IR: en finir avec l'impôt qui cache la forêt! edit
L'impôt sur le revenu concentre toute l'attention du débat fiscal, sans doute parce qu’il est directement acquitté par les contribuables, par opposition aux cotisations sociales et à la CSG qui sont recouvrées par les employeurs. Mais cette focalisation fausse le débat, et ce faisant elle contribue à la création d’usines à gaz qui rendent illisible notre système de prélèvements obligatoires. Pour que celui-ci redevienne intelligible, le débat fiscal devrait porter sur l'ensemble des prélèvements obligatoires sur le revenu, et non sur le seul IR. Cela plaide en faveur d’un dispositif unique, qui intégrerait l’impôt sur le revenu, la prime d'activité, les cotisations sociales non contributives et, même si cela prête à discussion, la CSG.
Le débat fiscal tourne trop souvent autour du seul impôt sur le revenu. D’un côté, le gouvernement se félicite d’avoir réduit le nombre de foyers imposables en 2015. De l’autre, les baisses de taux de l’IR figureront certainement en bonne place dans le programme présidentiel des Républicains. Cette focalisation s’explique aisément : l’impôt sur le revenu est acquitté directement par les contribuables, contrairement à d’autres prélèvements obligatoires comme les cotisations sociales ou la CSG. Mais les conséquences de cette focalisation du débat sur un seul impôt sont désastreuses.
Tout d’abord cela fausse les représentations. Une telle focalisation entretient par exemple l’illusion que les quelque 54% de foyers « non imposables » ne contribuent pas aux finances publiques. Or tous les consommateurs paient la taxe sur la valeur ajoutée, dont le produit représente près de la moitié du budget de l’Etat. Faut-il rappeler que le poids de cette taxe est particulièrement lourd chez les ménages les plus pauvres, qui consacrent une plus grande part de leur revenu à la consommation ?
À l’inverse, la focalisation du débat sur l’IR entretient une confusion entre l’imposition des hauts revenus et leur contribution réelle au budget de l’État. Or si 70% du produit de l’IR provient des 10% des ménages déclarant les plus haut revenus, cela n’implique pas que ceux-ci assurent 70% du budget de l’État ! Car dans ce budget, l’IR ne représente que 25% des recettes environ. Mais la focalisation sur l’IR entretient cette confusion, et légitime ainsi les pressions sur les pouvoirs publics pour obtenir des moyens de contourner l’impôt, comme c’est le cas d’une partie des 190 niches fiscales associées à l’IR.
Par ailleurs les prélèvements obligatoires qui pèsent sur les revenus ne se réduisent pas aux impôts directs ou indirects. Tous les revenus d’activité, ainsi, sont assujettis à la CSG et aux cotisations sociales. Le poids de ces prélèvements est même tel que les bénéficiaires de la prime pour l’emploi ou du volet activité du revenu de solidarité active sont, et de loin, des contributeurs nets. Mais ces contributions, lisibles sur la fiche de paie, ne sont pas acquittées directement. Elles sortent ainsi du débat « citoyen » et ne sont abordées que par les experts discutant du coût du travail ou des équilibres macroéconomiques.
Cela n’est pas sans conséquence. Car de ces représentations faussées, informant un débat tronqué, surgissent des politiques mal conçues et mal articulées les unes aux autres.
Le système de prélèvements obligatoires qui en résulte est une véritable usine à gaz. Une même catégorie de revenus fera l’objet de différentes politiques qui, en s’empilant les unes sur les autres, finissent par être au mieux illisibles, au pire contradictoires.
Prenons l’exemple des petits revenus d’activité, une catégorie qui est l’objet de toutes les attentions des politiques. Un mécanisme comme la décote vise ainsi à réduire le nombre de foyers imposables, en rendant non imposables les contribuables dont le revenu est compris entre 9 690€ et 13 744 euros. C’est un choix discutable, mais c’est un choix. Le problème est que parallèlement, d’autres politiques s’appliquent aux petits revenus ; par exemple, la prime pour l’emploi, et d’autres incitations à la reprise d’activité. Et c’est là que tout se complique.
La loi de finances en vigueur annonce ainsi une première tranche à 14% pour les revenus entre 9 690 et 26 764 euros. Mais en tenant compte de la décote, le vrai barème comprend, pour les célibataires, une première tranche à 28% entre 13 744 et 17 797 euros et une deuxième tranche à 14% entre 17 797 et 26 764 euros. Imaginons un célibataire gagnant initialement 13 743 euros. Si son revenu augmente de 100 euros, il devient imposable. Il paiera donc 14 euros d’IR sur ces 100 euros et perdra également 14 euros de décote (ces 100 euros étant donc imposés à 28% lorsque la perte de décote est prise en compte). En outre, il perdra 19 euros de prime pour l’emploi (si ses revenus sont uniquement le fruit d’une activité à plein temps). Soit 47 euros d’impôt en plus ; ce contribuable subit donc, sur ses 100 euros de revenu supplémentaire, un taux marginal de 47%, un chiffre supérieur au taux de 45% de la tranche supérieure de l’IR ! En outre, il perd le bénéfice des aides locales réservées aux foyers non imposables. Le revenu supplémentaire peut finalement se convertir en perte nette. Très mauvaise opération, et très mauvais signal adressé au malheureux contribuable !
Le système est si complexe que les incitations qu’on a tenté d’y introduire fonctionnent parfois à l’envers. Tout cela manque de cohérence et de lisibilité, une lisibilité qui est pourtant cruciale quand on parle d’incitations. Une remise à plat s’impose, pour des raisons de transparence démocratique et d’efficacité des politiques économiques.
À nos yeux, cette remise à plat passe par l’intégration de l’IR dans un dispositif plus large, qui intègrerait la future prime d’activité, mais aussi les cotisations sociales non contributives et la CSG. Cela ne va pas sans difficulté, comme nous allons le voir, mais l’enjeu est d’importance. Il s’agit d’abord d’offrir au débat fiscal un objet plus large, plus significatif et plus cohérent, afin d’éviter de surcharger l’IR de politiques qu’il ne peut absorber. Il s’agit ensuite de permettre aux contribuables de comprendre correctement les incitations qui leur sont proposées par les pouvoirs publics. Pour cela, il est souhaitable que le barème communiqué intègre l’intégralité des prélèvements.
La création d’un dispositif unique soulève un certain nombre de difficultés, notamment en ce qui concerne la « fusion » entre la CSG et l’IR – un terme ambigu qui empêche la discussion d’avancer. Mais des solutions existent, notamment à long terme. Elles sont notamment discutées dans un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires du 4 février 2015.
Les opposants à la fusion considèrent qu’il serait dangereux de mélanger des prélèvements dont l’affectation est différente. De fait, les cotisations sociales et la CSG alimentent le budget de la sécurité sociale et non celui de l’État ; la Cour de justice des communautés européennes a rappelé récemment que la CSG était une cotisation sociale, ce que la Constitution de la Cinquième République interdit de confondre avec un impôt alimentant le budget de l’État. Une hypothétique « fusion » fragiliserait le financement de la sécurité sociale.
Deux points, ici, demandent à être discutés. Tout d’abord, un quart de siècle après sa création le statut exact de la CSG est loin d’être tranché. S’il est vrai que la Cour de justice des communautés européennes a toujours considéré la CSG comme une cotisation sociale (ce qui en pratique a déterminé le régime de territorialité de la CSG), le Conseil constitutionnel, dans sa Décision n° 90-285 DC du 28 décembre 1990, lui confère un statut « d’imposition de toutes natures ». Le rapport du Conseil des Prélèvements Obligatoires explique cette apparente contradiction par le fait que « le versement de cette contribution n’ouvre pas droit à contrepartie, à l’inverse des cotisations sociales ». Dans cette logique, ce serait moins l’affectation de l’impôt que l’existence ou l’absence de contrepartie qui déciderait de son statut.
Il existe ainsi une véritable divergence d’interprétation et, en tant qu’économistes, il ne nous appartient pas de trancher. Mais nous observons que le flou interprétatif plaide plutôt en faveur de la possibilité d’évolutions que de leur impossibilité.
Par ailleurs, et c’est le deuxième point, au-delà des aspects juridiques il y a la question pratique des flux financiers. On voit bien le risque de tout confondre, qui conduirait à déshabiller Paul pour habiller Jean : le souci d’une partie des opposants à la fusion, ici, est de sanctuariser le financement de la « sécu » en empêchant les politiques de détricoter l’État-providence au profit d’autres politiques publiques. D’autres s’inquiètent d’un alignement de l’IR, et de la politique familiale qui est inscrite dans sa structure, sur la CSG, qui ignore cette politique.
Mais on peut parfaitement maintenir une différence de nature entre ces deux grands types de contributions tout en les intégrant dans un dispositif unique. On peut ainsi garantir qu’une partie du prélèvement finance directement la sécurité sociale, par exemple via la technique de l’affectation a priori d’une fraction du prélèvement. On peut aussi parfaitement imaginer de laisser subsister des degrés de liberté notamment à propos de la conjugalisation de l’impôt ou de la différenciation du traitement des revenus du travail ou du capital.
Bref, ces objections de principe nous semblent devoir être prises en compte, mais elles n’ont rien de rédhibitoire. La création d’un dispositif unique n’a pas pour enjeu de tout confondre. Sa finalité est d’abord pratique, et elle consiste essentiellement à considérer les choses depuis le point de vue du salarié-contribuable.
Comment pourrait-on aller dans cette direction ?
Le prélèvement à la source de l’IR pourrait être une première étape, à même de faciliter son intégration dans un dispositif unique. Car les cotisations sociales et la CSG sont prélevées elles aussi à la source, et en temps réel. Les avantages d’un passage au temps réel à la fois du paiement de l’IR et du bénéfice de la future prime d’activité sautent aux yeux : ils offrent aux ménages une meilleure visibilité, et l’incitation que représente la PPE ouvre sur une « récompense » immédiate.
Cette étape est devenue possible car l’administration fiscale peut désormais communiquer aux employeurs des taux moyens d’imposition en temps réel, grâce, notamment, à la mise en place de la déclaration sociale nominative. L’intégration peut donc se dérouler tout en respectant la confidentialité des données fiscales des contribuables.
Une difficulté non négligeable réside dans le fait que l’IR est calculé au niveau du foyer fiscal alors que la CSG et les cotisations sociales sont déterminées au niveau individuel. Mais rien n’empêche que, en pratique, le dispositif unique comporte deux barèmes. Un premier barème s’appliquerait séparément sur les revenus de chaque membre du foyer. Un second barème serait calculé à partir des revenus de l’ensemble du foyer et pourrait également dépendre du nombre de personnes à charges.
Une deuxième difficulté concerne la taxation des revenus du capital. Encore une fois, on pourrait tout à fait envisager des barèmes différents pour les revenus du travail et du capital. De notre point de vue, le but du dispositif unique est que chaque contribuable comprenne le barème auquel il fait face pour chaque type de revenus.
Le sujet ne doit plus cliver la Droite et la Gauche. Le dispositif issu de la fusion pourra très bien devenir plus ou moins progressif. Il pourra très bien développer les aides aux familles, ou au contraire protéger les célibataires. Il pourra alourdir la fiscalité du capital ou au contraire l’alléger. Il pourra même conserver un certain nombre d’exonérations dûment justifiées. Mais il faut que le débat porte sur l’intégralité du système pour mettre fin à l’illusion fiscale.
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