La lutte contre les discriminations a aussi des avantages économiques edit
Alors que l'Assemblée nationale planche sur un projet de loi relatif à la délinquance, la publication coup sur coup de plusieurs études économiques montre qu'une course de vitesse est engagée entre un traitement économique des causes profondes de la crise de nos banlieues et un réflexe sécuritaire qui pourrait bien aggraver le cercle vicieux de la stigmatisation et de la non-valorisation de l'atout numéro un de notre nation : le capital humain.
Une enquête en cours sur la jeunesse scolarisée dans l'académie de Créteil questionne la valorisation actuelle de ce capital humain en Ile-de-France. Les fortes discriminations sur le marché du travail tout comme les déséquilibres profonds du marché éducatif impactent négativement la demande d'éducation des jeunes de banlieue, ce qui met en danger notre potentiel de croissance.
Le premier baromètre national des discriminations publié fin novembre montre qu'une personne portant un nom à consonance maghrébine a trois fois moins de chances de recevoir une réponse positive lors de l'envoi de son CV, et six fois moins s'il s'agit d'un poste de cadre. Ceci a un impact direct sur la demande d'éducation. Car si les coûts d'accès à l'éducation sont relativement faibles en France, les rendements espérés le sont donc tout autant pour ces populations. La demande d'éducation demeure faible non pas en raison d'un manque de motivation quelconque, mais bien parce que le gain net qu'un jeune peut attendre d'un tel investissement est dérisoire.
Notre enquête sur l'académie de Créteil met en lumière un paradoxe quant à la valorisation du capital humain dans ces espaces. Alors que les populations des banlieues apparaissent comme particulièrement aptes à faire face au défi de la mondialisation compte tenu de leur capital social (meilleures compétences linguistiques, plus grande ouverture au monde, meilleure culture informatique, désir d'entreprendre plus grand), elles en demeurent les principales victimes en raison d'orientations précoces absurdes vers des formations (BEP, CAP) à rebours des compétences nécessaires dans une économie mondialisée. Une rapide enquête sur la dernière cohorte des bacheliers de l'Ile-de-France ainsi que dans un établissement de la banlieue sud confirme ce point fondamental à l'aide de variables croisant le nombre de langues étrangères parlées, la pratique de l'ordinateur et l'esprit d'entreprise. Près d'un tiers de notre jeunesse des banlieues disposerait ainsi d'une réserve de compétences inexploitées en raison d'une l'offre scolaire inadaptée.
L'impact de tels mécanismes est important. Les économistes estiment que chaque année de scolarisation supplémentaire apporte environ 0,3 point de croissance par an en plus sur une période de trente ans. Toute diminution (stagnation) du niveau moyen d'étude équivaut donc à un recul (stagnation) de la capacité productive d'un espace. Ce qui est d'autant plus vrai dans un monde ouvert où la contribution du capital humain l'emporte nettement sur les ressources naturelles ou les équipements.
Quelles conclusions pour l'économiste ?
Première priorité, il faut cesser de stigmatiser l'offre universitaire et réfléchir aux facteurs qui empêchent les entreprises d'améliorer leurs processus de recrutement. Car ce qui diffère entre la France et les Etats-Unis au moment du recrutement d'un jeune n'est pas sa formation fondamentale. Le jeune français n'a généralement pas suivi plus de cours inutiles à l'université (sociologie, anthropologie, psychologie voir cinéma) que son camarade américain. Il a, par contre, généralement devant lui un recruteur dont l'horizon temporel est particulièrement court, c'est-à-dire ne saisissant pas la capacité d'apprentissage de ce premier. A quoi s'ajoute le facteur multiplicatif de la couleur pour un jeune issu de l'immigration qui réduit a fortiori le gain net espéré d'un investissement dans l'éducation.
Deuxième priorité, il faut que l'orientation des savoirs avant l'accès à l'enseignement supérieur valorise les compétences liées au " capital social " des nouvelles générations. Celles-ci collent trop bien aux défis de la mondialisation pour être négligées.
Pour faire image, et en prenant comme mesure les indices scolaires, on peut dire que l'Ile-de-France ne fonctionne aujourd'hui que sur la moitié de son stock de ressources humaines, et donc à la moitié de son potentiel. On retrouve intuitivement ce constat puisqu'une croissance par tête de 3% par an au lieu des 1,5% actuels ne serait pas une performance excessive pour un pôle de qualité comme la région parisienne.
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