Pourquoi la politique d'allègement des charges sur les bas salaires est justifiée edit
Depuis 1993, les dispositifs d'allègements de cotisations patronales sur les bas salaires se sont multipliés en France. Aujourd'hui, ces réductions atteignent 26 points au niveau du Smic pour s'annuler à 1,6 Smic. Selon une note commune des services du ministère du Travail et du ministère de l'’Economie, ces mesures s'élèveraient à 19 milliards d’euros. Face à de telles sommes, on doit se demander si les baisses de cotisations patronales ont un effet favorable sur l’emploi.
De nombreux travaux économétriques ont récemment étudié cette question. Un consensus s’est ainsi dégagé pour établir que les allègements de charges sociales entraînent une baisse substantielle du coût du travail qui se répercute de manière significative sur l’emploi. Bien sûr, l’ampleur de ces mécanismes de stimulation de la demande de travail reste le sujet d’âpres discussions. Mais, pour donner un ordre de grandeur, la même note ministérielle avance que la suppression de l’ensemble des allègements de charges sur les bas salaires détruirait à terme 800 000 emplois. Or les critiques se multiplient face à ce que l’on pourrait considérer comme une vraie réussite en matière de politique économique.
Une première critique est que ces allègements de charges constitueraient un cadeau sans contrepartie accordé au patronat. Cet argument est contestable car les allègements de charges constituent une incitation à l’emploi à travers la baisse induite du « prix » du travail peu qualifié. Les études économétriques attestent qu’une baisse de 10 % du coût du travail peu qualifié augmente de 5 à 10 % l’emploi non qualifié. Il y a donc bien une contrepartie, même si elle est implicite. De plus, en jouant sur le seul prix on agit sur un puissant levier d’incitation qui évite les lourdeurs bureaucratiques qu’entraîneraient un conditionnement des allègements de charges à l’évolution de l’emploi dans chaque entreprise.
L’argument du cadeau sans contrepartie est également contestable sur le plan moral. La France a ceci de particulier que le salaire minimum constitue un pilier central dans la politique de redistribution des revenus. Aussi, lorsqu’on augmente le Smic sans modification des taux de cotisations, ce sont les entreprises qui assument les conséquences des choix redistributifs de la société. Or, il est à la fois plus logique sur le plan moral et plus efficace sur le plan économique de faire reposer le poids de la redistribution sur les ménages aisés plutôt que sur les entreprises.
Un deuxième argument concerne le coût budgétaire des allègements de charge. Celui-ci représente environ 5 % des dépenses de l’ensemble des administrations publiques. Mais il ne s’agit là que d’un coût « ex-ante » qui ne tient pas compte des rentrées fiscales issues des emplois supplémentaires générés par les allègements de charges. Il s’agit du fameux argument de Laffer selon lequel « trop d’impôt tue l’impôt ». Un petit calcul de coin de table permet d’évaluer à 5 milliards d’euros les économies budgétaires réalisées. Chaque emploi créé ou sauvegardé rapporte au moins 19% de cotisations patronales restantes, auxquelles s’ajoutent des cotisations salariales et des rentrées fiscales supplémentaires. En tout, cela représente environ 44% du salaire brut soit au minimum 6 400 euros par emploi créé ou sauvegardé. Si l’on retient le chiffre officiel de 800 000 emplois créés, on arrive alors à une économie d’environ 5 milliards. Le coût net des allègements de charges ne serait donc que de 14 milliards.
La question peut être posée autrement : pourquoi consacrer ces milliards aux allègements de charges sur les bas salaires ? Pourquoi ne pas les consacrer à une baisse de l’impôt sur le revenu (IR) ? La réponse est que les comportements économiques réagissent très peu aux baisses des taux d’imposition de l’IR. Cela signifie que l’argument de Laffer ne peut être employé pour n’importe quelle mesure d’allègement de fiscalité mais doit au contraire reposer sur une estimation des effets induits de toute réforme sur les comportements économiques.
Un dernier argument dénonce la « trappe à bas salaire » que créeraient les allègements de charges. En effet, les allègements de charges entraînent un coût supplémentaire pour les entreprises lorsqu’elles revalorisent les salaires de leurs employés les moins bien rémunérés. L’argument est théoriquement juste. Mais il n’est pas propre aux allègements de charges patronales et s’applique en fait à tout dispositif qui rend progressif les prélèvements sur les revenus du travail. En effet, plus les prélèvements sont progressifs, et plus coûteux sera pour une entreprise une même augmentation de revenu après impôt de ses salariés. On ne peut donc éviter cet écueil, à moins de renoncer à l’idée que les prélèvements doivent être progressifs. On peut toutefois atténuer cet écueil en accompagnant les baisses de charges par des revalorisations du Smic. C’est d’ailleurs souvent ainsi que les choses se sont passées dans notre pays.
Il existe cependant un certain nombre de pistes à développer pour rendre à la fois plus transparents et plus efficaces les dispositifs d’allègements de charges sur les bas salaires.
Premièrement, les exonérations d’impôt sur le revenu pour l’emploi d’assistante maternelle ou de garde d’enfant à domicile participent de cette logique de subvention de l’emploi non qualifié. Mais en prenant la forme de réduction de l’impôt sur le revenu, elle bénéficie aux seuls contribuables imposables. Le prix de ces services de garde d’enfants varie alors selon le revenu imposable. Il s’agit donc de mécanismes qui sont non seulement inéquitables, mais qui nuisent à la transparence du lien entre l’aide fiscale et la baisse du prix du service. Il faudrait donc que toutes ces aides soient converties en seules baisses de cotisations patronales à l’Urssaf. Cette remarque vaut également pour la déduction d’impôt permise pour les particuliers utilisant le Chèque emploi service universel.
Deuxièmement, le débat sur les allègements de charges reste ouvert entre deux options politiques. Si l’objectif est de créer le plus d’emploi à moindre coût budgétaire, alors des économies substantielles peuvent être réalisées en réduisant la borne supérieure des exonérations qui est actuellement de 1,6 Smic. Mais une telle option risque d’accroître le piège de trappe à bas salaires. Il y a là un choix politique qu’il convient d’expliciter.
Troisièmement, les exonérations de charges patronales jouent sur la demande de travail. Or, cette seule politique risque d’entraîner des difficultés supplémentaires pour les entreprises à embaucher. Aussi pour éviter cet écueil, il convient d’améliorer également les dispositifs de suivi et d’accompagnement des chômeurs.
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