L’affaire Al-Bashir edit
La décision de la Cour Pénale Internationale (CPI) de délivrer un mandat d’arrêt à l’encontre du chef d’Etat soudanais Omar Al-Bashir a fait la une des média. C’est la première fois qu’un chef d’Etat en exercice risque d’être poursuivi devant une instance judiciaire internationale pendant qu’il est en poste. Certes, au cours de l’histoire d’autres chefs d’Etat se sont assis sur le banc des accusés : Milosevic devant le Tribunal pour la ex-Yougoslavie ; Charles Taylor devant la Cour Spéciale pour la Sierra Leone et, en remontant en peu dans le temps, l’Amiral Dönitz (le successeur de Hitler) à Nuremberg. Quand ces chefs d’Etat ont été appelés à répondre de leurs agissements devant un Tribunal international ils étaient tous déchus. Cette fois-ci le droit semble s’en prendre à ceux qui ont encore le pouvoir et non pas à ceux qui l’ont perdu. C’est plutôt bon signe.
Omar Al-Bashir doit répondre des crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis au Darfour durant ces dernières années (le Procureur a fait appel pour que la CPI retienne aussi le génocide comme chef d’accusation supplémentaire). L’implication du gouvernement soudanais dans les crimes perpétrés par les miliciens arabes janjaouid contre la population locale du Darfour a empêché toute solution au conflit en dépit des pressions de la communauté internationale. En 2005, le Conseil de Sécurité s’est prévalu de son pouvoir de déférer la situation à la CPI par le biais de la Résolution 1593, estimant que la crise posait une menace pour la paix et la sécurité internationale.
L’initiative de la CPI a provoqué des réactions diverses. Le Soudan a immédiatement expulsé les ONG qui prêtaient leur aide humanitaire dans la région, ce qui a rendu les conditions de vie de la population au Darfour encore plus difficiles. Un certain nombre de pays africains s’en s’ont pris à la justice des Occidentaux qui n’aurait pour cible que les pays africains (en effet pour le moment les pays qui font l’objet d’enquête par la CPI se trouvent tous en Afrique : Soudan, Ouganda, République démocratique du Congo et République centrafricaine). La Chine et la Russie ont souhaité que le Conseil de sécurité impose à la Cour un sursis à poursuivre (comme le prévoit l’article 16 du Statut) dans l’intérêt de la paix et de la sécurité internationale. Cette option – qui ne saurait aboutir en raison de l’opposition de la France, du Royaume-Uni et peut-être même des Etats-Unis – en dit long sur les divisions de la communauté internationale.
Mais quelles sont les chances qu'Al-Bashir soit arrêté et transféré à La Haye? Mis à part le Soudan auquel le Conseil de sécurité par la Résolution 1593 a imposé de collaborer avec la CPI, mais qui vraisemblablement n’obtempérera pas, seuls les Etats qui sont parties du Statut de la CPI (108 en février 2009) ont l’obligation d’exécuter le mandat d’arrêt. Les autres ont été "vivement exhortés" par le Conseil de Sécurité à accorder leur pleine coopération à la CPI, mais ils n’ont pas d’obligations de procéder à l’arrestation. Même s’ils avaient l’intention de le faire, ils pourraient se heurter à l’obstacle de l’immunité que le droit international reconnaît aux chefs d’Etat en exercice (ce qui ne vaut pas pour les poursuites devant la CPI). A ce point on peut bien se demander à quoi ca sert d’avoir délivré un mandat d’arrêt si son destinataire peut s’y soustraire en évitant de se rendre dans les pays qui ont ratifié le Statut de la CPI.
Les effets d’une telle mesure ne sont pas à sous-estimer pour autant. D’abord, il y a un effet de stigmatisation qui peut s’avérer coûteux pour la personne concernée, au niveau de sa crédibilité politique, ainsi que pour le pays qu’il représente. Ensuite, il peut y avoir un affaiblissement de la position politique du chef d’Etat à l’intérieur du pays, ce qui peut même conduire à un renversement du pouvoir. Une fois déchu, le risque d’être consigné à la CPI pourrait augmenter de façon exponentielle. Enfin, la limitation à sa liberté de mouvement au niveau international diminue sa capacité à remplir ses fonctions de chef d’Etat, sans compter les effets psychologiques de devoir se mettre à l’abri de toute tentative d’appréhension surtout lors de ses déplacements à l’étranger.
Plus généralement, l’affaire Al-Bashir illustre de manière paradigmatique l’éternel dilemme de savoir s’il vaut mieux assurer la justice en punissant les responsables des crimes ou poursuivre la voie de la négociation politique pour résoudre les situations de crise internationale. Certains ont critiqué l’initiative de la CPI qui pourrait exacerber davantage la situation et conduire le gouvernement soudanais à durcir son attitude vis-à-vis de la population civile du Darfour. Pour ces derniers, on aurait dû continuer à négocier avec le régime d'Al-Bashir afin d’arriver à une solution politique de la crise. D’autres ont accueilli le mandat d’arrêt comme un signe fort envoyé par la communauté internationale aux régimes qui se rendent coupables de graves violations des droits de l’homme. Les négociations ne peuvent pas être menées à l’infini s’il n’y a aucune volonté d’aboutir à une solution. Les arguments des deux parties sont plausibles. Tout revient à un choix qui doit se faire au cas par cas, en tenant compte des circonstances. La justice et la politique ne sont pas nécessairement contradictoires. Ces dimensions sont souvent entremêlés et leur interaction changeante.
La déception auprès du public est flagrante. Mais il faut comprendre que la CPI n’est pas comme un tribunal national. Elle n’a que les pouvoirs que les Etats lui ont donnés dans le traité qui l’a établie et ses décisions ne lient que les Etats qui ont ratifié ce traité. À l’heure actuelle, la justice pénale internationale est ainsi faite. On peut regretter ses limites et sa sélectivité, mais la perspective d’une justice universelle et systématique demeure lointaine. La justice pénale internationale, telle qu’elle existe actuellement, est en fait appelée à remplir deux fonctions : l’une symbolique et l’autre dissuasive. D’un côté, la CPI représente la communauté internationale organisée qui s’érige en juge sur la base d’un certain nombre des valeurs communes. De l’autre, elle doit essayer, par ces poursuites, de montrer qu’il n’y aura plus d’impunité lorsqu’on commet des crimes aussi graves que les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les actes de génocide. Certes, pour faire cela la CPI doit pouvoir compter sur les Etats. En effet, c’est aux Etats que revient la tâche principale de poursuivre ces crimes et de collaborer avec la CPI pour en mettre en œuvre les décisions (l’article 17 du Statut n’attribue la compétence à la Cour que dans le cas ou les Etats n’aient pas la volonté ou soient dans l’incapacité de mener à bien les enquêtes ou les poursuites).
On ne peut pas s’attendre à ce que la justice internationale punisse tous les ‘méchants’ du monde. Sa tâche est d’en punir quelques-uns afin de dissuader autant que possible les autres. Mais si l’on veut abandonner une fois pour toute la culture de l’impunité, le droit ne suffit pas. Un changement des mentalités et un projet politique partagé sont nécessaires, Dans cette affaire Al-Bashir la CPI a fait ce qu’elle pouvait faire avec les moyens que les Etats lui ont donnés. Le chemin est long, mais la CPI l’a au moins ouvert.
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