Incertitudes espagnoles (à un mois des élections générales) edit
Tous les observateurs de la vie politique espagnole s’accordent pour avouer leurs doutes sur l’issue des élections générales du 20 décembre prochain. Les sondages marquent des tendances de fond certes mais les marges d’erreurs sont d’autant plus grandes que les intentions de vote fluctuent et que les citoyens sont loin d’avoir fait leur choix.
La campagne semblait devoir s’articuler autour de deux thèmes majeurs : la crise catalane et la situation économique. Mais voilà que vient de faire irruption, à la suite des attentats de Paris du 13 novembre, un nouveau facteur insaissisable. L’émotion qui a saisi le monde entier s’est d’autant plus facilement répercutée en Espagne que le souvenir des attentats de Madrid du 11 mars 2004 est toujours présent.
Le changement de climat international va-t-il peser sur la campagne espagnole?
Une première victime collatérale de ces attentats est sans nul doute le « processus de déconnexion démocratique » catalan. Jeudi 12 novembre, Artur Mas a échoué à se faire investir président de la Generalitat. 62 députés de Junts pel Si ont voté pour lui mais 63 contre… et les 10 députés anti-système de la CUP (Candidature d’Unité Populaire) se sont maintenus fermes dans l’abstention. Si d’ici février, aucun président n’est investi, des élections devront à nouveau se tenir en Catalogne. Ce fait majeur de la vie politique catalane a été, et c’est logique, totalement éclipsé le soir du 13 novembre.
Plus grave sans doute pour les indépendantistes : les problématiques catalano-catalanes semblent presque dérisoires au regard des dangers qui menacent les sociétés européennes sans parler des malheurs qui frappent la zone de crise qui s’étend du Mali à l’Afghanistan… Et comment en effet proposer de construire un État sans armée puisque la Catalogne indépendante n’aura pas d’ennemi (mais elle confiera sa défense à l’Espagne et à l’OTAN)? Ces questions conduisent à recentrer le débat sur les questions réelles et concrètes d’une hypothétique indépendance et fragilisent un discours identitaire et étroitement victimiste.
Les sondages sur les élections générales en Catalogne disent assez le vertigineux gouffre qui menace Artur Mas. Son parti – Convergence Démocratique de Catalogne – n’est crédité que de 9 sièges (au lieu de 16 en 2011) face aux 9 de Ciutadans, 9 de Podemos, 9 du Parti Socialiste, 8 de Esquerra Republicana et 3 du Parti Populaire (l’autre grand perdant du théâtre catalan).
Mais les événements de Paris vont-ils vraiment favoriser le « parti de l’Ordre » pour reprendre l’expression d’Enric Juliana? D’ici le 20 décembre, d’autres évènements vont avoir lieu, à commencer par des évènements de la campagne électorale. Si, par malheur, d’autres actes terroristes venaient terroriser une autre capitale européenne ou n’importe quelle autre ville, alors sans doute les électeurs espagnols introduiraient cette dimension dans leur vote. Si, ce qu’il faut souhaiter, rien ne se passe, l’effet d’émotion du 13 novembre se sera dissipé au profit de paramètres plus spécifiquement espagnols. De plus, les Espagnols sont profondément pacifistes. Tout discours va-t-en guerre sera sanctionné et il suffit d’entendre les commentaires sur le bellicisme du président Hollande pour mesurer que l’Espagne n’est pas la France!
La campagne va donc avoir tout son sens. Avec une opinion publique si manifestement déboussolée (les indécis augmentent au fur et à mesure que la campagne monte en intensité mais en même temps la volonté de participer augmente!), on peut s’attendre à tout. Aussi faut-il lire les enquêtes non par les résultats globaux qu’elles pronostiquent mais par des indications qualitatives plus significatives.
Ainsi le PP et Podemos sont les deux partis qui suscitent le plus fort rejet. Plus de 50% des personnes interrogées assurent qu’elles ne voteront jamais pour l’un ou l’autre de ces partis. Sur dix-huit mois, la part de ceux qui rejettent le PP a baissé de 60% à 52% tandis que pour Podemos elle a monté de 41% à 52%. Autre donnée à prendre en compte : Mariano Rajoy pour le PP et Pablo Iglesias pour Podemos sont les deux leaders les plus impopulaires. Mais avec 30% d’opinions favorables et 63% de défavorables, le solde de Rajoy est négatif, et Iglesias recueille 32% d’opinions favorables pour 59% d’opinions défavorables.
Paradoxalement le PSOE est le parti qui est le moins rejetté : seuls 35% des électeurs affirment qu’ils ne voteraient jamais pour lui. Mais son leader Pedro Sánchez ne projette pas une image forte. Pour Ciudadanos, c’est surtout la popularité de son leader Albert Rivera (63% d’opinions favorables pour 29% de défavorables) qui atteste d’une réelle influence de ce parti dans cette campagne (Chiffres de TNS-Demoscopia du 16 novembre 2015).
De même, alors que toutes les enquêtes donnent la victoire au PP (entre 26 et 29%) et le placent en condition de pouvoir former un gouvernement de coalition avec Ciudadanos, les Espagnols préféreraient à 52% un gouvernement PSOE-Ciudadanos. L’hypothèse aujourd’hui semble fragile au regard de l’affaiblissement du PSOE qui peinerait à maintenir ses 110 députés (certaines enquêtes le créditent de 75 élus pour 70 à C’s – la majorité absolue étant à 176 sièges).
Difficile dans ces conditions de proposer un pronostic. Pourtant, tout indique que le PP se prépare mal à un revers spectaculaire. Rajoy a placé la barre à 130 élus pour être incontournable (en juillet il en espérait encore 150!). Mais Rajoy est le plus mauvais leader en campagne, et déjà il refuse les débats télévisés avec Iglesias ou Rivera, prétextant qu’ils n’ont pas de représentation parlementaire sortante. Pedro Sánchez a sauté sur l’occasion et il y aura des débats à trois d’où sera absent le chef du gouvernement sortant. Rajoy risque bien de conduire le PP à l’accident électoral.
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