Pour une Taxe de lutte contre le changement climatique edit
L'augmentation de la consommation des énergies fossiles, soutenue par la forte croissance mondiale, se traduit depuis trois ans par la hausse des prix de l'énergie sur les marchés internationaux. Mais elle aggrave également les risques de changement climatique global, que les spécialistes des sciences de l'univers identifient comme le défi majeur du vingt-et-unième siècle. Il est aujourd'hui certain qu'il faudra limiter la croissance des émissions de gaz à effet de serre dans les prochaines décennies. Dans des sociétés ouvertes, ce véritable changement de cours devra être opéré par la mobilisation croissante d'instruments économiques de gestion de l'environnement, en particulier les systèmes de permis d'émission négociables et les taxes environnementales.
Depuis quinze ans, les politiques ont pris la mesure du défi : des accords internationaux ont été conclu, notamment le Protocole de Kyoto signé en 1997 et entré en vigueur en 2005. L'Europe a quant à elle mis en œuvre un ambitieux système de quotas d'émission négociables pour l'industrie et, pour le long terme, elle vise à limiter à 2°C l'augmentation moyenne des températures. En France, l'objectif officiel depuis 2003 est de diviser les émissions par un " Facteur quatre " à l'horizon 2050, par rapport au niveau de 1990. Ces objectifs seront difficiles à atteindre, alors même que leur abandon serait porteur de graves menaces pour le climat de la planète. Entre l'inatteignable et l'inacceptable, la lutte contre le changement climatique place les politiques publiques devant un dilemme sans précédent !
Mais les économistes disposent d'une boîte à outils bien fournie en matière de régulation environnementale, avec le trépied constitué des écotaxes, des permis d'émission négociables et enfin des normes et standards. Toutes les études montrent que les bonnes politiques environnementales doivent combiner ces différents outils pour conjuguer au mieux performance environnementale et efficacité économique. Il est aujourd'hui essentiel de s'orienter en France vers un dispositif de régulation articulant d'une part le système européen des quotas d'émission pour l'industrie, et d'autre part une taxe sur le CO2 ou Taxe de lutte contre le changement climatique pour les secteurs du transport et du bâtiment.
Pour les industries grosses consommatrices d'énergie et le secteur électrique, le système européen des quotas d'émission négociables, avec son contingentement direct des quantités, doit demeurer la base de la régulation environnementale. Les fluctuations importantes du cours du quota CO2 dans les dernières semaines ne doivent pas conduire à l'abandon de ce dispositif, car elles sont dues à la jeunesse du marché et à la nécessité de roder les procédures, en particulier pour les Plans nationaux d'allocation des quotas. Il faut donc s'atteler à l'amélioration de l'existant, car ce marché constitue une expérience sans précédent de régulation environnementale internationale et le point d'amarrage potentiel des autres régions du monde dans la constitution du futur marché mondial du CO2.
Mais ce marché ne couvre qu'un peu moins de la moitié des émissions en Europe et seulement 40 % en France, où le secteur électrique est faiblement émetteur. Il n'est pas aisément généralisable aux secteurs où le nombre des émetteurs est très élevé comme ceux des industries légères, des services, de l'habitat et des transports. Pour couvrir cet angle mort de la régulation environnementale il faudra passer par l'instauration d'une taxe carbone.
L'introduction de la Taxe de lutte contre le changement climatique devra répondre à plusieurs caractéristiques si l'on veut qu'elle soit efficace en termes environnementaux et économiques, mais aussi acceptable en termes politiques et sociaux. Elle doit tout d'abord être différenciée selon les secteurs. Il suffit pour s'en convaincre de considérer qu'une taxe de 100 euros par tonne de CO2 ne représenterait - en raison du facteur amortisseur de la fiscalité existante - qu'une augmentation de 25 centimes par litre d'essence, alors qu'elle entrainerait un doublement du prix de l'énergie pour l'industrie légère... On voit bien qu'une taxe uniforme serait à court terme jugée intolérable dans certains secteurs, alors qu'elle n'aurait qu'un impact minime sur d'autres.
Il faut donc mettre en place une taxe différenciée, visant à déclencher des changements techniques et de comportement du même ordre dans chaque activité. Pour ce faire il faudra un signal-prix fort, probablement une multiplication du prix de l'énergie par un et demi ou par deux à terme : en ordre de grandeur, une taxe de 400 euros par tonne de CO2 conduirait à une multiplication par deux du prix des carburants ; dans le secteur de l'industrie le doublement du prix de l'énergie fossile serait obtenu par une taxe de 100 euros par tonne de CO2 et dans le secteur résidentiel-tertiaire par une taxe de 200 euros par tonne de CO2.
Au delà des effets de la rareté croissante du pétrole et du gaz naturel, deux raisons conduisent en effet à considérer que le niveau des prix de l'énergie au consommateur devra être structurellement plus élevé qu'aujourd'hui : la première est relative à la nature de l'effet-prix sur la demande, la seconde à l'impact de la réduction souhaitée des consommations d'énergie sur les finances publiques.
L'ordre de grandeur pour l'objectif d'émission à long terme est bien la réduction par un facteur trois ou quatre. Il est peu probable qu'un tel résultat puisse être obtenu avec des augmentations de seulement 10 ou 20 % du prix de l'énergie. Cela signifierait en effet une réponse de la demande au prix beaucoup plus forte que ce que l'on a pu observer dans le passé. Pour réduire les émissions par trois ou quatre, il faudra bien au moins le doublement évoqué plus haut.
D'autre part, si la forte réduction des émissions et des consommations ne s'accompagnait pas d'un renforcement de la fiscalité, cela constituerait une menace grave pour les finances publiques, alors que la TIPP représente aujourd'hui, avec plus de 20 milliards d'euros par an, la quatrième recette fiscale de l'Etat. Quand bien même la réduction des consommations sans augmentation de la taxation serait possible, elle entrainerait une véritable fonte des recettes fiscales. Inversement, la taxe de 400 euros par tonne de CO2 dans les transports pourrait permettre de limiter l'impact sur les recettes fiscales de l'Etat sur les carburants.
La principale difficulté de toute politique environnementale est bien celle de la gestion de la transition, lorsque les signaux économiques ont été introduits mais que les technologies, les comportements et les infrastructures ne sont pas encore adaptés : le doublement du prix de l'essence serait indolore si l'on disposait instantanément des voitures 3 l/100 km et de plus de transports en commun ... Mais dans la transition les effets redistributifs sont significatifs, le cas échéant insupportables pour certaines catégories de la population ou certains acteurs économiques.
Cependant, si les niveaux de taxe différenciés évoqués plus haut sont inconcevables à court terme, ils ne le sont pas à cinquante ans. Il faudra donc que les gouvernements aient le courage de programmer la hausse du prix des énergies fossiles, en commençant tout de suite et en visant une croissance de type linéaire au cours des cinquante prochaines années. Ce faisant, ils fourniraient le bon signal à tous les acteurs de l'économie : celui de la nécessité d'innover pour les technologies énergétiques du futur, d'investir pour le réajustement des grandes infrastructures urbaines et de transport, de modifier les comportements pour éviter les crises de ressource et d'environnement global qui menacent les sociétés modernes.
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