Ashton, Van Rompuy : des inconnus très attendus... edit
Les nominations de Herman Van Rompuy à la présidence permanente de l’Union et de Catherine Ashton au poste de Haut Représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ont été largement commentées. Dans l’ensemble, il se dégage souvent des commentaires une même perception : ces nominations montreraient que les chefs d’Etat et de gouvernement, en particulier Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, ont préféré des personnalités qui ne leur feraient pas trop d’ombre. C’est pour le moins discutable.
La critique n’est pas fausse et, en même temps, elle est un peu facile. Tout d’abord, ne faisons pas de procès d’intention à deux personnalités politiques que l’on devra juger sur pièces. Ce que l’on sait d’eux pour l’instant est qu’ils n’ont pas mal réussi au niveau national : Lady Ashton, en qualité de Leader à la Chambre des Lords, a utilisé tous ses talents diplomatiques pour faire ratifier le traité de Lisbonne en Grande-Bretagne. Herman Van Rompuy, en tant que Premier ministre de Belgique, a réussi à calmer le jeu entre francophones et flamands après la période très conflictuelle de son prédécesseur (et d’ailleurs successeur) Yves Leterme. En même temps, on sait d’expérience que réussir dans une fonction politique nationale n’est pas la garantie d’un succès dans un poste européen et vice-versa. Romano Prodi fut ainsi un excellent Président du conseil des ministres italien de à 1996 à 1998, permettant à son pays de mener des réformes économiques de fond pour participer à l’Euro. En revanche, il a été un Président de la Commission européenne très falot de 1999 à 2004.
Plus fondamentalement, qu’aurait voulu dire nommer à ces postes des personnalités connues ? En effet, il n’y a pas beaucoup d’hommes et de femmes politiques qui, en 2009, soient connus de l’ensemble des citoyens européens. Si on laisse de côté les personnalités qui ont atteint l’âge de se retirer des affaires, comme Jacques Delors, il reste peut être Lech Walesa, Vaclav Havel, Joschka Fischer et évidemment Tony Blair. Mais il est compréhensible que Tony Blair n’ait pas tenu la corde. Il était quand même difficile pour l’Europe d’être représenté par l’ancien Premier ministre d’un pays qui n’a adopté ni l’Euro, ni la Convention de Schengen, ni la Charte des droits fondamentaux. On peut ajouter aussi que Tony Blair n’a pas été d’un grand courage en matière européenne lorsqu’il était à Downing Street. Il même été parfois inconsistant. C’est lui qui avait parlé en 2004 de l’organisation d’un référendum en Grande-Bretagne pour la ratification du projet constitutionnel européen, mettant son successeur Gordon Brown dans une situation difficile lors de la ratification du traité de Lisbonne !
Dès lors, l’Europe devra se contenter de personnalités moins connues pour occuper les nouveaux postes, en gageant qu’elles devront faire leurs preuves.
Le Président permanent du Conseil, Herman Van Rompuy, devra avant tout montrer un grand sens du compromis et être visible dans les arènes politiques nationales. En tant qu’ancien Premier ministre de Belgique, tout laisse penser que Herman Van Rompuy sait fabriquer des compromis dans un système de gouvernance multiple. Il sait aussi ce que veut dire faire de la politique en composant avec des cultures différentes. Pour l’impératif de visibilité, Herman Van Rompuy a la réputation d’être un polyglotte. On peut penser qu’il saura s’exprimer dans plusieurs langues sur les chaînes de télévision des différents États membres. Venir d’un pays multilingue (même si hélas il l’est de moins en moins en pratique), est un avantage.
La Haute Représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Catherine Ashton, bénéficie d’un avantage : elle devra inventer sa fonction en bénéficiant de ressources qui n’ont rien à voir avec celles dont disposaient Javier Solana. En effet, Lady Ashton aura à son service 3000 diplomates en charge de consolider son expertise. Elle aura aussi, en qualité de Vice-Présidente de la Commission, la possibilité d’opérer un lien entre les affaires extérieures de la Communauté européenne d’une part, et la Politique étrangère et de sécurité (PESC) d’autre part. Il est clair que son domaine d’action a toujours été l’un des plus faibles de l’Union, surtout d’ailleurs pour ce qui concerne la diplomatie stricto sensu. Qu’on en juge simplement par l’impossibilité des 27 à définir une politique commune à l’égard de la Russie.
C’est aussi l’un des domaines où le traité de Lisbonne apporte des changements non négligeables. En matière de sécurité, la PESC s’ouvre maintenant aux coopérations renforcées entre les seuls États membres qui le souhaitent, facilitant la mise en place d’actions sur des théâtres d’opération extérieurs. De même, le traité de Lisbonne introduit un devoir d’aide et d’assistance mutuelle en matière de sécurité (à l’instar de l’article 5 du Traité de l’Atlantique nord), renforçant ainsi l’obligation de solidarité entre États membres vis-à-vis de l’extérieur. Si la Russie décidait ainsi d’ennuyer l’Estonie avec des armes pour faire valoir par la force sa protection de la minorité russe, les 26 autres États de l’Union auront désormais comme obligation de réagir. En pratique, cela signifie que la Russie ne se permettra certainement pas de se comporter à l’égard de l’Estonie comme elle le fit à l’égard de la Géorgie en août 2008.
Les nouveaux postes prévus par le traité de Lisbonne deviendront ce que leurs titulaires sauront en faire. Laissons-leur la chance de les rendre opérationnels en évitant de les critiquer avant même qu’ils aient formellement vu le jour, mais aussi en évitant de leur mettre des bâtons dans les roues par la suite. Le poste de Haut Représentant pour la politique étrangère et la politique de sécurité est particulièrement exposé. Si les grandes chancelleries nationales refusent de jouer la carte européenne, elles empêcheront Lady Ashton de montrer aux Etats-Unis, mais aussi aux grands pays émergents d’un monde multipolaire, que l’Europe est une véritable puissance.
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