Faut-il pousser les banques au divorce ? edit
Les décideurs américains, suivis par de nombreux commentateurs, ont fait d’un retour au Glass-Steagall Act le principal moyen de réduire les risques sur les marchés financiers. Cette loi du New Deal, abrogée en 1999, séparait les banques de dépôts et les banques d’affaires. Or on peut considérer que l'héritage issu de cette séparation a contribué à aggraver la crise. Comment alors comprendre les positions d'Obama ? Et l'Europe doit-elle le suivre ?
L'ouragan de la crise financière mondiale semble passé, mais il a laissé derrière lui d’immenses dégâts, notamment en Amérique du Nord. Les États-Unis ont consacré 1,3 billion de dollars pour sauver leurs banques et 800 milliards de dollars pour les programmes de relance économique. Le financement privé de l'immobilier s'est complètement effondré – 95% des prêts immobiliers de 2009 ont été accordés en passant par les institutions publiques. Plus de 200 banques ont fait faillite pendant la crise. La dette des États-Unis approchera les 100% du PIB cette année et pour passer ce seuil en 2011 ou début 2012.
Maintenant que la tempête s'est calmée, il est temps de déblayer les débris du système financier brisé. Après quelques hésitations, le président américain Barack Obama semble désormais prêt à prendre des mesures et il soutient les propositions de l'ancien président de la Fed, Paul Volcker.
Volcker a proposé de réactiver le système américain issu du Glass-Steagall Act qui séparait les activités de banque d’investissement et de banque de dépôts. Cette loi de 1933, votée peu après la pire phase de la Grande Dépression, interdisait aux banques de dépôts les activités d'investissement. Elles étaient autorisées à user de l’épargne qu’elles avaient en dépôt pour prêter aux ménages, aux entreprises et à d'autres banques, mais elles n'étaient pas autorisées à acheter des titres ou d'aider à les échanger. L'achat d’actions leur était interdit, tout comme l'acquisition de produits financiers titrisés. Même l'achat d'obligations et de débentures (obligations non garanties) émises par des sociétés privées était strictement limité. L’objectif de la loi était de protéger les épargnants contre les opérations financières risquées.
Lorsque le Glass-Steagall Act fut abrogé en 1999, certaines banques de dépôt ont fait des tentatives hésitantes du côté des métiers de l’investissement, ce qui a conduit à soupçonner qu’on tenait là une des raisons de la crise financière. Mais cela est loin de la vérité. En réalité, le système de séparation des métiers bancaires est demeuré à peu près intact jusqu'à l'éclatement de la crise.
Comme on le sait, l’événement déclencheur de la crise, en 2008, fut l’échec inattendu du gouvernement à sauver Lehman Brothers. Cela détruisit instantanément la confiance mutuelle entre les banques et gela le marché interbancaire. L’épargne déposée ne put plus être acheminée vers les investisseurs, et resta dans les banques de dépôt. Le résultat fut un crash de l'économie réelle. Or il faut comprendre que si les États-Unis n'avaient pas eu une séparation aussi nette entre les banques, l'économie aurait été moins sensible à l’effondrement du marché interbancaire, puisque les banques de dépôt auraient pu acheminer vers les entreprises au moins une partie des fonds qui leur étaient confiés, via l'achat d'actions ou d'obligations.
Comment comprendre dans ces conditions le choix d’Obama et Volcker ? La réponse se trouve dans un événement du 22 septembre 2008 qui a pris de court le monde financier : la conversion de Goldman Sachs et de Morgan Stanley, les derniers survivants des grandes banques d'investissement, en banques de dépôts classiques. Derrière cette conversion il y avait le souhait des deux banques d’accéder au crédit bon marché en provenance de la Fed, et de bénéficier de la protection de la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC). Le gouvernement n’avait en effet pas souhaité que les banques d'investissement reçoivent cette aide particulière, interdiction qu’elles ont contournée en changeant rapidement leur statut juridique. Et maintenant Obama essaie de remettre les comptes au clair.
C’est parfaitement compréhensible, mais cette voie pourrait se révéler dangereuse pour l'Europe parce que, contrairement aux États-Unis, elle possède un système bancaire universel. Si Obama parvient à imposer une séparation des banques de dépôt et d'investissement dans le monde entier lors des négociations du prochain G20, cela signifierait la destruction du monde bancaire européen, alors qu’aux Etats-Unis les répercussions de la réforme serait limitées. Espérons que ce ne soit pas le vrai but des conseillers d'Obama.
En tout état de cause ce n’est pas un retour à la séparation des banques qui permettra d’améliorer la prévention des crises. Il est vrai qu’en réduisant la probabilité d'une aide gouvernementale, on incitera les banques d'investissement à agir plus prudemment. Mais ce point positif ne compense pas l'augmentation de la sensibilité à la crise qui va de pair avec la séparation des fonctions bancaires. En outre, il est douteux que les possibilités de sauvetage du gouvernement soient réellement réduites. On voit mal un État refuser de sauver une importante banque d'investissements, en prétextant qu’elle ne gère pas l'épargne des clients : personne et certainement pas le gouvernement américain ne prendra le risque de répéter la catastrophe de Lehman Brothers.
La prise de risque excessif qui a conduit à la prise était due à l’insuffisance des réserves de capitaux des banques. On est davantage tenté de prendre des paris si son propre capital n'est pas en jeu, car on peut empocher les gains et n'avoir à assumer qu’une petite partie des pertes – que l'Etat vienne ou non à la rescousse. Les incitations à spéculer ne peuvent être supprimées qu’en augmentant drastiquement les réserves en capital.
L'Europe ne doit donc pas suivre les propositions des États-Unis au prochain sommet du G20, mais se concentrer pleinement et entièrement sur le renforcement des réserves en capital des banques.
Une version anglaise est publiée sur le site de notre partenaire VoxEU.
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