Les trois tabous économiques que transgresse Emmanuel Macron edit
Les campagnes électorales devraient être l’occasion de débattre des coûts et des avantages des propositions de chaque force en présence. Pour qu’un débat de qualité puisse avoir lieu, il est nécessaire d’éviter de s’enfermer dans des idées préconçues. Parmi celles qui ont cours, on reproche souvent au programme d’Emmanuel Macron d’oublier « la France d’en bas ». Pourtant, son programme comprend un grand nombre de mesures ciblées sur les bas revenus, comme l’augmentation de 50% de la prime d’activité, l’exonération de la taxe d’habitation en fonction du revenu ou la revalorisation du minimum vieillesse. C’est un paradoxe qui peut s’expliquer par le fait que son programme déroge à trois idées solidement ancrées et dont la pertinence mérite d’être discutée.
La première de ces idées concerne le diagnostic d’une crise économique qui serait principalement dû à un problème de demande : ce serait « l’austérité » imposée par l’Europe et la BCE qui serait responsable de la faiblesse de l’emploi dans notre pays. Il conviendrait alors selon cette approche de faire davantage de dépenses, moins d’impôts, des taux d’intérêt plus bas et de la dévaluation. Pourtant, les Pays-Bas, l’Autriche ou l’Allemagne réussissent à obtenir des taux d’emploi bien plus élevés avec la même politique monétaire, avec les mêmes contraintes budgétaires et avec la même politique de change que nous. En réalité, il existe un consensus en macroéconomie expliquant que les relances keynésiennes peuvent certes avoir un effet bénéfique sur la croissance et l’emploi, mais que cet effet n’est que transitoire, le désaccord entre économistes portant essentiellement sur la durée de cette transition. Ainsi, les relances keynésiennes sont utiles suite à une crise subite comme celle de 2008 aux Etats-Unis car elles permettent d’amortir le choc. Mais notre problème de chômage est différent de celui des Etats-Unis où le chômage est beaucoup plus cyclique. De ce point de vue, il nous semble souhaitable qu’après une décennie de déficits massifs, et malgré des taux d’intérêt aujourd’hui historiquement faibles, le problème du chômage soit posé en France en termes de réformes structurelles qui doivent bien entendu être discutées et débattues, et non limité à la seule préconisation d’une relance keynésienne.
La deuxième conviction largement répandue est l’idée qu’il faudrait faire peser le poids de la redistribution sur les entreprises. Cette logique permet implicitement de justifier le rôle du salaire minimum qui présente l’apparent mérite d’augmenter les revenus des salariés sans avoir à augmenter les impôts. L’impôt sur les sociétés apparaît également comme une manière de renflouer les finances publiques sans taxer les ménages. Pourtant, derrière chaque entreprise, il y a des actionnaires, c’est-à-dire des ménages. Prétendre que l’on peut taxer les entreprises sans toucher au moins certains ménages est donc complètement illusoire. C’est ce qu’illustrent les milliards d’euros de baisses de cotisations patronales à bas salaires et de CICE que la France dépense chaque année pour atténuer les effets négatifs du SMIC sur l’emploi et la compétitivité. Enfin, la France est en retard dans la concurrence fiscale qui sévit en Europe sur les taux d’impositions des sociétés et qui conduit les acteurs financiers à investir dans d’autres économies que la nôtre. Dans un tel contexte, la baisse des taux de l’impôt sur les sociétés ou la transformation du CICE en allègements de cotisations patronales doivent être vues comme des mesures destinées à aider les entreprises à créer de l’emploi et non comme des mesures contre la redistribution. Ce n’est pas aux entreprises de subir le poids de la redistribution, mais aux ménages les plus aisés, aussi impopulaire que soit un tel constat ; faciliter la vie des entreprises n’est donc pas forcément contradictoire avec un souci de justice sociale et des instruments comme notamment la Prime d’Activité peuvent être beaucoup plus efficace pour redistribuer.
La troisième conviction est un peu la conséquence du deuxième. Protéger les emplois en CDI n’est plus forcément la manière la plus efficace de sécuriser les revenus des salariés. Aujourd’hui, il y a chaque mois près de 10 fois plus d’inscriptions à Pole emploi suite à la fin d’un CDD ou d’une mission d’intérim qu’à la suite d’un licenciement pour raison économique. La complexité actuelle du code du travail pousse selon toute vraisemblance les entreprises à multiplier les CDDs et les missions d’intérim plutôt que de recruter en CDI. Pire, le code du travail et le salaire minimum sont aujourd’hui de plus en plus contournés par le processus « d’ubérisation » par lequel un grand nombre de travailleurs sont poussés à devenir leurs propres employeurs. Aussi paradoxal que cela puisse sembler, contenir le développement des emplois précaires passe par une garantie pour les entreprises, surtout les PME, qu’il leur sera possible de licencier un CDI en cas de nécessité. Cela va de pair avec la prise en charge par l’Etat, c’est-à-dire l’ensemble de la société, de la (re)formation des chômeurs. L’idée de la « fléxicurité » n’est donc pas forcément antinomique avec un désir de redistribution, même si bien évidemment, chaque mesure de simplification du code du travail doit être mûrement discutée et débattue.
Comment combiner au mieux redistribution et incitations implique des choix difficiles qui doivent être tranchés au niveau politique. Il est donc essentiel que ces débats ne soient pas bloqués par des postures et qu’au contraire on puisse réfléchir sur les instruments de redistribution les plus efficaces.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)