Pourquoi les eurosceptiques sont-ils pour la peine de mort ? edit
Demain s’ouvre à Paris un colloque sur « Identités nationales, identité européenne ? », organisé par Eric Besson, ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale. Dans la mesure où l’Europe ne relève pas de ses compétences, cette initiative peut apparaître comme une manière de relancer le débat sur l’identité nationale en l’orientant vers un nouvel objet : l’enjeu européen. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose que de penser la relation entre identité nationale et identité européenne, d’autant que l’on dispose d’études très intéressantes sur ce sujet.
L’attitude des électeurs à l’égard de l’Union européenne ne dépend pas uniquement ni essentiellement de leurs options libérales ou antilibérales en matière économique. Elle dépend très fortement de leurs valeurs d’ouverture et de tolérance et de leur degré d’adhésion au principe de l’égale dignité et de l’égale valeur des individus humains. L’Enquête sur les valeurs des Français, réalisée en 2008, montre ainsi que la confiance en l’Union européenne dépend très fortement de deux facteurs : l’opinion sur la peine de mort et l’attitude à l’égard des immigrés. Les « humanistes », ceux qui sont à la fois adversaires de la peine de mort et tolérants à l’égard des immigrés, font très majoritairement confiance à l’Union européenne. À l’inverse, c’est la défiance envers l’Union européenne qui domine largement chez ceux qui sont à la fois partisans de la peine de mort et intolérants à l’égard des immigrés.
Cette relation entre les valeurs d’humanisme et de tolérance et l’attitude envers l’Union européenne renvoie à l’un des grands non-dits de notre société : l’idée selon laquelle les hommes ne seraient pas tous d’égale dignité et d’égale valeur. Une telle idée est admise dans le débat public quand on discute de certains sujets, comme la question du mérite. On a le droit de soutenir que certains ont plus de mérite, donc plus de valeur, que d’autres. Ou d’estimer que certains ont plus de valeur morale que d’autres. L’idée de l’inégale valeur des êtres humains est en revanche, de nos jours, officiellement et vigoureusement prohibée lorsqu’elle vise des groupes auxquels on appartient par sa naissance, tels que le sexe, la nation ou l’origine ethnique. Mais si la norme officielle de notre société est que les êtres humains sont égaux quel que soit leur sexe, leur nationalité ou leur « race », c’est évidemment peu dire que cette norme est loin d’être parfaitement respectée dans la pratique.
Sans doute est-ce cette dimension de la conception égalitaire ou hiérarchique de la valeur humaine qui rend compte du lien entre les attitudes à l’égard de la peine de mort, des immigrés et de l’Europe. Refuser la xénophobie, c’est affirmer le principe que la valeur d’un être humain ne dépend pas de son origine ethnique, raciale ou nationale. S’opposer à la peine de mort, c’est estimer que même un criminel est détenteur d’une part de valeur humaine qui mérite d’être respectée. Et être favorable à l’Union européenne, c’est considérer que les habitants des autres pays européens n’appartiennent pas à une humanité différente, qui serait inférieure à la nôtre, et qu’il est possible de former avec eux une communauté. À l’inverse, considérer que les habitants des autres pays européens ne sont pas tout à fait nos égaux est en phase avec une vision du monde dans laquelle les immigrés sont des humains de moindre valeur et où les criminels ne valent pas la corde pour les pendre. « Identité nationale », dans ce cas, ne signifie pas simplement différence mais aussi supériorité.
Sans doute, étant donné la qualité de ses participants, le colloque du 8 avril sera-t-il irréprochable du point de vue du politiquement correct. Mais, si le débat sur « identité nationale et identité européenne » est appelé à se poursuivre, il est à prévoir que l’on assistera, comme dans le précédent débat, à un certain nombre de dérapages plus ou moins contrôlés.
Par delà l’action d’Eric Besson, c’est la stratégie du président de la République qui est en question. Dans la perspective de 2012, Nicolas Sarkozy a-t-il l’intention de faire de l’Europe un enjeu du débat politique ? En 2007, il a fait vibrer chez les électeurs la corde sensible de l’inégalité de la valeur humaine en y jouant l’air de la sécurité. Envisage-t-il, pour 2012, de reprendre la même corde en y jouant cette fois-ci l’air du petit village gaulois en lutte contre l’empire européen ?
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