Pourquoi les Suisses ne veulent pas plus de vacances edit
Les citoyennes et citoyens helvétiques ont confirmé dimanche leur caractère assidu à la tâche en refusant nettement de s’octroyer des congés payés supplémentaires. Les Suisses étaient appelés à se prononcer sur une initiative (une loi proposée par un comité ayant réuni suffisamment de signatures dans la population) qui proposait de porter le nombre de semaines de vacances annuelles de quatre à six. Le verdict des urnes est net : deux tiers des Suisses ont rejeté cette proposition, et le verdict est le même dans la totalité des cantons, quoique moins marqué dans la partie francophone du pays.
Quelle mouche a donc piqué les électeurs suisses pour refuser de s’accorder plus de temps libre rémunéré ? Ce choix surprenant s’explique par une convergence de plusieurs spécificités helvétiques. Premièrement notre système de démocratie directe, qui nous appelle aux urnes plusieurs fois par années pour toutes sortes de sujets, s’accompagne d’une appréciation par les électeurs qui dépasse leur intérêt direct immédiat. La majorité des Suisses sont des salarié-e-s, qui auraient donc bénéficié de plus de vacances. Mais le débat a souligné que ce supplément de vacances compliquerait la gestion des entreprises, surtout des petites, et que le renchérissement du coût du travail aurait été défavorable à l’emploi. La spécificité suisse n’est pas qu’un tel argument ait été brandi, car il l’aurait été dans tout pays, mais que les salarié-e-s suisses n’aient dans leur majorité pas réagi en percevant la situation comme une lutte contre un patronat inamical, voire hostile. La perception helvétique du patron renvoie plus au chef d’une petite structure que ses travailleurs connaissent qu’à un PDG distant, en d’autres termes plus à un partenaire qu’à un opposant. Cette perception va de pair avec la démocratie directe : appelé régulièrement à se prononcer le citoyen majoritairement salarié raisonne alors plus comme un associé que comme un employé.
Cette vision relativement large de l’électorat helvétique se manifeste régulièrement lors de scrutins touchant au système social. Par exemple les Suisses ont choisi en septembre 2010 de restreindre la générosité de l’assurance chômage afin d’ancrer sa santé financière sur la durée.
Le deuxième facteur est le bon fonctionnement du marché du travail suisse. Tout n’y est pas parfait, loin de là, et bien des personnes connaissent des situations précaires. Il n’en demeure pas moins qu’avec un taux de chômage de 3,4 % (y compris chez les moins de 25 ans) la situation est clairement favorable en situation internationale. L’électorat helvétique est très attaché à cette situation et montre un scepticisme envers des mesures qui pourraient pousser le marché du travail vers un système dual avec d’un côté des employé-e-s aux situations confortables et de l’autres des personnes enfermées dans des situations précaires, comme le chômage de longue durée. La petite taille du pays, et le fait que sa population est sa seule ressource, fait également que les Suisses pensent qu’ils n’ont pas droit à l’erreur. Leur souci est alors de privilégier les places de travail et les revenus, avec un appétit limité pour les mesures susceptibles de contrer cette priorité comme les congés payés supplémentaires (même s’il peut être risqué que je souligne le peu d’appétit des Suisses pour les congés dans une tribune que mon patron pourrait bien lire).
La troisième considération est la nature même du pays, qui est une Confédération de cantons très largement souverains, et non pas une nation centralisée. Les Suisses ont une méfiance viscérale contre toute mesure centralisée, et préfèrent des solutions plus flexibles au vu des situations régionales ou individuelles. Plutôt que d’imposer un carcan aux dirigeants des entreprises, on privilégie les négociations sur le terrain au niveau des branches d’activités spécifiques ou des entreprises individuelles. Par exemple les conditions de travail dans plusieurs branches sont fixées dans le cadre de conventions collectives de travail négociées directement par les parties concernées.
Faut-il lire dans le résultat de dimanche que la situation du marché du travail suisse est idyllique ? Tirer une telle conclusion serait risqué. La clef de voûte du marché suisse du travail est la notion dite de paix du travail. Selon cet arrangement implicite, les salarié-e-s limitent leurs revendications pour soutenir les places de travail, et en retour le patronat gère les fluctuations économiques en gardant le bien-être des collaborateurs à l’esprit. Si les vacances supplémentaires ont été clairement refusées, le débat autour de cette votation a quand même souligné des préoccupations quant à la qualité du travail, par exemple le stress substantiel auquel bien des employé-e-s font face. Il sera important dans le futur que ces sujets soient pris en considération, faute de quoi les employé-e-s pourraient ne plus trouver leur compte dans le système consensuel existant.
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