Mieux loger les classes moyennes edit
Le gouvernement a adopté depuis 15 mois des positions souvent volontaristes mais qui n’ont pas toujours convaincu. Fallait-il stimuler la demande par des mesures fiscales au moment où les tensions sur le marché étaient déjà très fortes ? Comment réagir au moment où la conjoncture s’assombrit ? La politique du logement n’est pas le domaine des improvisations ; pour trouver un meilleur équilibre du marché, c’est du côté de l’offre qu’il faut faire preuve de volontarisme.
La question du logement s’est imposée comme l’un des grands thèmes de la campagne présidentielle de 2007. L’attention du public et des élus se concentre chaque hiver sur le sort des plus défavorisés mais le problème est beaucoup plus large. On a le sentiment que l’ascenseur résidentiel est en panne : c’est clairement l’une des composantes du « désarroi des classes moyennes ». De plus, une crise chasse l’autre ! La hausse très rapide des prix a été pendant plusieurs années le symptôme d’une crise du logement, aujourd’hui on redoute que le retournement de conjoncture annonce une crise de la construction.
La politique du logement menée en France depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale a permis d’accompagner les profondes mutations qu’ont connues l’économie et la société. Les conditions moyennes de logement (confort, surface) se sont régulièrement améliorées. Le nombre de propriétaires de leur résidence principale atteint aujourd’hui près de 57%. La France, mieux que ses voisins européens, a fait le choix d’une offre diverse où coexistent propriétaires et locataires, dans un parc privé et public. Cette diversité du marché immobilier est un atout très important parce qu’elle conjugue l’offre flexible que requiert une économie de plus en plus mobile et l’investissement patrimonial qu’appelle une société plus riche et plus âgée. Contrairement à d’autres domaines où l’exception française est justement critiquée, notre modèle n’a pas, en matière de logement, démérité.
Mais les dysfonctionnements se sont clairement multipliés ces dernières années. L’accélération des prix depuis le début de la décennie en est le meilleur résumé. Alors que le prix des logements déflaté par l’évolution du revenu des ménages fluctuait depuis 1965 entre les indices 90 et 110 (ce que les spécialistes appellent le « tunnel de Friggit » du nom de son auteur), on observe à partir de 2000 un dérapage puisqu’en 2007 l’indice atteint 170 pour la France entière, 190 en Ile-de-France. Le coût du logement représente une part croissante des dépenses des ménages ; l’accès au logement devient un facteur social très discriminant, les inégalités se creusent avec leurs conséquences sur l’éducation, les temps de transport, la mixité sociale ; le taux d’effort des accédants à la propriété augmente, s’endetter plus ne signifie pas nécessairement vivre mieux. L’origine fondamentale de ces dysfonctionnements, c’est l’insuffisance de l’offre.
Il y a un accord parmi les experts pour juger que le besoin de construction, une notion certes entourée d’incertitudes, est de 450 000 logements par an, le rapport Attali ayant même retenu le chiffre de 500 000. Un retard très important s’est accumulé depuis 15 ans, les mises en chantier moyenne se sont situées au voisinage de 285 000 entre 1996 et 2000 puis de 330 000 entre 2000 et 2005 pour atteindre 435 000 en 2006 et 2007. Aujourd’hui, les besoins sont toujours là mais le repli s’est amorcé. Pourquoi ne construit-on pas assez de logements en France ? Pourquoi construit-on à la campagne mais pas assez en zone tendue ? Or c’est bien là que l’insuffisance du parc disponible est le plus criant et c’est donc là qu’il faut faire porter l’effort. Dans ce contexte, nous avons, dans un récent rapport du Conseil d’analyse économique, passé en revue un grand nombre de pistes, la question des aides fiscales, la bonne utilisation de l’ISF et des droits de succession, les coûts de transaction, plus élevés en France que chez beaucoup de nos voisins, ou encore la modernisation du crédit dans un contexte où l’exception française que constitue le cautionnement pourrait être remis en cause par les propositions de la Commission européenne. Mais fondamentalement, vu l’ampleur des besoins, c’est du côté de l’offre que se concentrent nos principales recommandations.
L’essentiel est de desserrer les contraintes physiques. Le marché immobilier a ceci de particulier par rapport à celui des tomates ou des automobiles que l’un des inputs, l’espace, n’est pas reproductible. L’économie moderne provoque, comme l’a fort bien montré le récent prix Nobel Paul Krugman, des effets d’agglomération qui exigent une forte intervention publique pour prendre en compte les externalités. Concrètement, cela suggère que l’on ne réduira pas – comme on peut le faire à Denver, Colorado ou Phoenix, Arizona - les tensions les plus fortes en misant tout sur la construction individuelle. Après les erreurs et les échecs des années 1970 qui ont contribué à discréditer les « grands ensembles », il faut élaborer un nouvel urbanisme permettant de densifier le parc immobilier là où sont les besoins ce qui est au demeurant en ligne avec les exigences du développement durable puisque l’éparpillement périurbain est le plus grand ennemi de l’environnement. Dans les zones les plus tendues, l’accroissement du parc ne pourra être obtenu qu’en densifiant des espaces déjà construits, notamment en ayant recours à la construction de tours. Dans d’autres localisations, il s’agira, en renforçant des mesures existantes mais trop timides, de décourager la détention improductive du foncier non bâti et de capter au profit des collectivités locales les plus-values foncières que procure la transformation d’un terrain devenant constructible.
Le second axe consiste à réformer la gouvernance de la politique du logement. Les lois de décentralisation ont été une réforme importante pour la société française. Mais les dysfonctionnements consécutifs à la multiplication des niveaux de décision ont souvent été dénoncés. Le diagnostic est sévère en particulier en matière de logement et d’urbanisme : le respect de la démocratie locale ne doit pas aboutir à sanctifier l’égoïsme local. Même dans une économie décentralisée, il faut trouver le moyen de faire prévaloir une forme d’intérêt général permettant de construire là où c’est nécessaire. La bonne échelle pour définir et satisfaire cet intérêt général est celle de l’agglomération. En langage administratif, c’est à l’échelon intercommunal que doivent être concentrées et renforcées les compétences en matière d’urbanisme et d’habitat. Et l’Etat, comme l’avait proposé le rapport Attali, doit créer les conditions d’une bonne planification urbaine et, par un renforcement du pouvoir des préfets, être en mesure de la traduire sur le terrain.
Le logement social a, en France, un rôle très étendu et c’est un atout ; les demandes adressées à ce secteur sont d’ailleurs pressantes et en croissance surtout après la loi DALO. Clairement, ce n’est pas le moment de réduire les efforts engagés dans ce secteur et l’on voit à juste titre les parlementaires sensibles à cet aspect du projet de budget pour 2009. Mais au delà de la conjoncture, c’est la question de la gestion du parc social qu’il faut poser. Ce serait une erreur de considérer la gestion de 20% du parc, plus en zone urbaine concentrée, comme échappant à toute logique économique. Tel est pourtant le cas : le rôle des prix comme signal pour les agents ou la concurrence comme facteur d’émulation y ont peu de prise. Pour des raisons d’efficacité aussi bien que d’équité, il est donc important de donner un nouvel horizon à ce secteur en activant la gestion du parc et du patrimoine immobiliers des HLM. Plus que par la vente au détail des logements, dont l’expérience passée a suggéré qu’il pourrait s’agir d’une fausse bonne idée, cela passe, en matière de gestion, par l’application de la loi sur la révision des loyers en cas de hausse des rémunérations (le contraire produit des effets d’inéquité sur lesquels un voile pudique est jeté à tort), par la différentiation des plafonds de ressources ou encore par l’adaptation du droit au maintien dans les lieux en un droit au maintien dans le parc afin de lutter contre la sous-occupation. Il faut par ailleurs mettre en oeuvre une gestion plus active du patrimoine permettant de rehausser le niveau des investissements là où ils sont nécessaires. Cela passe par une modernisation de la gouvernance et de la stratégie des offices HLM : regroupement et uniformisation des statuts, transparence de direction, restructurations et regroupements, partenariats publics privés.
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