Chindia : restons calmes ! edit
Depuis le rachat d'Arcelor au printemps dernier pour la coquette somme de 28,8 milliards de dollars, l'Inde vit sous le régime de la « Mittal mania » comme en témoigne la présentation par la presse indienne des dernières méga acquisitions de Tata Tea (l'américain Glaceau) ou de Videocon (Daewoo Electronics). Que faut-il en penser ? A-t-on affaire à de nouveaux conquérants, ou devrait-on observer le même cycle de passion retombée que l'on a connu avec les autres pays asiatiques ? Ne sommes-nous pas confrontés à un phénomène nouveau puisque selon la plupart des projections à l’horizon 2020-50, la Chine et l'Inde (Chindia) pourraient bien devenir les numéros deux et trois de l'économie mondiale, à parité avec les Etats-Unis et l'Union Européenne ?
Une mise en perspective de l’émergence des groupes chinois et indiens sur la scène mondiale et un examen attentif des politiques publiques comme des caractéristiques de ces groupes font plutôt pencher vers la première hypothèse. Ce qui ne signifie pas que rien ne va changer dans le paysage du capitalisme mondial, bien au contraire. La prise en compte du facteur temps et l’élaboration de stratégies d’adaptation pour les groupes des pays développés vont s’imposer plus que jamais comme des variables cruciales de leur pilotage et l’amnésie sur le défi « Chindia » serait suicidaire. Mais la route devrait être plus longue et tortueuse que certains veulent le faire croire.
Pour s’en tenir au facteur temps, deux éléments clés doivent être pris en compte. Le premier concerne la taille des opérations. Même un doublement en dix ans des investissements à l’étranger de ces pays resterait assez faible en comparaison des volumes d’investissement en provenance des pays développés. Ainsi, la conjecture récente d’un organisme patronal indien (FICCI) évalue à une dizaine de milliards les acquisitions indiennes dans les trois prochaines années. Ce chiffre doit être rapportée aux 700 milliards de dollars d’investissement des pays développés en 2005 ou aux 60 milliards reçus par la seule Chine continentale. De même, un doublement du nombre de groupes « Chindia » dans le classement du magazine Fortune ne donnerait qu’une trentaine de groupes chinois et une vingtaine de groupes indiens, soit 10% des grandes firmes mondiales. Le plus intéressant dans ce domaine concerne en fait l’identification des secteurs dans lesquels les entreprises chinoises et indiennes peuvent prétendre à court terme remonter dans les dix premiers acteurs mondiaux. La liste est limitée : énergie, acier, électronique grand-public, services informatiques et transport maritime. La téléphonie mobile et l’automobile pourraient être concernées mais à plus long terme.
Le deuxième élément clé de toute prospective tient au processus d’apprentissage et à ses coûts. Deux domaines notamment ont été bien identifiés par Mythili Bhusnurmath, une experte indienne du monde des affaires : la surestimation des bénéfices des fusions-acquisitions et la sous-estimation du risque des opérations dans les pays tiers. Sur le premier point, le bilan de l’acquisition d’Arcelor appraîtra dans quelques années seulement mais quelques mois seulement après l’opération, des signaux peu rassurants apparaissent d’ores et déjà sur les marchés et dans le fonctionnement du nouveau groupe. En cause notamment le mode d’acquisition inamicale, mais aussi des problèmes évidents de structures et de mode de management qui se traduisent par un départ rapide des cadres d’Arcelor face à une gestion purement familiale qui ne semble pas vouloir s’adapter. De ce point de vue, les acquisitions de groupes beaucoup plus professionnels comme Tata ou encore Infosys côté indien, ou de Haier, ZTE et Hua Wei côté chinois, montrent qu’il y aura probablement de nombreux échecs sur la route de la mondialisation des groupes indiens et chinois, comme il y en eu parmi les firmes japonaises, y compris les plus prestigieuses comme Sony ou bien sûr Nissan, ou parmi les groupes coréens dont la moitié des prétendants des années 1970 ont déjà disparu.
Sur le second point ensuite, on peut distinguer deux cas de figure. Celui des pays en voie de développement, souvent la cible privilégiée des groupes des pays émergents en raison du bas prix des acquisitions, mais comportant des risques élevés. On se rappelle notamment que ce fut la stratégie suivie par le groupe coréen Daewoo avec la catastrophe bien connue de 1997. Dans les pays industrialisés ensuite dont on sous-estime la complexité et l’intensité de la concurrence, notamment sur un plan technologique. Les exemples de Lenovo ou de TCL seront ici à suivre de près car le bilan après moins d’un an d’opération montre des résultats très incertains avec notamment la sortie précoce du partenaire occidental de la JV dans le cas de TCL alors qu’il devait constituer la source principale du développement technologique. Dans le cas indien, il faudra scruter les résultats dans la pharmacie car les premières acquisitions ont été concentrées dans les génériques mais rien ne garantit le succès dans le domaine plus sophistiqué des nouvelles molécules qui fournissent les seules marges bénéficiaires du secteur.
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