L’Europe et les sept nains edit

11 avril 2018

Il est connu que les Néerlandais ne manquent pas d’humour parfois à leur détriment, c’est ainsi que le Volkstrant du 6 mars commente une coalition initiée par leur ministre des Finances Wopke Hoekstra sous le qualificatif « Hoekstra et les sept nains ». De quelle coalition s’agit-il ?

Lors de sa conférence à la Fondation Bertelsmann le 2 mars à Berlin, le Premier ministre néerlandais Mark Rutte avait insisté sur trois points : s’en tenir aux objectifs originaux de l’Europe visant prospérité, sécurité et stabilité, appliquer les compromis à tous et en totalité, d’où la conclusion « Les États membres sont l’alpha et l’oméga de la coopération européenne. Bruxelles est au service des États membres, pas l’inverse ».

Quelques jours après, Wopke Hoekstra réunissait ses collègues de sept autres pays pour former ce qu’Elie Cohen qualifie de « club du veto » (Pays-Bas, Suède, Danemark, Finlande, Irlande et les trois pays Baltes). La volonté consiste explicitement à faire barrage aux projets franco-allemands de réforme de la zone euro et plus généralement à une direction de l’Europe sous duo entre les deux premières puissances économiques de l’Union.

On remarquera que de ces huit pays, deux ne sont pas membres de la zone euro, qu’ils pèsent à peine 10% de la population totale et qu’ils ne sont pas suffisants pour s’opposer à un vote à la majorité qualifiée au Conseil des ministres. Cependant il est facile de prévoir qu’ils trouveront facilement des alliés par exemple avec les quatre pays de Visegrád, sans parler de l’Autriche, quant à l’Italie quelle sera l’orientation européenne de son futur gouvernement ? difficile à prévoir.

Réunir une telle coalition, quelques jours après le discours de Mark Rutte, illustre la volonté de rester dans un cadre intergouvernemental notamment en ce qui concerne le projet de Fonds monétaire européen dont les décisions doivent échapper à la Commission et au Parlement européen. On est donc aux antipodes du « projet Macron » avec un ministre européen des Finances, membre de la Commission et un Parlement européen des pays de la zone euro. En réalité, comme le notent certains commentaires dans la presse allemande, il s’agit de la vision de Wolfgang Schäuble.

Beaucoup de pays craignent en effet que sous la pression française, l’Allemagne finisse par se ranger aux principales propositions du discours de la Sorbonne. Il semble que cette crainte soit excessive.

Un désaccord croissant avec l’Allemagne

Il y a un peu moins d’un an, on voyait fleurir des articles célébrant un europhile convaincu à la tête de la France, laissant penser que des avancées européennes décisives allaient pouvoir être menées à bien. Cependant comme le note Cyrille Schott, en Allemagne, on perçoit de l’admiration et du soulagement mais aussi « de l’ironie et de l’inquiétude : Macron veut faire payer l’Allemagne. Notre chère (expensive en anglais) France ». (Schott, 2018).

Cette crainte est déplacée car les esprits évoluent de plus en plus Outre-Rhin vers une Europe intergouvernementale. Ce n’est pas très loin de la position traditionnelle d’Angela Merkel exposée dans son discours de Bruges le 2 novembre 2010 : c’est celle d’une union où les États occupent la première place.

Or l’Allemagne, volontairement ou non, exerce par sa vie politique propre une influence déterminante sur le cadre et le calendrier des institutions européennes.

« Est-il normal que les travaux du Conseil européen aient été conditionnés, à l’automne 2011, à la consultation du seul Bundestag qui devait donner mandat à madame Merkel ? Est-il sain que le vote des co-législateurs européens, Parlement et Conseil des ministres, ait été suspendu à l’accord du Bundesrat au point de reporter encore de deux mois (de juillet à septembre 2013) l’entrée en vigueur des textes créant une supervision bancaire unique confiée à la BCE ? (Goulard, 2013).

Non seulement le calendrier parlementaire allemand joue sur le calendrier européen mais également le calendrier des grands pays. En 2016- 2017 on différait des décisions européennes dans l’attente des élections françaises, puis des élections allemandes puis des élections italiennes. En cette fin mars 2018, des voix romaines s’élèvent pour dire : « nous avons attendu six mois pour décider à nouveau dans l’attente d’un gouvernement allemand, vous attendrez bien quelques semaines pour attendre un gouvernement italien ».

Il y a le calendrier parlementaire, le calendrier électoral et aussi le calendrier judiciaire. On a vu la Cour constitutionnelle de Karlsruhe renvoyer à la Cour de Luxembourg l’interprétation d’initiatives de la BCE. Pis en matière judiciaire, on voit des décisions européennes soumises à des juges nationaux statuant selon leurs règles internes. On répond alors à la revendication du FN mais si le droit national doit être supérieur au droit international il n’y a ni droit européen ni droit international.

On assiste depuis 2007 à ce mouvement de renationalisation des politiques européennes, d’où un pouvoir déterminant aux « grands pays » et la volonté de coalition de « petits pays » pour s’opposer à eux : les sept nains, le groupe de Visegrad.

La méthode communautaire s’efface ainsi au profit de la méthode intergouvernementale soit en cherchant un consensus unanime face à toute initiative, soit en instaurant des traités internationaux en dehors des traités européens (Dero-Bugny, 2014).

Or cette approche séduit de plus en plus Outre-Rhin. Lors des premières négociations entre la CDU/CSU et le FDP pour la coalition « Jamaïque », le leader du FDP Christian Lindner s’était opposé à l’adoption des propositions d’Emmanuel Macron : pas de pipe-line monétaire qui partirait de l’Allemagne pour alimenter les autres pays, pas d’union bancaire, les États nationaux doivent être responsables de leurs banques. De même les Verts se sont opposés à l’instauration d’un budget supplémentaire.

Les propositions françaises ont par la suite fait l’objet d’une attaque en règle de la part d’Otmar Issing, ancien chef économiste de la BCE lors de la mise en place de l’euro. Jens Spahn, actuel ministre de la Santé à Berlin mais opposant à un quatrième mandat de Madame Merkel, a repris ces critiques et déclare : « Le rêve poussé par quelques leaders du continent consistant à mélanger les États nationaux dans une sorte d’Etats-Unis d’Europe n’est pas soutenu par une majorité de citoyens et de pays. Nous avons besoin d’une coopération étroite entre les États nationaux pour résoudre les problèmes concrets » (Spahn, 2018) et plus loin « En tant qu’Allemands, nous devons avoir conscience de notre rôle particulier comme plus important membre de l’ensemble, tout en nous efforçant de comprendre les points de vue des autres pays membres ». 

La nomination d’un SPD à la tête du ministère des Finances avait laissé naître quelques espoirs mais Olaf Scholz, le titulaire du poste, a adopté une vision on ne peut plus traditionnelle et ceci d’autant plus que les élections italiennes laissent craindre que l’Allemagne soit appelée à la rescousse des finances de Rome et des banques transalpines.

En définitive la seule voix venant à l’appui des projets d’Emmanuel Macron est celle de Mario Centano, le ministre portugais des Finances, nouveau président de l’Eurogroupe.

La France a proposé une marche en avant de l’Europe qui recoupe en partie les propositions de la Commission, l’Allemagne est globalement réticente même si elle fera quelques concessions pour ne pas faire perdre la face à son partenaire, les plus réticents à Berlin miseront aussi sur la capacité de blocage déployée par d’autres pays coalisés ou non.

Cette confrontation entre souverainetés nationales sur les réformes institutionnelles s’amplifie dans le dossier des réfugiés et peut mener l’Europe à l’inertie voire à la confrontation, d’où cette sensation de déjà vu (Kratsev, 2017) comme l’illustre la volonté du nouveau gouvernement de Vienne d’attribuer des passeports autrichiens aux résidents du Bolzano Haut Adige.

 

Références

Dero-Bugny, D. (2014, /3). La dilution de la méthode communautaire et la diversification des pratiques intergouvernementales. Revue de l'OFCE (n°134), pp. 65-74.

Goulard, S. (2013). Europe : amour ou chambre à part ? (éd. Café Voltaire). Paris: Flammarion.

Kratsev, I. (2017). Le Destin de l'Europe. Une sensation de déjà vu. (F. Joly, Trad.) Paris: Premier Parallèle.

Schott, C. (2018, mars 5). Une analyse de la relation franco-allemande dans le contexte politique né des dernières élections. Fondation Robert Schuman - Question d'Europe (464).

Spahn, J. (2018, March 22). It’s time for the EU to get real. Récupéré sur Politico: https://www.politico.eu/article/its-time-for-the-eu-policy-to-get-real-migration-defense-finance/