Comment Trump met en danger l’OMC edit
La question de savoir si la Chine est une économie de marché n’est nullement théorique. Elle est aujourd’hui au cœur d’un débat majeur qui a lieu à l’OMC et qui, s'il venait à dégénérer, pourrait conduire au retrait américain de l’OMC.
Dans le protocole d’accès de la Chine à l’OMC signé en 2001, il avait été convenu que la Chine ne pourrait être considérée comme une économie de marché qu’au terme d’une période de transition de 15 ans. La Chine estime aujourd’hui cette transition achevée et sa reconnaissance en tant qu’économie de marché, à la fois légitime et légale. Une interprétation que les États-Unis et, dans une moindre mesure, les Européens récusent.
Sur le fond, cela permet à ses partenaires commerciaux d’utiliser plus facilement des instruments de défense commerciale, et notamment le recours aux instruments antidumping. Cela se comprend. Si l’économie chinoise est subventionnée de manière excessive par l’État, il est en effet normal que ses partenaires se protègent légalement. La Chine a donc aujourd’hui tout intérêt à être reconnue comme économie de marché pour précisément priver ses concurrents d’instruments de protection dans certains secteurs comme la sidérurgie.
Pourtant, bien que d’accord entre eux, Américains et Européens ne réagissent pas tout à fait de la même manière. Trump utilise cette affaire pour engager une épreuve de force avec l’ensemble du système commercial multilatéral. Car si en 2019, l’OMC venait à donner raison à la Chine et à reconnaître l’automaticité de son accès au statut d’économie de marché, il est très probable que les États-Unis se retireraient de l’OMC ou cesseraient de reconnaître la légitimité de sa justice commerciale – qui est par ailleurs dans le viseur américain depuis de très nombreuses années. Mais cette offensive s’est intensifiée depuis l’arrivée au pouvoir de Trump qui combat l’OMC de l’extérieur et de l’intérieur. De l’extérieur en faisant valoir que son rôle est globalement négatif pour les États-Unis même si ceux-ci ont obtenu satisfaction sur 90% des dossiers qu’ils ont déposés devant la juridiction commerciale (voir l’article d’Antoine Bouet). De l’intérieur en bloquant la nomination de nouveaux juges de la cour d’appel de l’OMC pour paralyser l’instrument majeur de cette organisation qu’est l’organisme de règlement des différends.
L’Europe a choisi une voie différente car elle sait que la préservation du système multilatéral de l’OMC est pour elle une question absolument vitale. Pour autant elle mesure bien que la Chine présente un danger dans la mesure où elle contrevient très clairement à un certain nombre de règles de réciprocité commerciale. Par rapport à la question de la clause de l’économie de marché, l’Europe a donc décidé d’adopter une nouvelle méthodologie qui abandonne le principe de reconnaissance d’une économie de marché au profit d’une mesure des produits importés et cela quel que soit le pays d’origine. Bruxelles sait que sur le fond l’OMC peut donner satisfaction à la Chine. Mais elle sait en même temps qu’elle ne saurait baisser sa garde face à Pékin. Est-ce que cette nouvelle méthodologie protégera mieux l’Europe que l’ancienne ?
La question est ouverte. Généralement lorsqu'un pays reconnaît un autre en tant qu’économie de marché, les mesures de protection antidumping ont tendance à baisser même s’il existe des exceptions à cette règle. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les américains n’envisagent nullement de bouger. Pour autant, cette nouvelle méthodologie européenne ne la privera pas de ressources pour contrer la Chine puisqu’il existe d’autres instruments de défense commerciale et notamment les mesures de sauvegarde. De surcroît le vrai sujet avec la Chine porte sur les investissements : difficulté des Européens à investir dans un pays qui favorise délibérément ses champions nationaux, et nécessité pour les Européens de se protéger contre des prises de contrôle chinoises dans des secteurs stratégiques en Europe.
En toute logique l’Europe devrait faire front commun avec les États-Unis pour contrer la Chine. Car sur le plan commercial leurs griefs sont identiques. Mais s'allier aux Européens n'intéresse pas Trump. D’une part parce que les États-Unis considèrent de plus en plus l’Europe comme un adversaire et un concurrent, plutôt que comme un partenaire. D’autre part parce que fondamentalement il recherche d’abord et avant tout l’épreuve de force. Il ne souhaite pas renforcer le système multilatéral. Il aspire à le couler. Ainsi face à des Américains qui ne veulent pas conserver le système, et à des Chinois qui veulent le conserver sans l’amender, les Européens tiennent une position intermédiaire. Ils veulent conserver le système tout en l'amendant.
Cette position intermédiaire n’est pas facile à tenir. Mais il n’y en a guère d’autre. Il faut desserrer l’étau américain en renforçant les liens de l’Europe avec les autres acteurs majeurs du système commercial multilatéral. C’est ce qu’elle vient de faire en signant avec le Japon un très important accord de libre-échange. Mais la défection américaine la prive d’un allié de poids pour exercer des pressions fortes sur Pékin. Pourtant, un tiers de la croissance du déficit commercial de l’Union européenne avec la Chine depuis 2008 est imputable aux subventions chinoises à l’exportation. C’est dire l’importance du sujet.
À la différence des États-Unis qui sont beaucoup moins dépendants du commerce extérieur, l’Europe ne peut pas se payer le luxe de combattre le système multilatéral pour renforcer sa position. C’est la raison pour laquelle elle se doit de faire entendre raison à l’administration Trump, même si cet exercice paraît de plus en plus difficile ; d’éviter l’asphyxie du système multilatéral en s’alliant à tous ceux qui souhaitent sa survie ; de moderniser enfin ses instruments de défense commerciale pour freiner les ambitions chinoises et contenir ses pratiques déloyales.
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