Une réforme globalement positive edit
Même si l’on ne se dirige pas vers une pleine flexibilité, l’accord signé par les partenaires sociaux exploite les marges d'amélioration existantes pour réduire le coût du travail hors salaire — en particulier, ce que doivent payer les entreprises quand elles décident de se séparer d’un salarié — tout en préservant la protection des travailleurs entre deux contrats. Nous allons vers un modèle de relations de travail qui n'est pas parfait, mais constitue une nette amélioration par rapport à la situation actuelle. Cependant, on n’a pas assez tenu compte du risque de voir entreprises et salariés adopter des comportements opportunistes par rapport à l’assurance chômage.
Le paradigme qui se profile derrière l'accord est le modèle danois de « flexicurity », dont le principe est de protéger les travailleurs dans le marché du travail, et non dans le poste qu’ils occupent. Le côté positif est que les entreprises bénéficient de plus de flexibilité, mais il y a aussi un effet secondaire négatif qui est une légère augmentation de l’incitation à rester au chômage. La doctrine de la flexibilité dit que cela peut être corrigé grâce à des politiques d’activation du marché du travail. Reste à savoir si ces politiques peuvent être mises en œuvre en France.
1. Les entreprises auront plus de flexibilité pour réduire le volume de leur main-d'œuvre
Dans le modèle actuel, la sécurité de l'emploi est surtout liée avec le contentieux. Alors que les indemnités de rupture sont théoriquement précises, les salariés ou les syndicats peuvent les faire augmenter sensiblement en allant en justice ; le pouvoir de négociations des syndicats dérive de leur pouvoir de nuisance. Cet encouragement aux comportements opportunistes du côté des salariés induit une certaine inefficacité dans les décisions de séparation. Par conséquent, les entreprises s’attendent à payer le turn over au prix fort, et une part substantielle de ces coûts est dispersée dans le contentieux au lieu d'être payée aux travailleurs sous la forme de compensation. Les entreprises se plaignent depuis longtemps des fortes incertitudes créées par ce système ; elles ne savent simplement pas combien il leur en coûtera de se séparer d’un salarié, et font donc tout ce qu'elles peuvent pour éviter de proposer des contrats à durée indéterminée (CDD) ; d’où le recours massif aux contrats à durée déterminée quand elles embauchent. Du point de vue du salarié, ce système n'offre pas beaucoup de protections. Très souvent, il se verra proposer un CDD qui signifie qu’il est sûr de perdre son travail. S’il a un CDI, alors la probabilité de perdre son emploi est faible. Mais s’il finit par le perdre, ses indemnités sont faibles, beaucoup d'avantages ne sont pas transférables, et surtout il est alors confronté aux difficiles conditions du marché travail qu’ont créées les rigidités.
Cela suggère qu'une évolution du système peut amener des gains, et c’est précisément ce que l'accord récent tente de faire. La disposition la plus innovante est que les employeurs et les salariés peuvent désormais se séparer par accord mutuel, qui accorde aux salariés des indemnités de rupture et la possibilité de bénéficier des allocations chômage. En échange, les conditions d’accès au contentieux ont été rendues plus rigoureuses, et la compensation maximum imposable par le tribunal a été plafonnée, de même qu’a été limité le délai laissé au salarié pour aller en justice. Il s’agit clairement de retirer du pouvoir aux tribunaux au bénéfice de négociations entre parties.
Pour obtenir l’accord des syndicats, l’accord comprend une augmentation des indemnités de rupture règlementaires. La réforme réduit la taxation de ces indemnités, à laquelle étaient assujettis les salariés et les entreprises, tout en augmentant les indemnités des salariés. L’espoir du patronat (mais seuls les calculs précis pourraient le montrer), c’est de ne pas augmenter le coût global du turn over, tout en en rendant les coûts particuliers beaucoup moins incertains que par le passé. Les salariés y gagnent, parce les indemnités qu'ils reçoivent intégreront une partie des anciennes dépenses de contentieux. Il faut savoir que les indemnités de rupture règlementaires ont toujours été très faibles, en France, au regard des normes internationales, et il est possible que les effets de la réduction de l'incertitude et de l'opportunisme dépassent les plus généreuses des indemnités de rupture dans le système précédent.
L'effet général de cette mesure est de réduire les coûts du turn over imposés aux entreprises par le système légal, ainsi que l’inefficacité liées à l'opportunisme des salariés. Cela impliquera plus de destruction d’emplois, mais d’emplois peu efficaces, et plus de créations d’emplois, avec une plus grande proportion de CDI. L'effet net sur l'emploi est incertain. Il est même possible qu'il baissera à court terme, quand les entreprises se sépareront d’emplois peu rentables. Mais en revanche la durée de chômage devrait selon toute probabilité baisser elle aussi, et ceci profitera aux salariés privés d’emploi.
Une autre innovation dans la réforme actuelle est la création d'un contrat temporaire allongé avec un « objet bien défini ». Cette idée a depuis longtemps la faveur des représentants du patronat, qui se plaignaient, dans la plupart des secteurs professionnels, de ne pouvoir embaucher des salariés pour un projet spécifique : ou le salarié se voyait proposer un contrat temporaire, mais qui ne pouvait pas dépasser 18 mois, ou il se voyait proposer un contrat permanent, mais il était coûteux de se séparer de lui après l’achèvement du projet. Les syndicats de travailleurs redoutaient de leur côté la mise en place du contrat de projet parce qu'ils craignaient que les entreprises ne s’organisent officiellement autour des projets au lieu des relations d'emploi, ce qui aurait comme effet de miner leur pouvoir de négociation. Les signataires de l’accord sont parvenus à un compromis qui limite ces nouveaux contrats aux salariés les plus qualifiés. Reste à savoir s'ils pourraient être étendus par la suite aux salariés non qualifiés.
2. Les incitations au chômage ont légèrement augmenté
L'accord a étendu à de nouvelles situations l'éligibilité à l’assurance chômage. Jusqu’ici, les salariés étaient assurés contre les séparations involontaires ; ils sont maintenant assurés contre les séparations qu'ils ont acceptées. Cela conduira-t-il à davantage de séparations ? Les salariés qui souhaitaient quitter leur entreprise et bénéficier de l’assurance chômage avaient vraisemblablement jusqu’ici la possibilité de s’arranger avec leur employeur pour organiser un licenciement fictif. Je ne prévois donc pas beaucoup de changements de ce côté, mais il reste cet effet ne va pas dans le bon sens.
Des progrès ont été faits sur la portabilité de certains avantages sociaux, quand les salariés sont privés d’emploi. La portabilité facilite généralement le passage d’un emploi à l’autre et elle devrait donc être recommandée. Mais dans le présent accord un problème se pose, qui est celui des incitations au retour à l’emploi. Cette plus grande portabilité va en effet de pair avec une augmentation des indemnités de licenciement et du niveau de rémunération après la perte d’emploi. Par exemple, les salariés peuvent conserver leur assurance complémentaire maladie pendant sept mois, et les deux parties, employeur et salarié, continuent à payer leur part des cotisations. Ce n’est pas très heureux : la part de l'employeur est en réalité une indemnité de rupture supplémentaire, qui n’est payée que si le salarié ne trouve pas de nouvel emploi. Nous cumulons donc ici les effets négatifs de l’indemnité de rupture sur la création d’emploi avec les effets de désincitatifs de l’assurance chômage sur la recherche d’emploi. Idéalement, les avantages liés à l’entreprise devraient être supprimés, car ils n’ont pas de raison d’être sur le plan économique ; au lieu de cela les salariés pourraient obtenir des salaires plus élevés et acquérir ce qu’ils souhaitent sur le marché. Les déformations associées avec les problèmes de portabilité disparaîtraient alors. Les partenaires sociaux devraient ainsi penser à supprimer graduellement de tels avantages, en échange de plus hauts salaires.
L'accord semble ainsi avoir augmenté, pour les entreprises comme pour les salariés, les incitations à compter sur le système d'assurance chômage pour se séparer quand ils ne l’auraient pas fait sans ce système. Olivier Blanchard et Jean Tirole ont récemment soutenu que pour éviter ceci une taxe sur les séparations devrait être instituée, dans l'esprit de l’ “experience rating system” mis en place aux Etats-Unis. Ce système, conçu pour décourager les séparations, est en contradiction avec la philosophie de la « flexicurity », qui est de promouvoir la réallocation des emplois dans l'économie tout en assurant les travailleurs contre les difficultés nées de cette réallocation. Entre la migration des travailleurs vers les secteurs les plus productifs, d’une part, et la réduction du turn over supplémentaire induit par une assurance chômage généreuse, l'accord a fait un choix clair.
La doctrine de la flexicurity dit qu’une politique active du marché du travail, par exemple sous la forme de sanctions, peut être utilisé pour contraindre les chômeurs à accepter un emploi. Cela signifie de dépenser davantage de ressources pour combattre les conséquences défavorables des généreuses prestations dont bénéficient les demandeurs d’emploi. Cette approche est censée marcher au Danemark et dans les autres pays scandinaves, mais il n'est pas évident qu'elle fonctionnera en France. Il sera plus difficile d’éviter la connivence entre les employés du service public de l'emploi (ANPE) et les chômeurs pour aider ces derniers à échapper aux sanctions. De plus, avec le PARE, il y a déjà eu une tentative pour imposer des sanctions aux chômeurs qui ne feraient pas suffisamment d’efforts pour chercher du travail. Une partie des syndicats, réticents à réduire la compétition entre insiders et outsiders, ont été assez habiles pour le vider de son contenu au cours de renégociations interminables. S’il s’avère qu’une politique d’activation est difficile à mettre en œuvre, la seule alternative sera une réduction dans les avantages de chômage.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)