La réforme bancaire est-elle en perte de vitesse ? edit
Au début du mois de janvier le comité de Bâle, qui donne le la des réglementations bancaires internationales, a présenté ses propositions concernant les exigences de liquidité des banques, lesquelles se sont avérées pour le moins compréhensives envers les établissements bancaires.
Quelques clarifications tout d’abord. Il convient de ne pas confondre la problématique de la liquidité avec celle de la solvabilité. La solvabilité porte sur la capacité d’une banque à absorber des pertes sur ses actifs sans devoir faire défaut envers ses créanciers, déposant ou autres. Cette capacité repose sur une dotation suffisante en fonds propres, c’est-à-dire sur la composition du passif de la banque. La liquidité quant à elle porte sur la capacité de la banque à pouvoir gérer des retraits de fonds de la part de ses créanciers sans avoir à liquider à bas prix des investissements de long terme, comme des prêts aux entreprises et particuliers. Cette capacité demande une détention suffisante de placements liquides pouvant être vendus rapidement à bon prix, et porte donc sur la composition de l’actif.
Les exigences du comité de Bâle portent donc sur l’établissement d’un coussin d’actifs liquides, précisant le montant à détenir, les types d’actifs pouvant être considérés comme liquides, et l’horizon de mise en œuvre. Si ces efforts sont clairement souhaitables, les propositions annoncées se sont révélées moins strict que ce qu’un draft préliminaire laissait penser. En particulier, la palette d’actifs pouvant être considéré comme liquides a été élargie, comprenant les actions dans leur ensemble et même certains produits dérivés adossés à l’immobilier (certes ces actifs ne sont pas considérés comme aussi liquide que le cash, et les règles imposent une limite sur leur utilisation). En outre l’horizon auquel les banques doivent remplir ces conditions a été rallongé de 2015 à 2019.
L’élargissement de la définition des actifs acceptables n’est-elle pas bienvenues ? Après tout les actions sont échangées sur de grands marchés, et imposer aux banques une détention en forme de cash sans rendement, ou de titres très sûrs mais à faible rendement, plomberait leur profitabilité. Le problème est qu’évaluer la liquidité d’un titre est un exercice difficile car il ne s’agit pas d’une caractéristique fixée une fois pour toutes. La liquidité représente après tout la propension d’autres investisseurs à détenir le titre en question. Elle est donc « endogène » aux conditions du marché. Si une banque individuelle est la seule à connaître des tensions, elle pourra vendre ses actifs facilement aux autres banques qui elles se portent bien. Si toutefois toutes les banques sont sous pression, le vague de ventes d’actifs peut être telle qu’il n’y ait pas assez d’investisseurs ayant la capacité de les acquérir, entraînant alors une chute des cours. Un exemple saisissant de ce phénomène a été le comportement des titres dérivés du marché immobilier en 2007 et 2008. Des titres côtés AAA qui étaient considérés comme sûrs et faciles à vendre se sont avérés impossibles à placer en l’espace de quelques semaines. Comme les crises bancaires affectent une large part du secteur, il est important d’adopter une vue conservatrice de ce qui constitue un actif liquide.
Concernant le timing, la rallonge n’est-elle pas plutôt une bonne idée alors que les économies des pays avancés, surtout en Europe, demeurent dans une situation de croissance faible ? Les banques ont en effet deux manières d’accroître leur détention d’actifs liquides. La première est de lever des fonds propres ou des emprunts pour financer l’acquisition d’actifs liquides. Ces derniers ayant des rendements modérés, cette opération ne serait guère profitable. La seconde est de réduire la détention d’actifs de long terme (ou du moins de ne pas en accumuler davantage) pour acheter des actifs liquides. La seconde solution, qui est la plus probable, conduisant à un fort resserrement du crédit pour les entreprises et les ménages, fort peu bienvenu en temps de croissance anémique. Si l’argument est pertinent est pertinent en principe, un horizon à 2019 est fort généreux. Gageons que lorsque nous nous en approcherons le secteur bancaire soulignera à nouveau que l’horizon est trop proche. En outre il convient de rappeler que les prêts aux entreprises et particuliers ne représentent de loin pas la totalité des actifs non-liquides détenus par les banques. Les investissements en termes d’actifs financier pour leur propre compte sont en effet une activité substantielle (et source de biens de migraines) dont la réduction n’entraînerait pas de coût notable pour l’activité économique générale.
La détention d’actifs liquides est-elle alors la solution parfaite ? Ceci est discutable, tout d’abord pour une raison d’équilibre général, c’est-à-dire prenant en compte que l’offre de tels actifs n’est pas illimitée. Un accroissement de la demande va donc exercer une forte pression sur les rendements. Si cela est une bonne nouvelle pour les émetteurs, dont les gouvernements aux finances saines, ça les moins pour les détenteurs qui outre les banques comprennent également des fonds de pension. Ce phénomène s’est déjà observé avec la forte demande des pays émergents pour des actifs liquides dans leurs réserves de change suite à la crise de 1998. La pression subséquente à la baisse sur leurs rendements est un des facteurs ayant contribué à la crise actuelle en alimentant une recherche du rendement dans des actifs plus complexes et (apparemment) sûrs.
Ensuite, les problèmes de liquidité ne devraient-ils pas être gérés par la banque centrale, qui après tout est la créatrice ultime de liquidité ? Ceci comporte néanmoins le risque de surcharger la banque centrale. Des opérations ponctuelles d’assistance à des banques en manque de liquidité sont dans l’ordre des choses, mais il convient d’éviter que les banques ne puissent se reposer sur un oreiller de paresse à moindre coût. Dans ce cas le contribuable, qui est après toute derrière le bilan de la banque centrale, supporterait le poids des problèmes de liquidité. Contraindre les banques de détenir une première ligne de défense est une manière de faire porter ce coût aux banques et à leurs actionnaires.
Plus largement, l’évolution des efforts de renforcement des liquidités s’inscrit en parallèle avec ceux portant sur l’accroissement des fonds propres ou la meilleure coordination entre régulateurs de différents pays, entre autre pour les procédures de liquidation d’une banque en faillite. Tous ces efforts avancent – très – lentement, et donnent lieu à des règles bien complexes. Est-ce là la voie à suivre ? Il convient de rappeler l’adage que le mieux constitue l’ennemi du bien. Penser que nous pouvons construire un système complexe qui préviendra les crises, ou permettra de les absorber sans surprise, conduira à de douloureuses déconvenues. Il vaudrait mieux opter pour un système plus rustique et solide .Certes cela implique une perte d’efficience par l’adoption de règles quelque peu brutes, mais avons-nous vraiment une connaissance suffisamment fine du secteur financiers pour construire et appliquer des règles précises ? Un exemple d’une telle approche plus brute est la limitation de la taille des banques. Ceci ne constitue pas une baguette magique, car un grand nombre de petites banques agissant de manière identique constitue également un problème, et il est difficile de décréter la taille optimale du secteur, mais de petits établissements ne pourraient pas compter sur la bienveillance publique avec certitude en cas de problème, ce qui demeure le meilleur garde-fou
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