Inquiétantes nouvelles de Suisse edit
La Suisse votait le weekend dernier. Deux sujets importants, parmi bien d’autres, étaient à l’affiche : une taxe carbone et l’interdiction des insecticides dans l’agriculture. Comme en France, la lutte contre le réchauffement climatique et la nécessité de produire une alimentation saine et non polluante semblent faire l’unanimité, personne n’ose se dire contre. Eh bien, ces deux propositions soumises à référendum ont été rejetées, de peu pour la taxe carbone (51%), plus largement pour les pesticides.
Dans les deux cas, les villes ont largement voté pour, la part de votes contre est inversement proportionnelle à la taille des communes. Il est probable que des analyses plus affinées montreront aussi un lien direct entre approbation et niveau d’éducation. C’est la Suisse d’en bas qui dit non à la Suisse d’en haut. Ça ressemble à ce que nous connaissons bien en France, sauf que, démocratie directe oblige, il n’a pas fallu que des gilets jaunes bloquent des carrefours et cassent tout ce qu’ils pouvaient dans les rues des villes pour arriver à leurs fins.
Pourtant la taxe carbone suisse était bien mieux ficelée que la nôtre. Tous les revenus de cette taxe devaient être redistribués aux populations défavorisées ou sous forme de subventions pour rendre les actions vertes attractives. La taxe elle-même devait augmenter progressivement jusqu’à atteindre les objectifs de neutralité carbone annoncés par le gouvernement. C’était la taxe proposée par la quasi-totalité des économistes, qui se sentent d’en haut, sans doute, à la différence de celle prévue en France où Bercy n’imagine jamais qu’il est possible de créer une taxe qui n’a pas pour objet de remplir le coffre percé du budget.
La raison du rejet hors des villes ressemble à s‘y méprendre à ce que disaient les Gilets jaunes français. En l’absence de transports en commun, la voiture individuelle est le seul moyen d’aller travailler, de faire des courses, et de s’occuper des enfants. L’augmentation du prix des carburants a été perçue comme une perte de pouvoir d’achat, sans doute parce que les aides prévues n’étaient pas crédibles. Il en va de même des pesticides : les agriculteurs ont expliqué que leurs rendements allaient baisser et leurs coûts de production augmenteraient, une promesse claire d’une hausse des prix de l’alimentation.
Personne, ou presque, n’ignore les dangers du réchauffement climatique. Tout le monde, ou presque, s’inquiète des effets de la pollution d’origine agricole, dans les champs, les rivières, la mer et les assiettes. Ce que ces référendums révèlent – ou confirment – c’est que les sentiments vertueux s’effacent devant le porte-monnaie. Aux autres de faire les efforts nécessaires.
En effet, lutter contre le réchauffement climatique est coûteux. On peut s’émerveiller de la chute du prix des capteurs solaires, de la conversion apparente des fabricants aux voitures électriques ou des milliers d’innovations technologiques, tout cela sera plus cher que dans le monde d’avant. On le sait tout bonnement parce que si c’est moins cher, tous ces miracles se seraient déjà produits. Il en va de même pour l’agriculture : il faudra payer pour se passer des produits phytosanitaires. Bien sûr, on peut prôner la baisse du niveau de vie, comme le font les partisans de la décroissance. C’est plus honnête que de nier le prix à payer pour sauver la terre et protéger notre santé, mais le message suisse est clair. Même dans un pays au niveau de vie légendaire, les gens ne veulent pas abandonner leur confort.
Une solution est de ne pas demander l’avis des gens. En démocratie, c’est très dangereux. On l’a vu en France avec les gilets jaunes qui continuent de hanter les couloirs du pouvoir. Les États-Unis montrent comment la prudence s’exerce. La ministre des finances, Janet Yellen, est une économiste prestigieuse qui a signé la célèbre pétition en faveur de la taxe carbone lancée par un grand nombre de Prix Nobel (dont son époux). J’imaginais que les États-Unis post-Trump allaient s’en faire les champions. Ce n’est pas le cas. L’administration Biden semble avoir conclu que c’est politiquement trop dangereux, bien plus que les mesures anti-produits fossiles courageusement adoptées en début de mandat.
Cette conclusion ne devrait pas seulement angoisser les militants qui défendent les bonnes causes, elle devrait aussi effrayer les gouvernements démocratiques qui font des promesses ambitieuses sans dire comment ils vont s’y prendre. C’est là la limite des accords de Paris et de toutes les déclarations d’intention comme celles renouvelées lors du récent G7. On peut imaginer une politique de petits pas, chacun peu coûteux, mais cela ne parait plus possible. Après des décennies d’immobilité, il faut avancer vite. La recette n’a pas encore trouvée, hélas.
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