L’avenir de l’Europe se joue à Vienne: après Trump et avant Le Pen, Hofer président? edit
Dimanche prochain, les électeurs autrichiens éliront leur président. En choisissant entre Norbert Hofer, le candidat du parti populiste FPÖ, et Alexander Van der Bellen, candidat indépendant issu des Verts, ils tourneront la page, ouverte dans l’immédiat après-guerre, de la politique bipartisane en Autriche. Mais, comme les électeurs italiens, ils auront également entre leur main une partie du destin de l’Union européenne.
L’élection du candidat FPÖ à la magistrature suprême ferait franchir au populisme un saut qualitatif. Elle accentuerait le pivot idéologique souverainiste, conservateur et identitaire de l’Europe centrale et orientale. Elle alimenterait également le refus des solidarités communautaires. Enfin, elle donnerait un nouvel élan aux mouvements identitaires en France, aux Pays-Bas et en Allemagne.
Une grande partie du destin de l’Europe se joue ce dimanche à Vienne.
La fin d’un système politique et le début d’une hégémonie idéologique
L’élection de dimanche prochain marquera le terme d’une année politique proprement historique pour l’Autriche. Un système politique mort-vivant fondé sur les partis traditionnels sera nécessairement balayé.
La campagne électorale a été, rappelons-le, particulièrement agitée. Lors du premier tour, le 27 avril, Nobert Hofer était arrivé en tête, avec 35% des voix. Ce résultat intermédiaire a marqué une rupture. Depuis l’après-guerre, la vie politique autrichienne avait été dominée par deux partis alternant constamment au pouvoir, le parti social-démocrate (SPÖ) et le parti conservateur ÖVP. Ces deux forces étaient sorties étrillées du premier tour avec 11% des voix seulement. Objectivement alliées pour se partager les responsabilités, elles se sont discréditées par les politiques de Grande Coalition à l’échelon national et à l’échelon provincial.
Durant l’entre-deux tours, Alexander Van der Bellen, arrivé second avec 21% des voix, avait tant bien que mal rassemblé un front anti-FPÖ. Il avait remporté le second tour de justesse (30 000 voix) notamment grâce aux votes par correspondance des expatriés. Le soulagement des anti-FPÖ fut de courte durée. En effet, le FPÖ a coup sur coup obtenu l’invalidation des résultats du deuxième tour, l’organisation d’un nouveau deuxième tour en octobre puis le report du scrutin au 4 décembre 2016 sur des questions de procédures.
Même si les sondages ne permettent pas, à ce jour, de dégager une tendance numérique, la dynamique de la campagne est favorable au FPÖ : il a enchaîné les succès dans les urnes et devant les tribunaux ; le front anti-FPÖ n’est toujours pas une offre politique alternative et cohérente. Aujourd’hui, le FPÖ est le parti le mieux structuré : présent au Parlement, aux affaires dans plusieurs régions, il donne le tempo et structure le débat politique. Il a généré ses propres élites partisanes, bureaucratiques, médiatiques. Ses thèmes de prédilection sont au-devant de la scène : islam et identité chrétienne du pays, refus des quotas de demandeurs d’asile définis par Bruxelles, critiques envers les tendances fédéralistes de Bruxelles, affinités revendiquées avec les démocraties illibérales d’Europe centrale et avec le régime de Poutine.
La victoire du FPÖ aurait plusieurs conséquences immédiates : le candidat Hofer a promis de dissoudre le Parlement pour disposer d’une majorité parlementaire FPÖ et de tenir un référendum sur l’Union européenne au cas où celle-ci imposerait des politiques trop favorables à la Turquie ou aux réfugiés. En somme, le FPÖ est en passe de conquérir la suprématie idéologique, la magistrature suprême et enfin la majorité parlementaire.
Appuyée sur les ruines d’une dyarchie partisane classique et sur le discrédit d’élites viennoises considérées comme coupées du pays, la possible victoire du FPÖ consacrerait la notabilisation des thèmes populistes : elle leur donnerait un succès éclatant dans une veille démocratie libérale comparable à la France, aux Pays-Bas et à l’Allemagne. Le FPÖ de Hofer et Strache est en passe de réussir ce que Jörg Haider, le leader charismatique, avait peiné à faire. C’est que le FPÖ a changé de cap : il a renoncé à l’alliance avec l’ÖVP et il a remplacé le discours cryptiquement antisémite par une obsession anti-islam. Le FPÖ ne prépare pas une illusoire renazification du pays mais sa conversion à un populisme anti-européen et pro-chrétien très contemporain.
Une reconfiguration de l’Europe centrale : du V4 au V5?
Une victoire du FPÖ en Autriche, suivie d’une dissolution du Parlement et d’un référendum sur l’UE, changerait également la donne européenne.
La candidature de Nobert Hofer s’inscrit dans un contexte régional que Florent Parmentier et moi-même avons signalé et analysé pour Telos au fil des années écoulées : les partis illibéraux prospèrent actuellement dans les anciennes démocraties populaires. Ils sont au pouvoir en Hongrie (Fidesz), en Pologne (PiS), en Slovaquie (SMER-SD) et en Tchéquie. Ils viennent de remporter des victoires en Bulgarie et, sur les marches de l’Union, en Moldavie. Largement bénéficiaires des fonds structurels européens, ces pays sont cimentés par l’hostilité à l’accueil des réfugiés promue par la Commission européenne et par l’opposition à l’islam en Europe. Hormis la Pologne, ils affichent une fascination pour le système poutinien. Enfin, ils ont repris le flambeau de l’euroscepticisme après le Brexit.
Le candidat Hofer a montré qu’il endossait une large partie des thèses de ces partis. Il a réalisé une tournée dans ces pays en utilisant ses fonctions actuelles. En effet, en tant que vice-président du Parlement, il fait depuis juillet partie du triumvirat qui exerce actuellement la présidence par intérim. Il a ainsi gagné en statesmanship tout en inscrivant son action extérieure sous l’égide de l’illibéralisme.
Une victoire de Norbert Hofer montrerait qu’une démocratie libérale ancienne, fondée sur une économie de marché forte et sur une tradition parlementaire séculaire peut faire cause commune avec de Nouveaux Etats membres. Le groupe de Visegrad (ou V4) qui réunit la Hongrie, la Tchéquie, la Pologne et la Slovaquie, pourrait de devenir un V5 avec l’Autriche.
De la Mitteleuropa à l’Europe occidentale : l’illibéralisme en essor
Une victoire de Nobert Hofer soulignerait aussi que l’illibéralisme n’est pas l’apanage d’États jeunes mais peut être une dynamique continentale.
Les thèmes avancés par le V4 au sommet de Bratislava seraient désormais endossés par un État-clé en Europe centrale. La confessionnalisation de la vie publique gagnerait de nouvelles lettres de noblesse : en effet, la défense de l’identité chrétienne de l’Europe est aujourd’hui érigée en étendard de la lutte contre l’islam. Omniprésente dans les discours russes sur la Syrie, brandie par le PiS polonais sur les questions sociétales (IVG, égalité entre sexes et entre orientations sexuelles), reprise par Viktor Orban pour récuser la solidarité européenne, l’identité chrétienne de l’Europe est enrôlée dans un programme politique idéologiquement biaisé.
Incontestable historiquement, incontournable spirituellement et influent socialement, le christianisme ne devrait pas être réduit à un instrument de justification de régimes qui amoindrissent les garanties accordées aux contre-pouvoirs et aux minorités politiques, linguistiques ou sexuelles. Le christianisme ne peut être monopolisé par l’illibéralisme. Il ne peut pas non plus être instrumentalisé pour mettre en difficulté une Union européenne bien affaiblie.
L’électorat autrichien est réduit (6 millions), le pays a un poids économique circonscrit. Mais les élections de dimanche ont des enjeux idéologiques et géopolitiques tels qu’on peut affirmer sans exagération qu’une partie de l’avenir européen se joue dimanche à Vienne.
Bien sûr, les facteurs locaux sont puissants : ruine du système politique bipartisan traditionnel, mouvements anti-islam, rhétorique euro-sceptique irréaliste, de nombreux éléments sont aujourd’hui réunis pour offrir au populisme autrichien la victoire électorale majeure qu’il a construite patiemment depuis trois décennies.
Mais, par-delà les limites de l’Autriche et de la Mitteleuropa, plusieurs dynamiques sont à l’œuvre : populisme notabilisé, diplomatie confessionalisée, illibéralisme étatisé. Toutes ces tendances travaillent les vieux Etats de l’Ouest de l’Europe et les démocraties post-modernes occidentales. L’année 2017, séquence électorale très dense, est placée sous de bien sombres auspices.
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