Le rôle irremplaçable du couple franco-allemand edit
L’heure a enfin sonné. Angela Merkel a osé s’engager avec Emmanuel Macron dans une voie espérée depuis longtemps. Ils ont ouvert la voie aux obligations à long terme de la Commission européenne. Et ils proposent désormais de fournir une part du budget de l'UE en aide directe aux pays les plus touchés par la crise du COVID-19.
Sans cette initiative, le paquet de 750 milliards de dollars de la Commission européenne aurait été inconcevable. Si l'Autriche, les Pays-Bas, le Danemark et la Suède sont encore opposés au principe d’une transmission d'emprunts sous forme de subventions, leur résistance est surmontable. Sebastian Kurz, le chancelier autrichien, s’est étonné de l’initiative franco-allemande en déclarant que jusqu'à récemment, la position des « pays frugaux » était également celle de la chancelière allemande et de la CDU/ CSU.
Et il n’avait pas tort. Les Allemands ne voulaient pas payer les dettes de l’Europe. La culture économique et politique de l'Allemagne, qui est celle de l'Europe du Nord mais aussi centrale, met l'accent sur les avantages de l'épargne et de l'investissement. En outre, les conservateurs allemands étaient convaincus que l’aide économique et finanière ne débouchait pas automatiquement sur plus d’intégration européenne. La Hongrie et la Pologne recoivent les plus grands transferts de l’UE, ce qui n’empêchent nullement leur attitude nationaliste.
Pourquoi Angela Merkel fait-elle un tel choix politique alors même ce dernier n’est pas sans risque pour elle?
Les conséquences dramatiques du COVID-19 ont contribué à accroître en Allemagne le sentiment de solidarité avec les pays d'Europe du Sud. Il est également apparu que la proposition des « pays frugaux » de venir en aide aux pays les plus touchés par des prêts et non par des subventions ne ferait qu'aggraver le problème du Sud. En outre, la perception de la crise du COVID-19 est très différente de la crise financière de 2009 car elle n’est pas percue comme une crise asymétrique mais comme une crise globale par l’industrie allemande qui fait passer des messages à Angela Merkel.
Mais le choix politique d’Angela Merkel suffira-t-il à convaincre la droite allemande classique, c’est-à-dire plus ordolibérale? Et une majorité des Allemands suivra-t-elle la chancelière sur une voie qui signifie un nouveau départ pour l'Allemagne en Europe?
Les critiques les plus acharnés de l'initiative franco-allemande ont accusé Angela Merkel de vouloir transformer l'Union économqiue et monétaire en une Union de transfert et de dette. Une telle perspective ne serait ni compatible avec le droit de l'UE ni avec la volonté du peuple allemand.
Ces voix en provenance de l'aile droite de la CDU et du FDP (le parti libéral) se sont cependant calmées. Divers développements au cours des dernières semaines y ont contribué.
D'une part, il y a la grande confiance que la majorité de la population allemande a envers Angela Merkel et son gouvernement. Dans un sondage paru dans la deuxième semaine de mai, les trois quarts des citoyens interrogés étaient satisfaits du travail du gouvernement lors de la crise du COVID-19. Angela Merkel bénéficie personnellement de cette confiance. Après une période d‘essoufflement, elle est redevenue la politicienne la plus populaire en Allemagne
Si les partis d'opposition n’ont jusqu'à présent guère capitalisé sur les nombreuses craintes et inquiétudes des Allemands, c’est en raison de cette percepttion positive de la gestion de la crise par le gouvernement fédéral. Les partis les plus critiques à l'égard du cours actuel de l’Union européenne, comme le FDP, sont peu populaires auprès des électeurs. Selon les dernières enquêtes, le FDP ne franchirait pas la barre des 5% et pourrait ne plus être représenté dans le prochain Bundestag.
Le déclin du parti populiste de droite AfD est également remarquable puisqu’il n’arrive pas à adopter une position cohérente par rapport à la crise du COVID-19. De plus, il existe une profonde dichotomie au sein de l’AfD entre une vraie extrême droite et ce qu’on appelle l'aile populiste de droite. Les derniers sondages en défaveur de l’AfD ont contribué à calmer les craintes du gouvernement allemand. Pendant longstemps, Angela Merkel avait tendance à penser qu’il fallait craindre la montée de l’AfD autour du thème de l’Europe des transferts. C’est beaucoup moins le cas aujoud’hui.
Les barons de la CDU – Armin Laschet, Norbert Roettgen et Friedrich Merz – ont également soutenu l’initiative franco-allemande de Merkel et Macron. Tous les trois sont en lice pour la présidence de la CDU. L’élection aura lieu en décembre 2020. Cela vaut également pour le chef du parti frère bavarois CSU, Markus Soeder, qui occupe la deuxième place dans le baromètre politique en Allemagne.
À plusieurs reprises au cours des dernières semaines, ces quatres personnalités ont rappelé que soixante ans d'intégration européenne et de monnaie commune ont conduit à de grands succès économiques. La majorité des exportations allemandes sont destinées aux pays de l'UE. Une croissance économique durable en Allemagne ne peut être atteinte que si la relation avec les pays de l’UE est fluide et guidée par le libre-échange. À l’opposé, le protectionisme conduirait à l'appauvrissement qui serait une menace pour la démocratie.
Armin Laschet, ministre-président du Land de Rhénanie du Nord-Westphalie, le plus peuplé d‘Allemagne, et Norbert Roettgen, président de la commission des Affaires étrangères du Bundestag, se sont appropriés un travail éducatif sur les bienfaits de l’interdépendance. Ils sont considérés comme particulièrement proeuropéens. Laschet a même accueilli le fonds franco-allemand comme « la pierre angulaire d'une nouvelle Europe ». Roettgen a qualifié l’arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale de «fatal». En revanche, le néolibéral Friedrich Merz et le ministre-président de la Bavière, Markus Soeder, sont plus prudents lorsqu'ils évaluent la décision des juges de Karlsruhe.
L’évolution des relations internationales a aussi contribué à renforcer dans la population une perception plus positive du rôle que l’UE devait jouer au niveau mondial. La manière dont la Chine a géré la crise du COIVID-19, son refus d’être plus transparente sur l’origine et la propagation de cette maladie ou encore la communication autour du virus pour améliorer son image en Europe et dans le monde, ont amené le gouvernement allemand à réfléchir non seulement aux chaînes d’approvisionement en particulier, mais aussi à un changement de la perception de la Chine en général. Dans un discours à la Fondation Konrad Adenauer, Mme Merkel fut assez claire : en ce qui concerne le future des relations avec la Chine, il ne s’agira pas « seulement de l'augmentation des volumes d'échanges », mais plutôt de la capacité europénne à admettre la détermination avec laquelle la Chine revendique une position de leader dans l'architecture internationale.
La chancelière comme les barons de la CDU ont compris que cette pandémie a le potentiel de déchirer l’UE. Ou bien les États-membres agissent d’une manière solidaire et rationelle ou bien les forces destructrices l'emporteront finalement et que l'UE s'effondrera. À entendre les voix sceptiques, on peut craindre le pire. La blogueuse eurosceptique Coralie Delaume, par exemple, n’exclut pas que face aux difficultés économiques à venir, les populations nationales se raidiront et qu‘une « droite plus droitière, plus ordolibérale, continuera à monter en puissance ». Ce n’est pas ce que suggèrent les derniers développements de ce côté du Rhin.
Il ne faudra certes pas fermer les yeux sur les implications de l’arrêt de la Cour constitutionnel allemande qui a décidé une nouvelle fois de rentrer en conflit avec la Cour de Justice de l’Union européenne le 5 mai dernier. Il n’est pas à exclure que cet arrêt sur l’illégalité du rachat de la dette souveraine par la Banque centrale européenne puisse avoir des conséquences néfastes sur l’engagement allemand dans la zone euro. Au vu des inégalités économiques et financières éventuelles à venir entre les pays du Sud et du Nord après la crise du COVID 19, il est urgent de se positionner clairement dès maintenant.
Mais l’initiative franco-allemande a donné à Mme Merkel l’opportunité de se positionner clairement. Quelques jours avant le début de la présidence allemande du Conseil de l'UE qui commence en juillet, elle évoquait le fait que les 500 milliards d'euros ne pouvaient être qu'une « réponse brève » à la crise. Les « réponses longues » devraient être discutées lors de la conférence sur l'avenir de l'Europe.
En ce moment, nul ne sait encore quand cette conférence aura lieu. Avant le début de la crise du COVID 19, son coup d’envoi était prévu pour le 9 mai dernier. Ce calendrier n’a pas pu être tenu et ce n’est pas plus mal. Il est déjà clair qu'elle doit être conçue différemment de ce qui était initialement prévu. « Parce que nous devons parler sérieusement de ce que l'Europe ne pouvait pas faire assez maintenant et de ce que sera l'avenir de l'Union européenne. Cela peut également inclure des modifications de contrat. Cela peut inclure un rapprochement beaucoup plus important », a précisé Angela Merkel.
Ces commentaires montrent que la chancelière allemande est prête à envisager un nouveau chemin pour l‘UE. Elle a également montré que le couple franco-allemand a encore un rôle important à jouer. Seulement une entente entre la France et l’Allemagne peut rapprocher le Sud et le Nord de l'Europe. La France qui croit à la primauté de la politique, et l'Allemagne, qui préfère encore la primauté de l'économie sont bien les seules à pouvoir résoudre les conflits idéologiques entre ces deux camps.
Il est probable que les avancées seront faites de façon pragmatique. Les différences de la pensée politique en Europe sont encore grandes et principalement définies par le passé et pas toujours orientées vers les défis du futur. Les politiques politiques visionnaires ont, en ce moment, encore du mal à s’imposer en Europe. Le fait que leur heure ne soit pas encore venue maintenant n’exclut pas que l’Europe aura crucialement besoin d’eux demain. Par exemple pour inspirer et guider la conférence sur l’avenir de l’Europe.
L’approche pragmatique peut apparaître comme une politique tiède et frileuse. Mais cela ne reflète pas la réalité. En vérité, c’est une révolution. C’est ainsi que la politique franco-allemande a retrouvé son caractère indispensable pour l’avancée de l’Europe.
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