Commerce : que faire avec l’Afrique ? edit
En vertu des accords de Cotonou signés en 2000 et ayant permis à l’Union européenne et aux pays Afrique-Caraïbe-Pacifique (ACP) d’obtenir une clause d’exemption temporaire des règles de l’OMC en 2001, l’Union et les ACP sont tenus de conclure un accord de libre-échange d’ici le 31 décembre. Jusqu’à la fin de l’année, le régime douanier préférentiel accordé par l’UE aux ACP peut donc rester discriminatoire, contrairement aux règles multilatérales. Un pays aussi pauvre ou plus pauvre qu’un ACP n’a pas droit aux mêmes conditions d’accès au marché européen simplement parce qu’il n’est pas un ACP. Cela laisse quand même beaucoup de pauvres en dehors du dispositif de Cotonou (succédant aux accords de Lomé) censé promouvoir le développement. Et ceci même si deux dispositifs parallèles existent, le Système de préférences généralisé (SGP) et l’accord Tout sauf les armes (TSA) ouvert aux seuls Pays les moins avancés (PMAs).
Dans ces conditions, on s’attendrait à ce que la pression multilatérale exercée sur l’Union européenne et ses partenaires ACP soit accueillie favorablement. Or ce n’est pas toujours le cas, et la Communication de la Commission européenne du 23 octobre sur les APEs ne manquera pas de soulever des polémiques inutiles. Le terrain est préparé : n’a-t-on pas lu le 18 octobre dans un grand quotidien national le rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation s’exprimer dans des termes forts, considérant que "l’Europe favorise la faim en Afrique" ? En réalité, l’Europe est fondée à accorder un accès préférentiel à son marché, mais sur la base de critères objectifs. Le niveau de développement peut être un tel critère, mais si on l’applique certains ACP seront exclus tandis que des non-ACP plus pauvres bénéficieront des mêmes préférences que les ACP, ce qui signifie que les ACP n’auront plus de marge préférentielle. Un autre critère accepté - c’est l’article XXIV du GATT - est d’avoir signé un accord intérimaire fixant le calendrier de la mise en place d’une zone de libre-échange pour une part substantielle du commerce bilatéral. C’est la voie choisie en 2000 conjointement par l’UE et les ACP et ayant permis de faire patienter les partenaires de l’OMC. On comprendra mieux la Communication de la Commission en rappelant quatre points essentiels.
Premièrement, le GATT gère la question des marchandises à l’OMC. On n’est donc pas obligé de trouver un accord sur les autres dossiers à la date butoir du 31 décembre, même si l’UE fait des autres domaines une partie intégrante de sa stratégie de développement en faveur des ACP.
Deuxièmement, il s’agit d’un calendrier : il n’est donc pas question de mettre en place une zone de libre échange au 1er janvier 2008 ; ce point est souvent mal compris. On distingue en fait trois horizons. Une première période transitoire pendant laquelle l’UE finit d’ouvrir tout son marché avec zéro quota et zéro droit de douane à l’exception du riz et de la banane ; une autre période pendant laquelle le marché européen est totalement ouvert et celui des ACP très partiellement, en application du principe de non-réciprocité dans les accords Nord-Sud ; enfin un horizon beaucoup plus lointain, dans lequel une part « substantielle » du commerce sera en libre-échange. Part « substantielle » du commerce signifie 90% du commerce bilatéral côté ACP (100% donc côté UE). Cela laisse donc une marge de manœuvre, permettant de choisir habilement les produits « sensibles » constituant les 10% restant. Comment les choisir ? Premier objectif, protéger les productions locales, en particulier agricoles, de la concurrence européenne. On peut exclure les produits en concurrence avec les produits européens et ne pas supprimer les droits sur ceux-ci. Après tout, beaucoup de pauvres vivent dans les campagnes. Second objectif, pouvant entrer en conflit avec le premier, protéger les recettes douanières, qui peuvent constituer une part importante des recettes de l’Etat pour de nombreux ACP.
Troisièmement, les APEs sont des zones de libre échange (on parle à la DG commerce de la Commission) et des financements en faveur du développement (respectivement à la DG développement). Un APE signé, c’est la garantie de ne pas compter sur le seul commerce pour le développement, mais d’articuler les autres dimensions dont nul ne conteste l’importance.
Enfin, il s’agit d’une négociation de l’UE, en tant que région, avec d’autres régions, et non avec des pays individuels. Cela pose immédiatement la question du régionalisme, en particulier africain : regroupements divers, hétérogénéité des membres et des intérêts, incompatibilité des engagements pris par tel ou tel pays. Au final, on peut imaginer que certaines régions auront fini de préparer leur dossier, avec des APEs complets, d’ici la fin de l’année. D’autres en seront loin et il faudra des accords intérimaires. D’autres régions, ou des pays membres de certaines régions, peuvent faire le choix de ne pas signer et de revenir au système Tout sauf les armes pour les PMAs, ou au SGP pour les autres. On ferait bien de ne pas oublier à cette occasion que les droits de douane et quotas ne sont pas seul en cause : les règles d’origine des produits sont plus strictes dans ces deux accords qu’elles ne le sont dans Cotonou et encore plus qu’elles ne le seront dans les APEs. L’accès au marché est moins bon que ce que l’on pourrait penser. Quant à considérer que l’UE pourrait appliquer de façon libérale les système SGP+ (au contenu pro-environnemental, pro-social, etc.), inutile d’y penser, aucun des ACP n’a ratifié les accords internationaux correspondants, et l’UE s’est déjà fait taper sur les doigts à l’OMC pour avoir été trop peu regardante à deux reprises.
Alors que dit cette Communication ? Elle rappelle tout d’abord que l’année 2007 se termine le 31 décembre. Elle admet ensuite la diversité au sein des régions : certains pays pourront faire le choix de se tenir (au moins provisoirement) à l’écart, sans remettre en cause tout le dispositif. On imagine par exemple que tel pays exportateur de pétrole pourrait ne pas voir un intérêt immédiat à l’affaire avec un baril flirtant avec les 100 dollars. Elle affirme enfin que des accords intérimaires ne portant que sur le commerce des biens pourraient être signés, laissant ensuite le temps de finaliser les autres éléments du dossier. Enfin, pour les régions ayant signé, l’article 133 du Traité de Rome permettra de passer immédiatement dans la législation européenne les nouvelles conditions d’accès au marché de l’Union. Et pour les autres ? En réalité, il n’y a rien de spécifique à engager puisque les systèmes actuels les rendent éligibles, de facto, à TSA ou au SGP, et ceci dès le 1er janvier 2008. Ce langage de fermeté s’appelle le respect des engagements internationaux et des règles multilatérales, lesquelles visent notamment à défendre sur la scène mondiale les pays en développement dans leur généralité. Il n’est pas certain qu’il soit forcément bien reçu par certains partenaires de la société civile qui espéraient que l’UE allait négocier un nouveau Waiver à l’OMC. Mais en l’échange de quoi ? D’une réduction des préférences déjà accordées pour faire taire les revendications des autres pays en développement ?
Au-delà de ces tensions du calendrier n’oublions pas les bénéfices indirects de l’opération. Les pays ACP pour faire individuellement une offre de produits sensibles doivent agréger en interne des préférences : consommateurs, producteurs, lobbies divers. C’est réellement la première fois qu’ils ont à le faire et ceci est un bel exercice de renforcement de la démocratie et de construction d’expertise, qui il est vrai a été lancé trop tardivement dans beaucoup de cas. Ensuite, les pays entre eux, au sein de chaque région, vont devoir agréger les différentes préférences collectives nationales ainsi construites. Là aussi, on ne peut qu’encourager le dialogue régional, qui trouvera parfois des cadres institutionnels adaptés, mais pas toujours. Enfin, il n’est jamais mauvais qu’un pays s’interroge sur la structure de ses recettes fiscales, sur l’assiette fiscale, sur l’importance du secteur informel, sur les rentes dont disposent les importateurs dans des économies très protégées.
La politique européenne est observée des deux côtés. Les non-ACP en développement sont vigilants : l’UE est elle favorable au développement ou cherche-t-elle simplement à préserver son influence ? Les ACP sont vigilants : leurs difficultés à venir, bien réelles dans de nombreux cas, seront-elles prises en compte et accompagnées par les politiques européennes ? Dans un tel contexte, le bon équilibre est probablement d’avancer de façon pragmatique, en jouant simultanément sur les deux leviers que constituent la partie réglementaire des APEs et les financements à leur appui.
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