Comment l’Europe domine le football mondial edit
Au moment où le déclin de l’Europe devient un lieu commun et où son naufrage politique apparaît programmé, il est intéressant de voir que dans le football, sport le plus populaire de la planète, sa domination n’a jamais été aussi outrageante et cela bien au-delà de ce que l’on peut imaginer.
Le football est un sport universel. Mais cette universalisation aujourd’hui peu contestable trouve son origine en Europe. On ne peut comprendre la place prise par ce jeu en Amérique du Sud sans avoir à l’esprit le fait que cette région fut une région de très forte immigration européenne. D’autant plus que celle ci venait de pays à forte tradition de football comme l’Italie ou l’Espagne. On ne saurait comprendre l’importance du football dans des pays de taille très modeste comme l’Uruguay ou le Chili sans référence à ce fait historique. Le fait également que la première Coupe du monde de football ait été organisée dans un pays d’Amérique latine (Uruguay) ne constitue pas de ce point de vue un pur hasard. Pourtant, l’entrée en scène du Brésil, finaliste de la troisième Coupe du monde en 1950 et vainqueur de cette même Coupe en 1958 a montré que le football sud-américain n’était pas un simple sous-produit du football européen. En Amérique latine, le football s’est très fortement métissé au sens propre et figuré du terme. Au point d’ailleurs que l’on a pu parler très rapidement d’un jeu sud-américain et tout particulièrement d’un jeu brésilien dont la popularité a très largement débordé les frontières de l’Amérique latine pour aller s’imposer en Afrique notamment.
Par la suite, et pendant près de 40 ans, la phase finale de la Coupe du monde s’est réduite à un duel entre l’Amérique latine et l’Europe avec un léger avantage pour l’Amérique latine. Aujourd’hui encore, c’est le Brésil qui est le pays le plus titré avec cinq victoires en phase finale. À la veille de la finale de la coupe du monde 2010, l’Amérique latine et l’Europe étaient parvenues à un équilibre presque parfait avec neuf vainqueurs d’un côté et neuf de l’autre. La finale 2010 a fait basculer cet équilibre au profit de l’Europe puisque les deux finalistes sont européens.
L’histoire de la Coupe du monde est-elle pour autant réductible à ce duel entre l’Europe et l’Amérique latine ? La réponse appelle quelques nuances. Il ne fait guère de doute que le football s’est puissamment mondialisé et qu’un événement comme la Coupe du monde passionne aussi bien les Africains que les Européens, et même aujourd’hui les Asiatiques. Des pays à très faible tradition de football comme la Corée et le Japon ont réussi à se hisser au niveau des quarts de finales. Et pour la première fois un pays africain, le Ghana, aurait accédé aux demi-finales si un de ses joueurs n’avait raté un penalty dans la dernière seconde du match contre l’Uruguay… Au demeurant, sur 32 pays qualifiés en phase finale de coupe du monde on comptait 12 pays européens, six pays africains, cinq pays asiatiques, huit pays d’Amérique latine et les Etats-Unis. À eux seuls pourtant l’Amérique latine et l’Europe comptent 20 représentants sur 32. Cette proportion est naturellement considérable mais elle s’est sensiblement affaiblie au cours de ces 20 dernières années avec l’entrée en lice de l’Afrique et de l’Asie.
Pourtant derrière cette démocratisation du football mondial, il y a des réalités beaucoup plus troublantes qui incitent à relativiser considérablement l’idée selon laquelle le football serait un sport universel où la fortune des équipes serait aujourd’hui beaucoup plus ouverte que dans le passé. En effet, malgré tout ce qui a pu être dit ou espéré notamment à la suite de la tenue de cette Coupe du monde en Afrique, le football africain est encore extraordinairement faible. En dehors du Ghana, aucun des six qualifiés africains n'est parvenu à franchir la barre des huitièmes de finale alors que six pays d’Amérique latine et d’Asie ont franchi le deuxième tour.
Au niveau des quarts de finale, le tri s’est révélé encore plus sélectif. On retrouve le traditionnel duel Europe Amérique latine avec un seul survivant africain, le Ghana. En demi-finales, la sélection s’intensifie encore plus : trois pays européens contre un seul pays latino-américain. Enfin en finale un duel 100 % européen. La Coupe du monde fonctionne donc comme un entonnoir aux bords mondialisés mais au goulot extrêmement étroit.
C’est là qu’intervient un second facteur décisif, trop souvent oublié. Il concerne l’origine des joueurs. Certes, à la Coupe du monde les joueurs portent le maillot de leurs nations respectives. Mais sous les maillots il y a des joueurs. Et derrière les joueurs il y a des clubs. Et derrière les clubs il y a d’abord et avant tout des clubs européens ! Sur 736 joueurs sélectionnés par les 32 pays qualifiés, 545 jouent dans des clubs européens. Et sur ces 545 joueurs 385 évoluent dans cinq championnats européens (Espagne, Italie, Angleterre, France, Allemagne). Même dans les pays latino-américains qui ont pourtant une très grande et longue tradition dans le domaine du football, l’hémorragie vers les clubs européens est considérable. La sélection brésilienne par exemple ne compte que trois joueurs évoluant dans des clubs locaux alors que ce pays est considéré comme le pays du football par excellence. Dans l’équipe argentine, les sélectionnés évoluant dans des clubs argentins ne dépasse pas les six. L’Uruguay qui a effectué en Afrique du Sud le meilleur parcours latino-américain ne compte que deux sélectionnés évoluant dans des clubs uruguayens. Une équipe comme l’Algérie ne doit quant à elle sa qualification qu’au fait que la quasi-totalité de ses joueurs évoluent dans des clubs français. On en arrive d’ailleurs à une situation paradoxale où les équipes nationales sont composées de joueurs évoluant dans la quasi-totalité des cas à l’étranger tandis que dans les clubs européens on compte de plus en plus d’étrangers. L’Inter de Milan, champion de la coupe d’Europe des clubs en 2010, ne comptait le jour de la finale aucun joueur italien sur le terrain du stade de Santiago Bernabeu ! Cela signfie que le football italien n'est plus capable de dénicher de jeunes talents nationaux, une incapacité que la faillite de la Squadra Azzura en Afrique du Sud a confirmée. Pour bien jouer au football il vaut donc mieux jouer en Europe. Mais il ne suffit pas d'être européen pour bien jouer au football.
Ces données quantitatives globales cachent des réalités qualitatives encore plus impressionnantes. Sur les cinq meilleurs buteurs de la coupe du monde, trois sont européens et deux latino-américains. Mais les cinq évoluent en Europe. Sur les cinq meilleurs tireurs de cette même coupe, deux sont latino-américains, deux sont européens et un cinquième est africain. Mais les cinq évoluent en Europe. La proportion des joueurs évoluant dans des clubs européens serait encore plus forte si on prenait en considération non plus seulement la liste formelle des 23 joueurs sélectionnés par chaque équipe mais les 11 joueurs ayant effectivement été appelés à jouer sur le terrain tout au long de cette Coupe du monde.
Naturellement, on pourra voir dans cette réalité une évolution irréversible et en définitive profitable à tous. Cette mondialisation des recrutements permettrait ainsi à des pays du Sud de se qualifier. Mais cette lecture optimiste n’est pas forcément la plus judicieuse. Car les cultures nationales restent malgré tout, y compris dans le domaine du football, très importantes. On a pu constater par exemple qu’aucune équipe n’avait réussi dans l’histoire de la Coupe du monde à gagner le titre en n’ayant pas d’entraîneur national. Il faut noter qu’aucune équipe africaine à l’exception de celle de l’Algérie n’a d’entraîneur national. L’incapacité des équipes africaines à produire un jeu spécifiquement africain explique probablement leur piètre performance même si ce facteur n’est bien évidemment pas le seul.Celà ne signifie naturellement pas que les influences extérieures sont sans importance.Le jeu espagnol est dominé par le jeu catalan lui même trés influencé par le football total inventé par les Nerlandais que l'Spagne vient de renconter en finale de la coupe du Monde.
Le facteur national joue aussi d’une autre façon. Au fur et à mesure que le nombre des joueurs nationaux évoluant dans des clubs étrangers s’accroît il devient de plus en plus difficile de construire une identité de jeu national. Et cela pèse beaucoup sur les performances des équipes. Pendant très longtemps, l’Espagne a été par exemple incapable de produire une équipe nationale forte parce que la culture des clubs régionaux était bien plus puissante. Si aujourd’hui l’Espagne est parvenue à se doter d’une équipe nationale homogène et puissante c’est d’abord et avant tout parce qu’elle est massivement dominée tant sur le plan qualitatif que quantitatif par le jeu barcelonais. Il n’est d’ailleurs pas impossible que l’affaiblissement relatif d’un pays comme le Brésil ou l’Argentine soit attribuable au fait que la quasi-totalité de leurs joueurs évoluent en dehors de leur pays respectif. Il en découle en effet un décalage entre un jeu individuel extrêmement sophistiqué et puissant et un jeu collectif de plus en plus difficile à mettre en place.
Comment expliquer cette domination si outrageante de l’Europe qui comme on le voit dépasse très largement le simple examen du palmarès des équipes nationales ? Il y a cela deux raisons essentielles. La première est de nature financière. Le football est devenu une des activités les plus lucratives du monde. Elle se gère donc comme un véritable business et l’Europe est bien placée pour le gérer d’abord parce qu’elle dispose d’une très grande tradition mais également d’un très grand marché de consommateurs. Le jour où les Américains ou les Chinois s’intéresseront massivement au football, la dynamique économique de ce même football se déplacera vers les Etats-Unis ou la Chine. La seconde raison est de nature historique. Des pays à tradition de football ont par définition plus de facilité à créer des structures, des organisations, des modes de formation et de sélection des joueurs que des pays peu organisés, mal développés et faiblement dotés en infrastructures de haut niveau. Comme n’importe quelle autre activité, le football n’échappe pas aux contraintes de l’économie et du développement.
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