Commerce pas fort, la faute à Francfort ? edit
Après 23 milliards en 2005, c'est un déficit annuel du commerce extérieur atteignant les 30 milliards d'euros qui sera annoncé vendredi 9 février. On ne va pas manquer à cette occasion de s'inquiéter à nouveau de compétitivité. Il y a là de bonnes et de mauvaises raisons. Les bonnes suggèrent une direction originale en matière de politiques publiques de promotion de la compétitivité. Mais commençons par les mauvaises.
Evoquée comme une évidence dans les discours politiques, dans les médias, et par les responsables d’entreprises, la compétitivité est une notion à manier avec circonspection. On a longtemps défini la compétitivité d’une nation comme la combinaison de bonnes performances commerciales et du maintien ou d’amélioration du niveau de vie. On considère aujourd’hui que l’important est de générer un revenu durable et un niveau d’emploi élevé dans le contexte de la concurrence internationale. La compétitivité ne constitue donc ni une fin en soi, ni un objectif, mais plus simplement un moyen de relever le niveau de vie et d’améliorer le bien-être social.
On perd malheureusement souvent de vue que, à la différence d’un marché que les entreprises se disputent et où les gains des unes sont les pertes des autres, la participation à l’économie mondiale n’est pas un jeu à somme nulle. Dans une France traditionnellement réceptive au message protectionniste, on n’est jamais bien loin du mercantilisme qui considère que les exportations sont bonnes à prendre parce qu’elles créent des emplois, de l’activité, bref de la richesse. A l’opposé, les importations détruiraient des emplois, donc de la richesse. Les exportations seraient bonnes, les importations mauvaises, l’excédent commercial nécessairement bénéfique. Il serait bon de dépenser moins que son revenu et d’accumuler des créances sur le reste du monde, et mauvais de s’endetter pour investir intelligemment et booster la croissance.
Enfin, l’argument selon lequel les difficultés de notre commerce extérieur s’expliquent d’abord par la politique de change menée à Francfort ne devrait pas nous être épargné. On oubliera à cette occasion que la BCE n’a pas un objectif de change, mais là n’est pas l’essentiel. En réalité, c’est une minorité d’entreprises françaises qui réalisent l’essentiel de nos exportations, et d’abord au sein de la zone euro. L’euro offre ainsi un abri relatif aux errements des taux de change. Et pour ce qui est des marchés extérieurs à la zone euro, en première analyse, on ne voit pas pourquoi les entreprises françaises devraient être plus affectées par les mouvements du taux de change que les entreprises allemandes.
Cela dit, il y a toutefois d’excellentes raisons pour s’intéresser à la compétitivité de la France. Les variations de nos parts de marché, plus généralement la réponse de nos exportations à la demande étrangère, témoignent du degré d’adaptation de notre économie aux conditions changeantes du monde.
De quoi dépend cette performance ? D’abord de nos prix : ils sont liés au taux de change, bien sûr, mais aussi à nos coûts salariaux, à notre productivité et aux marges de nos entreprises. Interviennent ensuite des éléments hors prix, comme la qualité de nos produits, les services qui y sont attachés et leur variété (la gamme offerte). Enfin, il y a nos spécialisations. A un moment donné, la structure par produits ou l’orientation géographique de nos exportations peut être, ou non, en adéquation avec la demande mondiale. Et sur ce point le diagnostic n’est pas bon. Concernant les services, la France garde une position forte mais, pour l’essentiel, dans le tourisme. S’agissant des biens, le diagnostic est franchement mauvais depuis le tournant des années 2000, en particulier si on compare les performances française et allemande.
Que se passe-t-il alors ? Le change n’a pas de raison d’affecter différemment les exportateurs allemands et français, même si à l’évidence l’appréciation de l’euro ne favorise ni les premiers ni les seconds. Les coûts industriels allemands ont été « plus sages » que les français sur la dernière décennie, mais c’est très largement pour combler l’écart créé par une forte dégradation allemande jusqu’au milieu des années 1990. On a certes été au-delà de ce comblement de l’écart dans la période récente, mais cet avantage de coût est postérieur à la dégradation relative de la situation française. La spécialisation joue un rôle bien entendu, mais d’autant plus limité que les deux pays sont de plus en plus similaires en matière de structure de leurs échanges. Il convient donc de se tourner vers des explications beaucoup plus micro-économiques. Des travaux du CEPII et un rapport du Conseil d’analyse économique ont récemment éclairé le débat.
Le point de départ est l’observation qu’il n’existe pas de différence importante entre les deux pays concernant la réponse des exportations aux variations de prix. C’est le comportement en termes de fixation des prix des exportateurs qui diffère profondément (1). Confrontés à une appréciation de l’euro, les exportateurs allemands semblent capables de maintenir leurs prix (et donc leurs marges) en euros, laissant ainsi leurs prix en dollar augmenter. Pas les exportateurs français, qui doivent serrer leurs prix et accepter de baisser leurs marges. C’est finalement une histoire de parts de marché et de capacité à imposer ses prix.
Par ailleurs, si les exportations françaises augmentent au rythme de la demande, toutes choses égales par ailleurs, celles de beaucoup d’autres pays comparables augmentent jusqu’à deux fois plus rapidement que la demande. Et c’est bien la France qui est ici spécifique, l’Allemagne est dans la moyenne. Quand de nouveaux marchés apparaissent avec des rythmes de progression à deux chiffres, cette relative inertie française est un handicap majeur.
Tous les rapports sur la question de la compétitivité et de l’avenir de l’industrie française concluent à la nécessité de promouvoir l’enseignement supérieur, la recherche. Cela est indispensable sans aucun doute. De même que les efforts entrepris récemment, et ayant mobilisé les marges de manœuvre de l’Etat en termes d’intervention ciblée sur la spécialisation productive. Les pôles de compétitivité d’une part, l’AII de l’autre. On peut discuter tel ou tel aspect de ces dispositifs ; ils ont le mérite d’exister. Même un pays comme les Etats-Unis, avec sa logique de création destructrice et disposant de venture capital, ne dédaigne pas pour autant d’utiliser les grands programmes militaires pour soutenir la recherche industrielle à la frontière des connaissances. L’essentiel, cependant, est de ne pas créer de distorsions dans le Marché unique.
Ce que montrent les travaux récents est malheureusement que tout cela ne devrait pas suffire. Il s’agit maintenant de compléter ces dispositifs par une action globale sur le tissu productif pour en favoriser la réactivité, et non sur les seuls exportateurs ou les seules technologies de pointe. En ce sens les politiques de compétitivité dont la France a maintenant besoin sont des politiques horizontales, renforçant sa position dans le jeu de la concurrence internationale, en s’appuyant sur elle comme un aiguillon de la réforme, tout en admettant que des coûts d’ajustement existent. Cela ne se décide pas à Francfort.
1. Cet aspect est soigneusement étudié par Gaulier G. Lahreche-Révil A. et Méjean I., Structural Determinants of the Exchange-Rate Pass-Through, Document de travail CEPII, 2006-03.
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