Les villes, une alternative diplomatique à la gestion de la pandémie edit
#UnitedAgainstCoronavirus est le hashtag choisi par l’Union Européenne pour sa communication en temps de crise ; #InThisTogether est celui du C40, réseau international de 96 grandes villes engagées contre le changement climatique. Les deux organismes, qui représentent chacun environ un quart du PIB mondial, doivent leur existence à la volonté de coopération internationale exprimée, respectivement, par des États et des villes. Soumis au choc de la pandémie, les mécanismes qui se sont déclenchés en leur sein sont diffèrent largement.
D’un côté, les longues et âpres négociations européennes autours d’un emprunt commun et l’impasse onusienne, qui arrive à faire regretter les temps de la guerre froide où États-Unis et Union Soviétique avaient quand même su s’accorder face à la polio. De l’autre, un renforcement prononcé de la collaboration internationale entre villes de toute taille et pays, dans un effort collectif envers ce qui est perçu comme un défi commun.
La crise du covid-19 semble susciter un hiatus entre le repli des États et l’ouverture des villes. Quel sera l’impact de l’action de ces dernières sur le remaniement des relations internationales que cette pandémie semble destinée à générer ? Les villes seront-elles en mesure de défendre l’approche multilatérale, au moment où les organisations internationales même peinent à le faire ?
Face à la place secondaire que l’ordre international leur réserve depuis la paix de Westphalie en 1648, au cours de la dernière décennie un nombre croissant de villes a mené une croisade pour obtenir une place à la table mondiale des décisions. Elles basent cette revendication justement sur les atouts de leur approche, qualifiée de collaborative et efficace. Tout comme « il n’y a pas de manière démocrate ou républicaine de réparer les égouts », selon la célèbre phrase de l’ancien maire de New York Fiorello La Guardia, la même approche pragmatique a mené les édiles d’aujourd’hui à voir dans l’international une riche boîte à outils pour résoudre les problèmes locaux. D’autant plus que ces derniers sont, bien souvent, expression de défis d’ampleur mondiale.
Et pourtant jamais auparavant les atouts d’une telle démarche n’ont été plus évidents. Tout au long de centaines de milliers d’accords de jumelage et de coopération (10 440 seulement pour la France) et de plus de 200 réseaux, les villes ont déployé dès les premiers jours de la pandémie des instruments de coordination permettant aux communautés urbaines non encore atteintes par la vague épidémiologique de bénéficier des informations provenant des épicentres, en pouvant ainsi préparer leur propre dispositif de réponse à partir des bonnes (et des mauvaises) pratiques déjà expérimentées.
Des réseaux de villes sont d’ailleurs à l’origine de gestes de solidarité de plus en plus concrets en faveur des collectivités moins équipées face à la crise, du fonds de solidarité de Cités Unies France, alimenté par les collectivités françaises et destiné à soutenir les villes africaines à celui de 1,35 million d'euros créé par l'Association Internationale des Maires Francophones (AIMF), sans oublier la toujours plus importante coopération sud-sud, comme celle entre les villes latino-américaines du réseau Mercociudades, qui permet une assistance technique gratuite dans la formulation de stratégies municipales pour répondre à la pandémie.
Cette approche ne se limite pas aux grandes villes, comme le montre Cittaslow, réseau international de 264 petites municipalités, au sein duquel se multiplient depuis des semaines des gestes concrets de solidarité entre les membres, du partage de solutions pratiques au don de matériel médical.
Les efforts conjoints des villes se concentrent également sur les énormes défis de l’après crise. Un exemple est la création par le réseau C40 du groupe de travail post-coronavirus coordonné par le maire de Milan Giuseppe Sala, dans le but d’entreprendre un redressement économique durable et équitable. Plusieurs réseaux urbains ont lancé des réflexion plus spécifiques, telle que celle de Cités Interculturelles sur l’impact de la pandémie sur les inégalités sociales et le vivre ensemble, ou celle sur la résilience des destinations touristiques portée par l'Organisation des Villes du Patrimoine Mondial (OVPM).
La volonté des maires de rappeler la diplomatie « traditionnelle » aux valeurs de solidarité et coopération a d’ailleurs produit, ces dernières semaines, un plaidoyer international très vocal, à l’allure parfois de confrontation idéologique, qui s’exprime tant à échelle régionale, avec une lettre ouverte des Maires de Paris, Milan, Amsterdam et Barcelone du 13 avril dernier adressée aux négociateurs de la réponse européenne à la crise, ou même globale, comme dans la tribune au Monde du 23 avril dernier de 95 maires français appellent à « une approche concertée et solidaire entre les États, articulant l’action locale et l’action internationale », notamment en Afrique.
Au-delà de la certes importante contribution au débat public de ces mots et de ces gestes, les villes seront difficilement en mesure d’impacter l’évolution des relations internationales à moins que leur voix soit intégrée au sein des instances qui les dessinent et gèrent, ce qui aujourd’hui comme depuis des siècles relève de la dimension gouvernementale et intergouvernementale. Des évolutions en ce sens existent pourtant dans un nombre croissant de pays qui ont progressivement surmonté les craintes de voir leurs compétences régaliennes concurrencées par cette nouvelle forme de diplomatie, créant des instances pour la soutenir, comme l’a fait la France avec la Délégation pour l’action extérieure des collectivités territoriales au Quai d’Orsay. Au moment où l’approche décentralisée et collaborative des villes montre tout son potentiel d’impacter positivement l’évolution de la crise, ne serait-il pas opportun de redessiner cette relation entre échelles de gouvernement afin que la communauté nationale dans son entièreté puisse en bénéficier ?
Un scénario quelque peu utopique, mais qui se renforce chaque jour grâce à l’action de dizaines de milliers de villes dans le monde entier. Une approche clairvoyante pourrait permettre à l’effort solidaire généré par la pandémie, et dont les villes ont su se faire interprètes bien mieux que les États, d’impulser un tournant collaboratif aux relations internationales, avant que la crise ne génère des dynamiques internationales encore plus graves de sa tragique composante sanitaire.
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