TF1, un géant fatigué edit
Les chaînes de télévision généralistes et hertziennes ont-elles un avenir ? En Europe et aux Etats-Unis, tous les grands opérateurs s’interrogent. Ils voient fondre les audiences et s’évanouir les recettes publicitaires tandis que les systèmes de distribution des images se multiplient et suscitent de nouveaux comportements.
En France, TF1 se trouve en première ligne. La filiale du groupe Bouygues a longtemps dominé le marché avec une part d’audience de plus de 35% qui en faisait le plus puissant diffuseur d’Europe. Aujourd’hui la multiplication des chaînes sur la TNT et l’essor de YouTube ont eu raison de ce quasi-monopole. L’audience tourne autour de 21% et l’âge moyen des téléspectateurs frôle dangereusement les 60 ans, un chiffre qui effraye les publicitaires toujours à la recherche de la ménagère de moins de cinquante ans.
Les chiffres du premier trimestre de 2016 ne sont pas encourageants. Le chiffre d’affaires, 481 millions d’euros, est en légère progression (1,9%) en dépit d’une légère baisse des recettes publicitaires mais grâce à l’apport de l’activité de Newen, la société de production que TF1 a rachetée en 2015 et qui travaille surtout avec France Télévision en produisant le feuilleton très regardé, Plus belle la vie. Au total, le résultat net est négatif : 13,1 millions d’euros.
Le nouveau président de TF1, Gilles Pélisson, semble bien conscient de l’héritage difficile que lui a laissé Nonce Paolini. Il a profondément remanié l’état-major de la chaîne et recruté, comme directeur général adjoint chargé des programmes, Ara Aprikian, un grand professionnel que Vincent Bolloré avait imprudemment laissé partir de Canal Plus. Peu après son arrivée, Aprikian a procédé à des recrutements spectaculaires qui renouvellent profondément l’image un peu vieillotte de la chaîne. Il a fait venir Yann Barthès, l’animateur très populaire du Petit Journal sur Canal Plus ainsi que Grégoire Margotton, éminent commentateur sportif vnu lui aussi de Canal. Par ailleurs, il a chargé Yves Calvi, responsable de l’émission C dans l’air de la Cinq, d’animer une tranche quotidienne en fin d’après-midi sur LCI, la chaîne d’information qu’il faut relancer, maintenant qu’elle est diffusée en clair.
Ces mouvements montrent que le groupe TF1 est bien décidé à réagir et à conserver une position de leader en termes d’audience. La couverture de l’Eurofoot en juin-juillet 2016 permettra d’ailleurs à la chaîne, qui a versé 45 millions d’euros pour l’acquisition des droits, de bénéficier de bons scores pendant cette période.
Toutefois, la filiale de Bouygues est, comme ses homologues européens, à la recherche d’une stratégie qui lui permettrait de survivre dans un univers audiovisuel profondément bouleversé par Internet. De ce point de vue, la situation des chaînes hertziennes n’est pas très différente de celle de la presse écrite.
Deux menaces pèsent sur elles : l’une porte sur la publicité, l’autre sur le changement de comportement des téléspectateurs.
La publicité télévisée subit elle aussi la concurrence des géants du numérique tels que Facebook et Google qui captent une part croissante du marché. Il en résulte une stagnation des recettes qui contraste avec la prospérité des précédentes décennies. La direction du groupe se félicite certes de tirer 20% de ses recettes de la publicité numérique sur les sites tels que MyTF1 mais il est clair que cette source de financement, essentielle pour une chaîne destinée au grand public et ses filiales telles que NT1 et TMC, ne se développera pas à l’avenir.
La menace qui pèse sur la publicité est d’autant plus sérieuse que les modes de consommation des programmes changent très rapidement. Globalement, le volume d’heures consacré à la télévision ne baisse pas de manière significative. Actuellement, il atteint, en France, le chiffre considérable de 3h30 par jour. En revanche, le public et surtout les moins de 35 ans s’émancipent de plus en plus des grilles horaires et pratiquent la télévision de rattrapage, regardant les programmes aux heures qui leur conviennent. Cette démarche est grandement facilitée par la multiplication des écrans, 6 par foyer en moyenne. Tous les membres d’une même famille peuvent donc regarder la même émission mais à des heures différentes et sur des supports différents. De ce fait, TF1 parvient à conserver des niveaux d’audience corrects mais au prix d’une fragmentation de ces mêmes audiences ce qui est évidemment très négatif pour les annonceurs soucieux de rassembler, à un moment donné, le maximum de téléspectateurs.
Enfin, il faut prendre en compte la montée en puissance de deux acteurs, Netflix et YouTube qui provoquent déjà des ravages aux Etats Unis. En proposant un choix très vaste de séries pour un tarif d’abonnement mensuel modique, environ 10 euros, Netflix gêne non seulement Canal Plus mais un généraliste comme TF1 qui s’épuise financièrement à essayer de satisfaire des publics très divers et aux goûts de plus en plus hétérogènes. De son côté YouTube propose aux jeunes une multitude de mini-chaînes qui captent aisément des publicités très ciblées, celles que TF1 n’a aucune chance d’obtenir à cause de son public de masse. Ainsi, la massification de l’audience qui était autrefois un atout majeur pour le diffuseur hertzien devient un handicap à l’ère du numérique qui permet de cerner les goûts et les habitudes d’achat des internautes. Or YouTube, filiale de Google, dispose des algorithmes nécessaires pour relever ce défi.
Dans ces conditions, que peut faire notre plus grand opérateur de télévision ? Il tente de multiples expériences pour essayer d’avancer vers un futur incertain. Pour conjurer la menace de Netflix, il a conclu un accord avec le groupe américain pour diffuser en clair deux épisodes de sa première série française, Marseille. L’audience a été médiocre mais on peut imaginer que cette expérience sera renouvelée car les deux parties peuvent y trouver un intérêt. TF1 pourrait aussi s’inspirer des grands networks américains qui produisent de nouvelles versions de leurs séries à succès des années 80 ou 90 comme X-files en espérant jouer sur la nostalgie de leur public.
Une autre piste est la monétisation des services de programmes à la demande. Passé un délai assez bref pendant lequel le replay est gratuit, il paraît normal de faire payer le téléspectateur qui veut voir ou revoir des programmes plus anciens, à condition, bien sûr de régler de manière satisfaisante les questions complexes de droits d’auteur et de propriété des droits souvent détenus par les sociétés de production.
C’est sans doute dans cette direction que TF1 va s’orienter. Autant, il est évident qu’une chaîne généraliste hertzienne même puissante n’a guère d’avenir économique, autant un diffuseur intégré dans un groupe plus vaste présent dans le numérique et la production, peut espérer continuer à jouer un rôle significatif. De ce point de vue, l’acquisition du groupe Newen constitue une étape très significative dans l’évolution de la filiale de Bouygues.
Paradoxalement, l’exemple à suivre vient peut-être non des chaînes privées étrangères mais d’une entreprise publique, la BBC. Certes, celle-ci perçoit comme France Télévision d’importantes recettes de la redevance mais elle a su, au fil des années, développer sur une grande échelle l’information numérique et négocier dans le monde entier les droits de prestigieuses séries de fiction.
On saura très vite si le géant TF1 reprend des forces en renouvelant sa stratégie ou s’enfonce dans la crise.
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À lire également, sur le site de notre partenaire ParisTech Review : Vidéo : la stratégie numérique d’Arte, par Denis Dauchy & Alexandre Perrin (Professeur de stratégie d’entreprise et directeur de l’Executive MBA de l’EDHEC Business School / Professeur associé de stratégie d’entreprise et directeur scientifique des masters du programme EDHEC Grande Ecole)
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