À droite, la tentation autrichienne edit
Sebastian Kurz a ravi à Emmanuel Macron le titre de plus jeune chef d’État ou de gouvernement européen. Mais à 31 ans, le nouveau chancelier autrichien se distingue surtout par la coalition que sa formation conservatrice, l’ÖVP, a nouée avec la droite populiste du FPÖ, le parti dit « libéral ».
Ce n’est certes pas une première dans l’histoire de la IIe République. Un autre chancelier conservateur avait franchi le pas en 2000. Pour arriver au pouvoir, Wolfgang Schüssel avait pactisé avec le parti dirigé alors par le sulfureux Jörg Haider. Avec à l’époque une stratégie imitée de celle pratiquée par François Mitterrand vis-à-vis des communistes en 1981: les embrasser pour mieux les étouffer. En ce sens, Schüssel avait réussi. Après leur participation au gouvernement, les populistes avaient perdu les trois quarts de leurs voix, tombant à 5%. Cependant cette alliance considérée alors contre nature – bien que dans les années 1980, les sociaux-démocrates aient aussi gouverné avec un FPÖ, certes plus modéré – avait déclenché une vague de protestations dans l’Union européenne. Les dirigeants autrichiens avaient été boycottés pendant quelques mois, aussi bien par la droite classique que par la gauche.
Rien de tel cette fois. La désapprobation ne va pas au-delà de quelques inquiétudes sur la politique européenne de Vienne et de quelques appels à la « vigilance ». Une des raisons tient au fait que l’Autriche n’est pas un cas particulier en Europe où, dans de nombreux pays, les populistes participent au pouvoir quand ils ne dirigent pas le gouvernement. Non seulement la coalition ÖVP-FPÖ apparaît comme une certaine normalité, mais elle devient une sorte d’exemple, en tous cas une solution pour tenter de régler les rapports entre la droite modérée et l’extrême-droite populiste. Puisque l’essor de celle-ci risque de priver la première d’une majorité de gouvernement, il faut chercher à récupérer ses électeurs au prix d’un rapprochement idéologique, voire institutionnel avec elle. C’est le raisonnement d’une partie de la droite classique. On le voit en France avec la stratégie que veut mettre en place Laurent Wauquiez, comme en Allemagne après l’échec des négociations pour une coalition entre la démocratie-chrétienne, les Verts et les libéraux. À court terme, cette stratégie n’implique pas une alliance formelle avec le Front national ou l’AfD (Alternative für Deutschland), qui rebute encore une partie de la droite. Elle induit cependant une porosité entre les thèmes de campagne, sur deux sujets principaux, l’Europe et l’immigration – en particulier musulmane –, comme on l’a vu d’une manière chimiquement pure en Autriche. Non sans raison, le chef du FPÖ, devenu entre-temps vice-chancelier, a accusé Sebastian Kurz de lui avoir « volé ses idées ».
En Allemagne, la présence d’Angela Merkel masque une telle évolution, en tout cas l’empêche pour un certain temps de s’affirmer. Avec son pragmatisme imperméable à toute idéologie, la chancelière a mené depuis 2005 une politique centriste. Son parti, la CDU, qui couvre traditionnellement un large spectre de l’opinion à droite, jusqu’au conservatisme assumé représenté par le parti-frère bavarois, la CSU, l’a suivie parce qu’elle lui a assuré le maintien au pouvoir. Une fois avec les libéraux (2009-2013), deux fois avec la social-démocratie (2005-2009, 2013-2017), en attendant peut-être une troisième moûture de la « grande coalition ». Avec l’effritement des voix obtenues aux élections par la démocratie-chrétienne, les critiques se font entendre de plus en plus fortement contre les concessions qu’Angela Merkel aurait consenties au SPD. La chancelière est accusée d’avoir présidé à une « social-démocratisation » de son parti et créé un vide à droite qui a été rempli par les populistes de l’AfD.
Ces critiques restaient marginales aussi longtemps que la CDU-CSU pensait son pouvoir assuré et son contrôle sur l’opinion de droite inchangé. La situation a changé avec la montée de l’AfD. Le succès de ce parti populiste d’extrême-droite aux dernières élections parlementaires du 24 septembre – 12,6% des suffrages et 92 députés au Bundestag – est expliqué, en partie, par la politique d’ouverture menée envers les réfugiées par Angela Merkel en 2015. Selon les membres de son propre parti qui critiquent la chancelière, ce succès de l’AfD a empêché la formation d’une coalition « bourgeoise » (CDU-CSU/FDP) et entraîné l’Allemagne vers une nouvelle « grande coalition », alliance entre les partis qui ont perdu le plus de voix aux élections.
L’histoire du parti libéral allemand (FDP) n’est pas comparable à celle du parti libéral autrichien. Pourtant le président du FDP, Christian Lindner, 39 ans, regarde vers l’Autriche et tire les leçons des choix qui ont été faits dans la petite république alpine. Il a sciemment sabordé en octobre les négociations qui avaient commencé avec Angela Merkel et les écologistes pour la formation d’une coalition dite « jamaïcaine » (noire, jaune, verte). Il a considéré que son parti avait plus à gagner dans l’opposition qu’au gouvernement. Le FDP a pâti de sa collaboration avec Angela Merkel de 2009 à 2013. Il l’a payée par sa sortie du Bundestag après avoir échoué à franchir le seuil des 5% des voix. Au scrutin de 2017, il a obtenu 10,7%, mais Christian Lindner pense qu’il peut espérer plus s’il va chasser sur les terres de l’AfD. En adoptant une ligne eurosceptique contraire à la tradition du parti libéral allemand et essayant d’être plus dur sur l’immigration que la CSU bavaroise elle-même – qui a imposé un plafond de 200 000 réfugiés acceptés chaque année en Allemagne –, le président du FDP veut s’adresser en priorité aux électeurs des populistes.
Une partie de la jeune garde démocrate-chrétienne qui attend son heure à l’ombre d’Angela Merkel est favorable à cette forme de droitisation. Elle prépare la relève en alliance avec des libéraux qui semblent avoir abandonné leur tradition humaniste et pro-européenne au profit d’un discours « national-libéral ». L’objectif est de remplir le vide créé à droite et de flatter les électeurs tentés par l’AfD pour les faire revenir vers les partis traditionnels. Au risque, comme en Autriche, de légitimer les thèses de la droite populiste.
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