Syndicalisme : la fin d’une époque ? edit
Les résultats de la négociation sur la représentativité et le financement syndical n’étaient pas garantis d'avance. Pourtant, une déclaration commune est aujourd’hui publique. Ses enjeux vont bien au-delà d’une simple recomposition du champ syndical.
D’une certaine façon, la déclaration commune – un accord qui ne dit pas son nom ? – est sans surprise. Ceux qui l’ont signée – la CGT, la CFDT, le MEDEF, la CGPME – avaient intérêt à le faire. Ceux qui pensaient qu’elle pouvait leur être hostile ne l’ont pas fait.
De la même façon, les critiques formulées lors de sa publication étaient attendues. Certains regrettent son manque d’ambition et s’interrogent sur les seuils de représentativité fixés par les signataires, la mise à l’écart des entreprises de moins de 50 salariés ou l’extension des clauses de la déclaration commune au secteur public. D’autres dénoncent les menaces qui pèseraient désormais sur le pluralisme syndical, un pluralisme qui confine pourtant à une sur-division du syndicalisme français et, comparé à d’autres pays, à un affaiblissement conséquent de la représentation des intérêts des salariés face à l’employeur.
Par-delà ces constats immédiats et les logiques d’intérêts et d’appareils qu’ils traduisent, la déclaration commune implique des enjeux qui renvoient à des traits d’importance. Parmi eux, le moindre n’est pas de donner pour assise à la légitimité des accords le vote démocratique des salariés directement concernés, ce qui élargit ainsi le périmètre de la démocratie sociale.
Mais surtout, ce qui est en cause c’est l’existence de deux cycles sociaux ou historiques. D’une part, la déclaration clôt un cycle ouvert au tournant du siècle à propos de la révision des règles de la représentativité syndicale ; de l’autre, elle marque la fin d’un autre cycle – beaucoup plus long – ouvert dès l’après-guerre et qui renvoie aux rapports de la négociation collective et de l’État.
Au tournant du siècle en effet, la CFDT puis la CGT se prononçaient en faveur d’une révision profonde de la représentativité des syndicats et de la validation des accords professionnels. La déclaration commune, en préconisant d’établir l’accord d’entreprise ou de branche sur des critères d’audience syndicale, met un terme à un cycle de près de 10 ans jalonné de débats, de polémiques et d’initiatives publiques et parmi lesquelles on notera : l’institution d’un droit d’opposition face à l’accord majoritaire ; la loi Fillon sur le dialogue social ; le vote controversé du Conseil économique et social à l’automne 2006 ; la loi de janvier 2007 créant de nouveaux rapports entre le législateur et la négociation collective ; le récent accord sur la modernisation du marché du travail.
Deux faits se dégagent aujourd’hui avec force.
Le premier est la signature de la CGT. Certes, celle-ci était prévisible. Même aux pires périodes, notamment lors des divisions liées à la réforme des retraites en 2003, l’unité entre la CGT et la CFDT sur la nécessité de redéfinir les critères de représentativité, s’est toujours maintenue. Mais sur d’autres plans, la signature de la CGT s’avère encore plus importante. En effet, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale l’adhésion de la CGT à des accords interprofessionnels fut rare et lorsqu’elle le fut, c’était toujours dans le cadre d’un accord réunissant généralement la totalité des confédérations syndicales – les « cinq grandes ». Aujourd’hui, la CGT avalise une déclaration avec la seule CFDT et du côté patronal le MEDEF et la CGPME c’est-à-dire un texte fondé du côté syndical sur une minorité arithmétique. En fait, la CGT répond en l’occurrence à trois traits essentiels : la nécessité de remédier à un syndicalisme figé, divisé, à une « société syndicale » paralysée ; celle de répondre aux divers blocages caractérisant le dialogue social à la française ; et surtout celle de reconnaître et d’assumer le rôle décisif et indispensable que beaucoup lui reconnaissent quant à l’évolution des rapports sociaux et de la négociation collective en France. Un tournant historique ?
La question peut se poser en des termes quasiment identiques du côté du MEDEF. Ligne Parisot versus UIMM ? C’est ainsi que certains analysent et réduisent aujourd’hui les clivages au sein de l’organisation patronale. Mais l’important se situe au-delà des jeux de pouvoirs, d’influences et des rivalités personnelles. À l’automne 2006, le MEDEF s’opposait aux côtés de la CGC, de FO et de la CFTC à la modification des règles de représentativité lors d’un vote organisé au Conseil économique et social. Aujourd’hui, l’organisation patronale a le courage d’affirmer une révision en profondeur – et ceci 18 mois à peine après le vote du CES. En fait, derrière la position du MEDEF – et de la CGPME – réside un changement de stratégie contractuelle d’importance. Longtemps, la ligne du patronat s’inspirait en la matière de celle de l’UIMM. Il s’agissait de privilégier les accords de branche et d’aboutir à des résultats même lorsqu’ils découlaient d’accords fondés sur l’adhésion de syndicats minoritaires. En privilégiant un face-à-face avec la CGT et la CFDT, le patronat rompt avec ces pratiques et favorise la notion d’accords fondés sur des critères d’audience plus démocratiques et représentatifs notamment au sein de l’entreprise.
Le MEDEF ne met-il pas fin à des pratiques patronales qui avaient marqué en matière de négociations collectives la société française depuis l’après-guerre ? Et ce faisant, n’avalise-t-il aussi une autre rupture, mais une rupture historique cette fois, liée à la fin de l’extension des conventions collectives de branche,et à un interventionnisme public de type keynésien ?
En fait, la déclaration commune comme l’accord interprofessionnel sur la modernisation du marché du travail de janvier 2008 s’inscrivent dans le cadre des nouveaux rapports qui régissent désormais la loi et l’accord collectif. Le fait est bien connu, longtemps l’État eut en la matière un rôle hégémonique. La loi de janvier 2007 redéfinit les rapports entre la négociation et la production des droits ou le législateur. Elle offre aux partenaires sociaux le soin de pouvoir influencer par la concertation ou la négociation les lois relatives à la réforme du droit du travail. C’est dans ce contexte que s’inscrit le dernier accord sur la modernisation du marché du travail, mais aussi les négociations sur la formation professionnelle et la GPEC (Gestion prévisionnelle de compétences) qui doivent aboutir avant la fin 2008. En renforçant la légitimité des accords d’entreprise et de branche, la déclaration commune complète ainsi ce qui se jouait déjà dans les rapports entre l’accord interprofessionnel et la production de nouveaux droits. Elle peaufine une architecture contractuelle qui prend en compte les liens entre la nécessaire réglementation publique et l’autonomie des acteurs ; entre les divers niveaux de la négociation ; entre la légitimité du droit et celle de la négociation collective.
Dès lors, faut-il être à son égard résolument critique et dénoncer un manque d’ambition, réel sur certains points ? Par exemple, pourquoi ne pas avoir fondé l’accord professionnel sur la notion d’accord majoritaire reposant sur la signature de syndicats recueillant au moins 50% des voix lors des élections professionnelles ? Certes, cela avait été envisagé durant un temps. Mais dans les faits, tout s’est passé comme si les signataires de la déclaration commune avaient choisi la sagesse plus que le rêve, parfois source de frustrations lorsqu’il est confronté au réel. À une réforme trop ambitieuse mais impossible à mettre en œuvre, ils ont préféré une réforme plus limitée mais faisable à court terme. Et alors ?
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