Le 49.3: un outil de gouvernement légitime mais impropre à régler une crise politique edit
L’utilisation de la procédure de l’article 49-3 de la Constitution pour l’adoption de la réforme des retraites a fait l’objet d’un procès pour violation des exigences démocratiques. Il s’agirait d’un « coup de force » du président de la République et du gouvernement, braqué contre le Parlement, la rue, le peuple, les syndicats…
Rappelons que l’article 49-3 permet au gouvernement, autorisé en Conseil des ministres, d’engager sa responsabilité sur un texte, ce texte étant considéré comme adopté sauf si une motion de censure est déposée et votée par la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale, auquel cas le gouvernement est renversé et le texte rejeté.
C’est l’un des outils majeurs de la Constitution qui vise à permettre au gouvernement de faire adopter un texte, soit face à une majorité rétive pour des raisons conjoncturelles, soit de gouverner alors qu’il ne dispose que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale.
Sans revenir sur la centaine de recours à cette procédure sous la Ve République, il est utile de dresser un parallèle entre l’usage fait par Michel Rocard de cette procédure entre 1988 et 1991 et celui fait par Elisabeth Borne : 28 pour le premier, 11 pour la seconde.
La situation est comparable en ce que l’un et l’autre ne disposent que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale (275 députés socialistes dans le premier cas, 245 députés macronistes dans le second). Elle l’est aussi en ce que le gouvernement de Michel Rocard a évité de 5 voix d’être renversé par une motion de censure contre le projet de création de la CSG, et le gouvernement d’Elisabeth Borne de 9 voix de l’être par la motion de censure contre le projet relatif à la réforme des retraites. De ce point de vue, il convient de relever qu’Elisabeth Borne a, juridiquement, gagné. En démocratie, une voix de majorité emporte la décision. La réforme constitutionnelle adoptée en 2008 avec deux voix de majorité est aussi légitime que si elle l’avait été à une majorité plus large.
Les deux situations ne sont cependant pas identiques si l’on tient compte du contexte politique, on y reviendra.
Si l’on examine la situation du point de vue juridique, il convient donc de relever que l’utilisation de la procédure de l’article 49-3 pour faire face à un risque d’absence de majorité pour adopter le projet de loi sur la réforme des retraites est parfaitement conforme à la Constitution et aux objectifs auxquels répond cette disposition. Il s’agit pour le gouvernement de démontrer qu’il n’existe pas de majorité alternative susceptible de proposer d’autres solutions. Quel que soit le contexte politique, le gouvernement doit disposer des moyens de conduire sa politique sans paralysie. Alors que le pouvoir de contrôler ou d’empêcher tend à l’emporter sur le pouvoir de décider, ceux qui ont reçu mandat de gouverner (président de la République et gouvernement) doivent pouvoir le faire. Sous réserve du point de savoir si telle ou telle disposition trouve sa place dans une loi de financement de la sécurité sociale (ce qui permet de limiter la durée des débats), l’usage par le gouvernement de l’ensemble des outils que lui offre la Constitution (par exemple le vote bloqué, qui permet au gouvernement de demander un vote sur l’ensemble du texte avec les seuls amendements déposés ou acceptés par lui) correspond très exactement aux raisons qui ont conduit à leur inscription dans le texte constitutionnel. Par ailleurs, et sur un plan plus politique, le gouvernement est légitime à considérer que, par ses incidences financières, la réforme des retraites constitue un élément central de sa politique justifiant le recours à ces procédures.
Mais la situation politique diverge sensiblement de celle que devait affronter Michel Rocard. Ce dernier avait face à lui une opposition cohérente, susceptible de gouverner (le camp chiraquien comportait 271 députés). Aujourd’hui la situation à l’Assemblée nationale est totalement déstructurée : une extrême gauche qui refuse la logique même de la démocratie représentative et s’inscrit dans une attitude d’invectives et de coups de force (ceux-là même dont elle accuse le gouvernement) ; une gauche inaudible et soumise à l’extrême-gauche ; une droite incapable d’avoir une position cohérente ; une droite radicale qui attend de « tirer les marrons du feu » et une majorité qui n’est unie que par le soutien formel au gouvernement, partagée qu’elle est entre les transfuges issus de la gauche et ceux issus de la droite. Relevons au passage qu’ainsi l’idée selon laquelle l’adoption d’une motion de censure aurait manifesté l’existence d’une majorité de rechange est totalement infondée en l’espèce.
Cette situation parlementaire n’est en fait que le reflet de la situation sociale. Face à une gauche et à une droite à bout de souffle, que pas grand-chose ne distinguait, Emmanuel Macron s’est fait élire sur un champ de ruines, se voulant le représentant d’un modernisme raisonnable face auquel n’existerait que le repoussoir des extrêmes. En réalité, la droite et la gauche existent encore sans trouver de véritable canal d’expression. Se développe ainsi un électorat déboussolé, marqué par la défiance, à la fois tenté et apeuré par le jeu des extrêmes. Il en est résulté que, de manière inattendue, des élections au scrutin majoritaire ont donné des résultats proches de ceux qui auraient résulté d’élections à la proportionnelle.
Cette adoption aux forceps de la loi sur les retraites ne clôt pas totalement le débat. D’une part, le Conseil constitutionnel pourrait donner satisfaction aux opposants sur des points mineurs s’agissant de la présence de telle ou telle disposition qui constituerait un « cavalier législatif » (c’est-à-dire une disposition qui n’a pas sa place dans une loi de finances ou relative à la sécurité sociale). On n’ose imaginer une censure plus étendue qui manifesterait une confiscation du pouvoir politique par le juge. Par ailleurs, et malgré les entraves techniques opposées au recours à un référendum d’initiative partagée, cette procédure pourrait entretenir le débat sur cette réforme.
Mais là n’est pas l’essentiel. La question est de savoir pourquoi, au-delà du débat juridique qui est tranché, ce recours à l’article 49-3 est ressenti comme un « coup de force ». Il l’est parce que le gouvernement l’a présenté comme l’arme du dernier recours au lieu d’en banaliser l’exercice ; il l’est parce que le président et le gouvernement n’ont pas donné toute leur place aux échanges avec les syndicats, même si un tel débat avait peu de chance d’aboutir, encore eut-il fallu qu’il ait lieu ; il l’est parce que le gouvernement a échoué dans sa stratégie de négociation avec les députés Républicains, qui contrairement aux sénateurs du même parti, ont fait preuve de leur incapacité à représenter une alternative et se sont comportés en « marchands de tapis », ; il l’est parce que le président et le gouvernement n’ont pas su expliquer le sens de cette réforme, paralysés par un « en même temps » qui s’avère incompréhensible pour l’opinion publique…
L’épisode politique témoigne d’une grande et inquiétante faiblesse du président et de son gouvernement. Si le recours à l’article 49-3 a permis l’adoption de ce projet il est incontestable qu’il ne peut constituer un outil permettant de gouverner jusqu’à la prochaine échéance électorale. D’abord parce que la révision constitutionnelle de 2008 en a drastiquement limité l’usage (outre les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale, le gouvernement ne peut engager sa responsabilité que sur un texte par session). Par ailleurs, les résultats du vote de la motion de censure conduisent à considérer que l’idée selon laquelle le gouvernement pourrait faire adopter des textes en s’appuyant, au cas par cas, sur tel ou tel courant de l’opposition est parfaitement irréaliste. Ainsi la procédure de l’article 49-3, censée éviter la paralysie gouvernementale, ne pourra pas, pour les raisons qui viennent d’être évoquées, jouer, de manière générale ce rôle. Ce n’est pas l’absence de majorité politique qui est la cause de cette situation, mais l’impossibilité d’une majorité politique dans les circonstances actuelles. Faute d’expression et de débouché politiques, le débat se déportera dans la rue ou, plus vainement encore, dans des « conventions citoyennes » expression du mirage de la démocratie participative, du moins sous cette forme et comme substitut à la démocratie représentative. Face au vide du pouvoir démocratique toutes les solutions, même les pires, sont possibles.
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