Démocratie participative : la formule suisse edit
La proposition de Ségolène Royal d'instaurer des jurys populaires qui auraient à examiner si les promesses faites avant une élection ont bien été tenues mérite débat. Pour le nourrir, un détour par la Suisse n'est pas forcément inutile. La participation des citoyens y permet par exemple de mieux contrôler les dépenses publiques et d'empêcher certaines hausses d'impôts, en examinant en profondeur des projets particulièrement coûteux, surtout au niveau local. Au niveau de la Confédération, les dépenses publiques sont maîtrisées et cette année l'équilibre financier semble avoir été plus qu'atteint puisque les comptes de l'Etat fédéral présenteront un excédent d'au moins deux milliards de francs suisses. Mais tout cela est-il dû au contrôle populaire exercé par les institutions de démocratie directe ? Rien n'est moins sûr.
Car si la Confédération va bien financièrement, il n’en va pas de même pour toute une série de collectivités publiques comme les cantons et les communes. Or, ces entités politiques connaissent les mêmes mécanismes de démocratie directe que la Confédération et souvent davantage, en ce sens que bien plus de décisions notamment financières peuvent y être contestées par voie de référendum. Ainsi, le canton de Genève est un bon exemple de ce qui peut mal aller même avec un régime de démocratie directe : la dette du canton est faramineuse. Elle approche le niveau italien en dépassant le PIB cantonal. Des hommes politiques à la réputation en partie compromise ont été élus et réélus. On peut ici, du point de vue institutionnel, faire un parallèle avec la France. En effet, les Cours des comptes et parfois les juges ordinaires font un travail de surveillance et de répression depuis des années et dénoncent les utilisations abusives de fonds publics. Malgré cela, l’électorat ne semble pas en tenir compte. Au vu de l’exemple genevois les dispositions de démocratie directe n’empêchent visiblement pas par elles mêmes l’excès de dépenses et d’endettement ainsi que les comportements électoraux paradoxaux.
Pourquoi en est-il ainsi et pourquoi la démocratie directe ne peut-elle pas nécessairement changer la situation ? Voici quelques hypothèses.
Ce qui coûte cher, ce ne sont souvent pas les projets ponctuels comme une piscine ou une route mais les surcapacités administratives mises au service de ces projets. De plus, un électorat exprime souvent des préférences contradictoires, comme plus de sécurité sociale et moins d'impôts.
Dans un système référendaire, les promoteurs d'un projet ont appris à cacher ses coûts réels à long terme. De nouvelles lignes ferroviaires alpines en Suisse se sont révélées quatre fois plus chères que le coût présenté lors de la votation populaire.
Les experts ne peuvent pas contrer la tendance exprimée par un électorat à gonfler l'impact d'événements à probabilité basse mais à effets spectaculaires (pour parer à des événements de probabilité infime on n'hésite pas à multiplier les mesures préventives). Cela renchérit le coût des ouvrages publics. Tant les politiciens que les promoteurs appuient ces penchants coûteux.
Des individus douteux sont réélus parce qu'ils ont acquis une réputation de pourvoyeurs de fonds soit pour une région soit pour un groupe de pression particulièrement nombreux (e.g. les sportifs) même s'ils se servent au passage ou financent leur parti de manière illégale. La démocratie directe augmente le coût de l’information pour l’électeur qui doit se prononcer sur des sujets difficiles. De plus, le nombre plus élevé de votations entraîne une réduction de la participation. N’ont de ce fait tendance à voter que ceux qui sont vraiment concernés par l’issue du scrutin, ce qui biaise les résultats en leur faveur.
Finalement, une décision électorale peut être prise pour des motifs qui n’ont rien à voir avec l’objet du référendum. Le vote de 1992 en Suisse sur la participation à l’espace économique européen a été largement interprété comme un vote pour ou contre l’Union Européenne, ce qui n’était pas l’objet du scrutin. Le rejet de la constitution européenne par la France relève probablement de la même logique.
Face à tous ces problèmes, l'idée de Mme Royal n'est pas forcément mauvaise, à condition que le jury en question fonctionne selon des règles habituelles. Strict tirage au sort, modération d'un « juge » qui donne au jury des instructions sur les limites dans lesquelles il doit opérer, audition d'experts et délibérations secrètes avec au bout une règle de décision à l'unanimité voire à une large majorité ce qui permettrait de forcer les jurés à un raisonnement plus approfondi.
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