Hong Kong, le commerce et la morale edit
Il n'y aura pas grand monde pour miser 100 euros sur le succès de la Conférence ministérielle OMC de Hong Kong, compte tenu des signaux envoyés ces dernières semaines par les protagonistes de ce grand marchandage. On peut toutefois miser le double, sans grand risque, sur un communiqué victorieux à l'issue de cette réunion, insistant sur des principes généraux, prenant éventuellement des engagements spécifiques au profit des pays pauvres, enfin listant les sujets non résolus.
Réfléchir en termes d'un butin de 300 milliards à partager en 148 parts est toutefois réducteur. L'important est en réalité ailleurs. L'OMC, organisation multilatérale jeune mais déjà éprouvée par l'échec ou l'insuccès d'autres ministérielles, a beaucoup à perdre à un nouvel échec. Si la baisse des droits de douane indiens dans l'industrie ou européens dans l'agriculture peut probablement attendre quelques semestres sans que l'économie mondiale subisse un cataclysme, l'OMC ne peut attendre un succès encore quelques semestres.
L'OMC, avant d'être le rouleau compresseur des droits de douane et subventions dénoncé par certains, est en effet un ensemble de règles, on l'oublie trop souvent. Le bon fonctionnement de celles-là est primordial pour l'économie mondiale, pays en développement en tête. Or, l'OMC dix ans après sa création s'est enfermée dans trois contradictions.
La première est d'avoir accueilli un nombre toujours croissant de membres sans mettre en place les structures d'une véritable représentation, sans améliorer ses mécanismes de prise de décision. Aucun club de randonnée pédestre n'aurait été aussi inconséquent, au risque de se perdre dans l'ascension du Tai Mo Shan.
La deuxième contradiction porte sur la relation aux opinions publiques. Afficher un cycle de libéralisation commerciale comme un outil de développement est certes une réponse aux préoccupations de la société civile : comment mieux justifier un pas en avant dans l'inquiétante mondialisation, qu'en évoquant la réduction de la misère ? Le seul souci est que la relation ouverture-croissance est complexe ; et la relation croissance-développement encore plus. S'agissant du cas particulier de l'ouverture commerciale, les intérêts des pays en développement sont beaucoup moins convergents que ce que certaines évocations du dossier agricole laissent accroire. La situation des émergents à fort potentiel agricole sur des produits très protégés diffère largement de celle d'une Afrique sub-saharienne confrontée à l'érosion des préférences commerciales dont elle a bénéficié jusqu'ici. Ce faisant, on a porté le débat relatif à l'organisation du commerce entre les nations sur un plan moral, faisant perdre de vue les véritables enjeux.
La troisième contradiction est de chercher à aboutir en réduisant le nombre de sujets. Plus on rétrécit le champ de la négociation, moins on a de chances d'aboutir à des compromis acceptables par les parties. Certains sujets de Singapour ont déjà été passés par dessus bord et chacun fourbit ses armes pour en découdre d'abord sur l'agriculture. Avec 15% de droit de douane moyen dans l'agriculture, tous instruments et produits confondus, l'Europe est clouée au pilori. Ici le parangon de vertu est américain (3%), mais non canadien (13%). Le Japon affiche 31% dans le même secteur, la Corée 45% et l'Inde 58% (données MAcMap). L'Argentine et le Brésil, grands bénéficiaires annoncés de la libéralisation agricole, sont respectivement à 10% et 12%.
Ces trois contradictions se conjuguent finalement en un contexte dans lequel tous les arguments peuvent être retournés. Protectionniste dans l'agriculture, l'UE risque de faire échapper un butin dont une part serait revenue aux pays pauvres. Mais que dire du Brésil, imposant 9% de droits de douane sur ses importations en provenance des pays les moins avancés, alors que l'UE se contente de moins de 3% ? Plus généralement, tous secteurs confondus 60% des droits de douane payés par les pays en voie de développement le sont... à d'autres pays en développement. Enfin, si l'ouverture commerciale est véritablement un outil de développement, il reste à expliquer pourquoi il a été offert aux pays les plus pauvres de ne pas participer au démantèlement tarifaire.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)