Aplatir la courbe, un concept qui a de l’avenir – en ville! edit
Peu de scènes de film expriment mieux la frustration que l’embouteillage par lequel s’ouvre la comédie Office Space. Les conducteurs avancent sur une autoroute californienne dans un ballet pathétique de coups de klaxon et de changement de voie. Pourtant, cette nuisance quotidienne pourrait être atténuée grâce à la même stratégie que celle utilisée pour lutter contre la pandémie.
La stratégie consistant à « aplatir la courbe » vise à étaler dans le temps le nombre de nouvelles infections à la Covid-19. La distanciation social et le port de masques ralentissent la propagation du virus afin d’éviter la saturation des hôpitaux, le manque de respirateurs, de lits et le manque de personnel soignant. Les infrastructures – des hôpitaux et des autoroutes aux réseaux électriques – tombent en panne lorsque la demande dépasse la capacité de pointe. En « programmant » la demande de soins de santé, l’aplatissement de la courbe a permis de sauver des vies.
Les infrastructures urbaines souffrent des mêmes pics de demande. Les banlieusards du matin saturent les autoroutes. Les travailleurs forment des files d’attente lorsqu’ils sortent déjeuner, et lorsqu’ils rentrent chez eux ils poussent les réseaux électriques à leurs limites. L’élargissement des routes et l’expansion des restaurants créent des infrastructures coûteuses qui restent inutilisées pendant la majeure partie de la journée. En réduisant les pics, nous pouvons rendre les villes plus efficaces.
Cela vaut aussi pour les transports en commun, avec en outre, aujourd’hui, une dimension sanitaire. Dans un certain nombre de villes européennes et asiatiques, ainsi que dans certaines villes américaines, l’utilisation intensive des transports publics pendant les heures de pointe contribue à rendre ces moments propices à la contamination. Ici, les deux questions se rejoignent : en aplatissant la courbe d’usage des transports en commun, nous pouvons réduire la concentration humaine et permettre une plus grande distance sociale, réduisant ainsi le risque de contamination pour les usagers des transports en commun.
La Covid-19 a entraîné des changements dans les schémas de travail qui étaient inconcevables il y a seulement un an. Aujourd’hui, les gens travaillent de manière échelonnée, en utilisant le bureau à des moments différents pour éviter d’être trop nombreux. Au-delà de la réduction du risque de contagion, cette pratique étale les moments où les gens utilisent les routes. À l’avenir, les employés pourraient assister à une réunion à 9 heures du matin sur Zoom et arriver au bureau à midi. D’autres pourraient partir à 15 heures et terminer la journée en ligne. La notion d’heure de pointe appartiendrait au passé.
Mais les villes doivent fournir des incitations. Les plateformes numériques peuvent y contribuer. À Singapour, depuis des décennies les conducteurs paient des droits de péage automatiques et différenciés en fonction du volume de trafic. Ce modèle, connu sous le nom de péage routier électronique, a permis de réduire la demande de pointe à Singapour, malgré le nombre croissant de voitures en circulation. À mesure que l’internet des objets se perfectionne, ce modèle peut être encore affiné, grâce à la puissance de la détection numérique et des incitations, peut-être par le biais de la technologie blockchain.
Les innovations doivent également servir le bien collectif. Les péages urbains encouragent certains à changer leurs habitudes, mais beaucoup de gens – pensons aux magasiniers, aux enseignants, aux chauffeurs Uber – ne peuvent pas toujours choisir de travailler de manière flexible ou de se permettre des péages régressifs. Tout comme l’aplatissement de la courbe de Covid-19 nécessite un soutien financier pour ceux qui ne peuvent pas travailler à distance, les infrastructures urbaines doivent être gérées d’une manière équitable. Dans le cas des taxes de congestion, les personnes pourraient bénéficier de réductions en fonction de leur handicap, de leur profession ou de leur statut socio-économique. Les recettes pourraient contribuer à réduire le prix des transports publics et à subventionner les voitures sans carburant fossile.
Les infrastructures seront toujours confrontées à des moments de forte demande. Les catastrophes naturelles ne laissent pas d’autre choix aux citoyens que de fuir, par exemple. Dans des circonstances plus heureuses, comme lorsque des millions de personnes regardent le Super Bowl, un réseau électrique sous tension et des bars sportifs surpeuplés sont le prix à payer pour partager l’expérience.
Pourtant, « l’aplatissement de la courbe » a un potentiel pour nos villes. Une approche similaire dans le secteur de l’électricité, connue sous le nom d’ « écrêtement des pointes », s’est révélée efficace pour économiser de l’argent. Lorsqu’un producteur d‘électricité de l’Oklahoma a fait passer 20% de ses clients à un modèle de tarification variable, elle a pu mettre au placard les plans d’une « centrale de pointe », qui aurait produit de l’électricité pendant de petites parties de la journée. De même, la congestion urbaine a pu être réduite sans ajouter d’infrastructures supplémentaires, mais grâce à une meilleure utilisation. En d’autres termes : moins d’asphalte, plus de puces de silicium.
Les embouteillages quotidiens sont un inconvénient absurde de la vie moderne. La Covid-19 a prouvé qu’il est possible de changer nos habitudes et de reprendre la main sur le fonctionnement de nos villes. L’aplatissement de la courbe a été une réponse douloureuse à une crise mais, dans les métropoles, ce modèle peut devenir une stratégie pour nous apporter du bien-être au quotidien.
Une version plus courte de cet article a été publiée par le Financial Times.
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