de licenciement par des indemnités passant progressivement de deux à six mois de salaire ; le CDI suivrait donc, en douceur. Nous proposons aussi de réduire la durée maximum des CDD italiens à deux ans, afin de n'y avoir recours que pour des missions vraiment temporaires. Les jeunes actifs accepteraient probablement cette idée de période de consolidation ; les syndicats l'appécieraient sans doute moins, mais s'ils s'y opposaient, il serait clair pour tous que ce serait pour protéger les insiders contre les aspirations des jeunes générations.
Ce texte a été a été repris par le journal Le Temps (Genève); il a aussi été en italien sur www.lavoce.info
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