L’or noir des Kazakhs edit
Pour des raisons de politique énergétique l’Union Européenne cherche à accroître sa présence en Asie centrale. Mais il n’est pas sûr que Bruxelles ait bien saisi les enjeux liés à l’intégration du Kazakhstan dans l’économie mondiale. Quelles stratégies l'UE peut-elle mettre en œuvre ?
Dans l’ancienne Union Soviétique, l’accession à l’OMC et l’intégration économique avec l’Union Européenne sont de nouveau à l’ordre du jour. L’Ukraine a rejoint l’OMC en février dernier, et est en négociations avec l’UE sur un accord de libre-échange. La Russie a récemment exprimé son intérêt renouvelé pour l’OMC, et l’UE s’apprête à lancer les discussions sur un nouvel accord de partenariat incluant un espace économique commun. Le Kazakhstan est le prochain candidat de la région visant l’OMC.
L’économie du Kazakhstan, située entre la Chine et la Russie, est la plus réformée d’Asie centrale. De nombreux indicateurs de transition vers l’économie de marché de la Banque européenne de reconstruction et de développement montrent que la Kazakhstan est souvent proche des moyennes des membres de l’OCDE. Il s’agit d’un des grands pays exportateurs de pétrole, et de manière croissante, de gaz. Ce pays sera un élément clé dans la stratégie énergétique européenne. Sa stabilité, prospérité et relative ouverture politique sont de bonnes nouvelles dans un monde où les ressources pétrolières et gazières sont souvent entre les mains de régimes beaucoup plus autoritaires et instables. Mais, en dehors de quelques majors du pétrole, la présence et l’influence européennes restent très limitées dans un pays sous influence économique et politique grandissante de la Russie et de la Chine, pour lesquelles, contrairement à l’Europe, les mécanismes de marché et d’Etat de droit comptent peu. Mais l’UE peine à mettre sur pied les projets comme Nabucco ou un gazoduc transcaspien afin de réduire sa dépendance vis-à-vis des pipe-lines russes sous le contrôle de Gazprom. C’est par celles-ci que passent toutes les exportations pétrolières du Kazakhstan vers l’Europe. Entre-temps un nouvel oléoduc livrant du pétrole kazakh à la Chine a été mis en fonctions en 2007.
L’UE ne peut pas actuellement compter sur une politique extérieure et énergétique commune décisive pour accroître son influence en Asie Centrale. L’UE a néanmoins un grand atout vis-à-vis du Kazakhstan : son vaste marché. Avec une bonne politique commerciale, l’Europe peut encourager de nombreuses réformes qui restent encore à faire au Kazakhstan, favoriser une plus grande indépendance de son économie des exportations pétrolières (plus de 70% de ses exportations) et, en tissant ainsi des liens plus étroits avec le pays le plus avancé d’Asie centrale, y exercer une influence bénéfique à long terme.
L’UE peut fournir un environnement qui facilite la diversification de l’économie du Kazakhstan. Cela passe par une meilleure intégration de son économie dans l’économie mondiale. Nos estimations indiquent que les exportations du Kazakhstan hors ex-URSS et Chine sont à 76% de leur potentiel et qu’elles devraient être favorisées. Par contraste, son commerce régional, hérité des temps de l’Union Soviétique, est 13 fois trop élevé pour être économiquement efficace. L’UE est la principale destination des exportations pétrolières du Kazakhstan, mais le pays pourrait y exporter d’autres produits pour lesquels il a de clairs avantages comparatifs, tels les métaux et divers produits chimiques, ainsi que certaines céréales.
Tout pays se portant candidat à l’OMC doit répondre aux demandes d’un groupe de travail mis en place pour traiter spécifiquement la candidature. D’une part le pays candidat travaille avec l’ensemble du groupe à la mise en conformité de ses régulations commerciales avec les normes de l’OMC. D’autre part le pays s’engage dans des négociations commerciales individuelles avec chaque membre du groupe. Celles-ci mènent à des concessions commerciales concrètes, qui sont ensuite étendues à l’ensemble des membres de l’OMC. Pour le Kazakhstan, le travail de mise en conformité des pratiques commerciales au sein du groupe de travail est relativement bien avancé. Mais un certain nombre de protocoles bilatéraux, et surtout celui avec l’UE , ne le sont pas encore.
La priorité serait donc de finaliser cet accord assez rapidement. Le Kazakhstan, avec des taux de croissance à près de 10% depuis plusieurs années, et malgré sa récente crise bancaire liée à celle des subprimes, offre de nombreuses opportunités pour les investisseurs européens, notamment dans le secteur des services aux entreprises, souvent liés au développement du secteur pétrolier, et qui demandent encore à être libéralisés. De tels investissements sont un bénéfice à long terme pour le Kazakhstan grâce aux transferts technologiques et de savoir-faire qu’ils induisent. En outre, de nombreuses barrières non-douanières expliquent aussi pourquoi les exportations de biens et services de l’UE vers le Kazakhstan sont, selon nos estimations, à seulement 64% de leur potentiel. L’Europe peut induire le Kazakhstan à ouvrir davantage son économie.
Toutefois, le processus d’accession du Kazakhstan est soumis à de nombreuses complications, qui demandent une attention particulière de la part de l’UE.
Le boom pétrolier encourage un certain laxisme dans la poursuite des nombreuses réformes économiques et politiques au Kazakhstan. Avec les prix du baril de pétrole à des niveaux sans précédent, le gouvernement ne ressent pas le besoin de signer un accord d’accession qui lui pourrait lui déplaire.
De plus, un certain nombre de politiques de l’UE posent problème aussi, surtout l’antidumping. Ceci peut réduire la motivation du Kazakhstan à s’engager davantage avec l’Europe. Le secteur du fer et de l’acier, on le sait, présente un grand potentiel. Mais en Europe, les actions d’antidumping sont particulièrement fréquentes. Les mesures qui ont frappé pour la première fois le Kazakhstan en 2007 ont précisément eu lieu dans ce secteur. Les discussions actuelles concernant l’octroi du Statut d’Economie de Marché au Kazakhstan, qui lui permettrait d’être mieux protégé des mesures d’antidumping, devraient de ce fait être accélérées.
Le Kazakhstan est aussi très actif dans le domaine des accords commerciaux bilatéraux ou régionaux dans la Communauté des Etats Indépendants. Le pays est, par exemple, formellement engagé dans une union douanière avec la Russie, la Biélorussie et l’Ukraine. Bien que ces initiatives soient souvent restées lettre morte dans leur application, elles peuvent compliquer légalement et techniquement le processus d’accession à l’OMC.
Une dernière incertitude est liée à l’émergence de la Russie comme puissance hégémonique dans la région. Astana est en alliance étroite avec Moscou, et ne voudra certainement pas sacrifier cette relation. La Russie pourrait, après l’accession de l’Ukraine, s’opposer à ce qu’un de ses satellites ne la devance une fois encore. Selon le degré de résistance au Kremlin et la volonté politique d’Astana, l’Europe doit se montrer prête à appuyer cette accession par une action diplomatique décidée.
En s’engageant davantage en Asie Centrale, l’UE doit aussi savoir bien cibler ses actions. Le Kazakhstan n’est pas un Etat misérable et en déliquescence comme le Kirghizstan, ni une dictature coupée du monde comme le Turkménistan. Le Kazakhstan est certes problématique, mais il s’agit d’un pays dynamique et relativement ouvert. En l’absence de politique extérieure et énergétique commune, l'UE peut commencer à faire sentir son influence en Asie centrale en reconnaissant ce fait, et en encourageant ce pays à aller plus loin.
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