Syrie: pourquoi Obama hésite edit
En décidant au dernier moment de faire précéder l’intervention militaire en Syrie à un accord préalable du Congrès, le président Obama a fait montre d’une exceptionnelle désinvolture dont il faut froidement analyser les causes et mesurer les implications pour nous, Français et Européens.
Il convient tout d’abord de rappeler que la consultation juridique du Congrès, dont Barack Obama découvre opportunément l’existence, n’était nullement indispensable. Le War Powers Act de 1973 n’exige de vote du Congrès qu’au terme de 90 jours d’intervention comme cela fut d’ailleurs le cas pour le Kosovo en 1999 ou en Libye en 2011. Avant cela, seule une notification est constitutionnellement requise. Il y a d’ailleurs moins d’une semaine, le président américain affirmait qu’il ne se laisserait nullement paralyser par l’absence de soutien international et rappelait que le Congrès était très régulièrement informé de la situation en Syrie. Au demeurant, malgré la circulation de deux pétitions (Riggel et Lee) signées par 140 et 60 représentants et exigeant la consultation préalable du Congrès, la quasi-totalité des personnes clés de ce dernier ne semble jamais avoir posé cette consultation comme un préalable politique. Si cela avait été le cas, il eût été avisé de la part du président américain d’informer ses alliés du recours à cette condition préalable avant de les mobiliser.
En réalité, comme l’a indiqué justement un représentant, « le président des États-Unis n’a nullement besoin de l’accord de 535 membres du Congrès pour mettre en œuvre les mesures découlant du franchissement de ses propres lignes rouges », celles relatives à l’emploi d’armes chimiques dont il avait effectivement indiqué en août 2012 qu’elles constitueraient un véritable casus belli. La volte-face du président américain est d’autant plus préoccupante que la convocation du Congrès pour discuter et voter n’interviendra qu’à partir du 9 septembre, alors qu’il eût été pour le moins souhaitable de provoquer une convocation exceptionnelle du Congrès en session extraordinaire dans les 48 heures, pour limiter les effets négatifs de ce choix de dernière heure. Comment donc analyser ce recul ?
En réalité, à mesure que la crise s’aggravait et que les perspectives d’un renversement rapide de Bachar al-Assad se dissipaient, les États-Unis n’ont cessé de reculer et d’appréhender les risques d’un engagement. Intervient le massacre du 21 août. Obama ne peut alors ni nier la réalité du problème ni ignorer l’énorme enjeu de crédibilité politique auquel il se trouve confronté suite à sa déclaration de 2012. Dans ce nouveau contexte, il décide de réexaminer la voie d’une intervention rapide et limitée sans véritable stratégie de règlement politique en Syrie. Il mobilise ses alliés sur une base ad hoc et se garde par exemple de faire appel de quelque manière que ce soit à l’OTAN comme cela avait été le cas au Kosovo en l’absence de consensus international. Il avance malgré lui à reculons avant que le vote du Parlement britannique ne vienne lui rappeler qu’il ne dispose dans cette affaire ni de mandat du Conseil de sécurité ni de l’appui de son principal allié (comme si la France comptait pas), ni du soutien de l’opinion publique américaine. Obama a pris peur de ne plus maîtriser une crise de cet ampleur, lui dont la prudence légendaire le conduit à ne jamais vouloir être pris en défaut.
De fait, pour véritablement comprendre ce qu’est la stratégie d’Obama en Syrie, il faut examiner de près la lettre envoyée par le chef d’état-major américain en date du 19 août (avant donc la découverte du massacre du 21 août) au représentant Engel. Dans cette lettre, le général Dempsey fait valoir deux points essentiels. Le premier consiste à affirmer que les États-Unis ont les moyens militaires de faire basculer le rapport des forces sur le terrain en faveur de l’opposition. Mais il ajoute que le camp que les États-Unis choisiront « devrait être prêt à promouvoir ses intérêts et les nôtres lorsque le rapport des forces basculerait en leur faveur, ce qu’aujourd’hui il n’est pas prêt à faire ». En clair, les États-Unis ont les moyens de renverser le régime mais ne sont pas sûrs des bénéficiaires de ce changement. Le raisonnement se tient à ceci près que plus les Etats-Unis tergiversent plus les jihadistes progressent. On voit donc que pour comprendre la politique américaine il faut inverser la perspective. Obama – comme le Pentagone – était fondamentalement réservé à l’idée d’une intervention militaire même limitée. Mais le massacre du 21 août a rendu cette position intenable notamment au regard des engagements pris par le président américain l’année précédente. Vu sous cet angle la décision du président s’éclaire. Elle consiste donc à gagner du temps pour agir a minima. À moins que dans un sursaut d’orgueil, il se décide de frapper plus fort que prévu après cet intermède fâcheux qui ternit son image.
Au-delà du cas syrien, Barack Obama tire des enseignements très négatifs des deux grandes décisions qu’il a eu à prendre sur le plan militaire. La première concerne l’Afghanistan et la seconde la Libye. Dans le premier cas il a fait preuve de beaucoup de volontarisme et clairement soutenu le point de vue de l’état-major américain qui souhaitait accroître son engagement sur le terrain. Mais comme on le sait le résultat s’est révélé peu probant. Les États-Unis vont quitter Afghanistan sans avoir mis en place la moindre structure politique viable. En Libye, Obama a engagé les États-Unis contre l’avis du Pentagone. Mais l’affaire de Benghazi en septembre 2012 qui s’est soldée par la mort de l’ambassadeur américain l’a dissuadé de toute hardiesse. Cela signifie-t-il pour autant que les États-Unis soient retombés dans l’ornière de l’isolationnisme comme les commentateurs pressés ne cessent de le dire ? Rien n’est moins sûr. Si demain la Chine venait à porter la main sur un de leurs alliés asiatiques, ils réagiraient avec une extrême vigueur et bénéficieraient très probablement du soutien de l’opinion.
Tel n’est pas le cas du Moyen-Orient où la seule cause susceptible de mobiliser les États-Unis demeure la défense d’Israël. L’état-major américain joue dans cette affaire un rôle considérable. Sa priorité, c’est la Chine, et tout ce qui ne participe pas de cette priorité se doit d’être pas traité, mal traité ou sous-traité. Il est intéressant de voir dans un tel contexte ce que deviendra la politique iranienne des Etats-Unis.
Pour l’Europe cette incroyable désinvolture sonne comme un nouveau rappel. Celui de la nécessité de se doter d’une force militaire substantielle pour affronter des défis que les États-Unis ne relèveront désormais que de manière parcimonieuse et sur la prise en compte de leurs seuls intérêts. Le fait d’avoir voulu facturer le coût du soutien américain à l’opération française au Mali est à cet égard très révélateur de ce glissement, alors que les États-Unis ont aisément admis que cette intervention ne servait pas les seuls intérêts de la France. Pour nous cette conjoncture très délicate : nous trouvons dans la position de devoir attendre le feu vert des Américains qui nous avait sollicités. Cela nous impose un devoir. Celui de maintenir coûte que coûte un outil militaire substantiel pour défendre nos intérêts et notre dignité que les autres États européens partagent avec nous sans avoir le courage ou la volonté d’en assumer aussi les charges.
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