Syriza, de l’enthousiasme à la résignation edit
Contre les oracles et les sondeurs, Alexis Tsipras a réussi son pari de gagner les élections anticipées du 20 septembre, provoquées par sa démission du poste de Premier ministre de la Grèce. Il retrouve à un point près (35,5%) le score obtenu en janvier, lors de son arrivée au pouvoir. Mais les temps ont bien changé. Au début de l’année, il avait été porté par l’enthousiasme. En septembre, il doit sa victoire au fatalisme résigné de la majorité de ses concitoyens. Certes sur les huit partis aujourd’hui représentés à la Vouli, le Parlement d’Athènes, six sont favorables au maintien de la Grèce dans l’euro et soutiennent, bon gré mal gré, le troisième mémorandum imposé par les créanciers du pays. Alexis Tsipras peut compter sur une majorité de 155 sièges (sur 300). Les députés de son parti qui songeraient à voter contre les mesures exigées par l’Europe seront refroidis par le résultat médiocre obtenu par les dissidents de gauche de Syriza. Regroupés dans l’Unité populaire sous l’égide de l’ancien ministre de l’Énergie Panagiotis Lafazanis, ceux-ci ont échoué sur la barre des 3% nécessaires pour entrer au Parlement. Et malgré les 60% enregistrés au référendum anti-austérité du 5 juillet, les deux tiers des Grecs sont toujours partisans de l’euro contre un retour à la drachme.
Toutefois le paysage politique est moins favorable à Alexis Tsipras que les résultats bruts du scrutin pourraient le laisser penser. S’il n’a pas de rival dans la classe politique grecque, il ne peut ignorer que seul un Grec sur cinq a voté pour lui. Le taux d’abstention atteint 45% dans un pays où le vote est en principe obligatoire, signe d’une profonde méfiance envers tous les partis. Les deux formations foncièrement anti-européennes, le Parti communiste et le parti néonazi Aube dorée (la troisième force au Parlement) ont ensemble plus de 12% des voix. L’Union centriste d’un amuseur populiste et complotiste, certes pro-européen, entre pour la première fois à la Vouli après de nombreuses tentatives infructueuses. Même Anel, le parti des Grecs indépendants, membre de la coalition gouvernementale avec Syriza, est un allié douteux. Son chef, Panos Kammenos, est un ancien de la Nouvelle Démocratie, qu’il a quittée parce qu’il la trouvait trop modérée. Connu pour quelques saillies antisémites, c’est surtout un souverainiste guidé par l’opportunisme. Son alliance avec Syriza lui permet d’avoir un ou deux maroquins. La même absence de considération idéologique détermine le choix d’Alexis Tsipras. Anel est un allié plus docile que ne le serait le Pasok (socialiste) ou Potami, le nouveau parti libéral pro-européen. Toutes ces raisons amènent à relativiser l’impression d’adhésion au programme européen donnée par le scrutin du 20 septembre.
Face au risque de catastrophe économique et sociale, Alexis Tsipras a été obligé d’accepter les conditions des créanciers contre lesquelles il avait fait campagne aux élections de janvier et au référendum de juillet. Il a fait adopter par le précédent Parlement le tour de vis fiscal qui prend effet au 1er octobre, avec l’aide de l’opposition pro-européenne contre sa propre aile gauche. Il s’est engagé à entamer les réformes réclamées par l’Europe et le FMI. Il le fait contraint et forcé, bien que certaines aillent dans le sens qu’il a lui-même défendu d’une abolition des privilèges, d’une lutte contre la corruption et d’une modernisation de l’administration. D’autres au contraire sont aux antipodes de la doctrine de son parti et de ses promesses électorales de janvier : libéralisation du marché du travail, report à 67 ans de l’âge de la retraite, limitation des préretraites, privatisations, etc.
Il a compris qu’il n’avait d’autre choix que de les mener à bien. Et la majorité des Grecs a compris qu’il n’y avait pas d’alternative. Certains créditent encore Alexis Tsipras d’une volonté de se battre pour épargner aux plus faibles des sacrifices insupportables. Mais bien peu y croient vraiment. C’est sans doute la différence la plus grande entre la Grèce et d’autres pays européens qui ont traversé la crise au cours des dernières années. Dans la plupart d’entre eux les dirigeants et l’opinion espéraient que les réformes douloureuses déboucheraient sur une amélioration de la situation. Beaucoup se sont appropriés les réformes. Ce n’est pas le cas en Grèce où le désenchantement l’emporte sur l’espoir. Où jusqu’à maintenant, aucun responsable politique n’a tenu un discours positif en faveur d’un changement certes imposé de l’extérieur mais indispensable en toutes hypothèses à la sortie de la crise.
Au soir de sa réélection Alexis Tsipras a invité ses compatriotes à « retrousser leurs manches » et à « travailler dur ». Mais son appel à la mobilisation reste ambigu. Il vise autant la négociation qu’il veut poursuivre avec les créanciers pour, dit-il, tirer le meilleur profit des « zones d’ombre » de l’accord passé avec l’Eurogroupe, que la mise en œuvre du programme. Pendant la campagne, il avait convoqué ses amis de la gauche de la gauche européenne – pour la France, le Parti communiste et non Jean-Luc Mélenchon qui fraternise plutôt avec les dissidents de l’Unité populaire. Avec eux, il affirme encore rêver de bouleverser la politique européenne, malgré les déconvenues. Il hésite entre son passé récent de tribun populaire et un avenir de leader social-démocrate. Ses sept premiers mois au gouvernement et la négociation au bord du gouffre avec les partenaires européens devraient lui enseigner le réalisme. Jusqu’à maintenant il s’est révélé un redoutable tacticien. Il lui reste à devenir un homme d’Etat.
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