D’un printemps à l’autre. Les syndicats à la veille de l’élection présidentielle edit
Plus que jamais, le « front du refus » qui s’était constitué au printemps dernier pour s’opposer à la loi El Khomri semble occuper la scène et l’avant-scène de la rentrée sociale autour de la CGT mais aussi de FO qui fut longtemps un syndicat purement social-démocrate. En témoigne la présence de Jean-Claude Mailly au Forum social de la Fête de l’Humanité lors d’un débat qui réunissait sous la houlette de la CGT, l’ensemble des syndicats opposés à la « loi Travail ». Le fait n’est pas anodin. Il s’agit d’un acte symbolique qui se situe à l’égal du rapprochement opéré entre la CGT et FO durant les grèves de 1995, une période marquée par la fameuse poignée de main entre Louis Viannet et Marc Blondel qui dirigeaient alors les deux centrales. À l’époque et non sans raison beaucoup avaient vu dans cet événement le choix définitif fait par FO de mettre un terme à la ligne réformiste incarnée par André Bergeron. Et surtout de mettre un terme au projet de constitution d’un vaste pôle réformiste animé au mitan des années 1980 par FO, la CFDT et l’ex-FEN, un projet soutenu alors par certains dirigeants socialistes et des tenants de la « deuxième gauche ».
Dans le contexte présent, la présence de Jean-Claude Mailly à la Fête de l’Humanité est importante et revêt un caractère particulier. Les temps ayant changé, elle ne l’est seulement parce qu’elle se situe à l’encontre de l’identité historique sur laquelle s’était créée FO face au Parti communiste même si au sein de l’organisation cela peut froisser la sensibilité politique de certains militants. Elle l’est surtout parce qu’elle marque la volonté de FO de poursuivre aux côtés de la CGT, de la FSU et de SUD les mobilisations syndicales et le « front du refus » qui s’étaient formés au printemps 2016. C’est dans ce cadre qu’il faut saisir les initiatives appelant à diverses manifestations notamment lors du 15 septembre, une « journée d’action » qui sera vraisemblablement suivie par d’autres mobilisations. Ainsi, le « front du refus » formé au printemps dernier semble a priori se maintenir et se veut porteur d’une dynamique réelle en renouvelant plus que jamais son rejet de la « loi Travail » voire de la politique menée par le gouvernement de Manuel Valls.
Pourtant, la rentrée sociale risque d’être paradoxale. Tonitruante par le fait de certains discours militants, elle peut dans les faits demeurer atone à l’exception de quelques conflits localisés. Il est en effet toujours difficile de remettre en cause une loi adoptée par le parlement en fonction de procédures – le 49.3 – qui même si elles sont contestées n’en demeure pas moins fidèles à l’esprit et à la lettre de la Constitution et de l’État de droit. Mais surtout un grand nombre de ceux qui se sont mobilisés au printemps dernier peuvent désormais préférer « l’urne à la rue ». Autrement dit, exprimer leur mécontentement face au pouvoir politique lors des grandes échéances électorales à venir, ce qu’ils feront de toutes les façons et ceci indépendamment des mobilisations initiées ou non par les syndicats.
Face à ce « front du refus » et à une rentrée sociale particulière, quid du panorama syndical en général ? Du côté de la CFDT, force est de reconnaître que sa position n’est pas forcément confortable. Certes, elle a réussi à amender les premières versions du projet de loi El Khomri et l’a soutenu ensuite avec fermeté notamment sur certains points tels la reconnaissance de l’entreprise comme l’un des lieux primordiaux de la négociation collective, la création de nouveaux droits accordés aux jeunes de 18 à 25 ans, le référendum ou le Compte personnel d’activité. Mais elle est restée isolée dans son engagement à défendre le projet du gouvernement et son adoption par le parlement, les autres organisations réformistes se maintenant souvent dans une attitude de retrait. En outre, au regard de certains secteurs de l’opinion publique – à droite comme à gauche – elle a pu conforter l’impression qu’elle restait l’une des rares forces importantes, issues de la société civile, à soutenir un pouvoir politique et un Parti socialiste marqués par une impopularité record dans les annales de la Ve République.
Au total, le syndicalisme apparaît plus que jamais divisé et affaibli par des clivages et des rivalités de plus en plus insurmontables. Pour les syndicats, cet état de fait est d’autant plus préoccupant qu’il intervient à l’aube d’une échéance politique cruciale, l’élection présidentielle. Et qu’il met en cause leur capacité à pouvoir intervenir sauf de façon très marginale sur les positions et les propositions des principaux candidats concernés. Certes, depuis longtemps déjà, l’influence des syndicats sur l’élection présidentielle n’est plus ce qu’elle a pu être dans le passé. Faut-il rappeler que lors des campagnes conduites en 1974 ou en 1981, les syndicats et surtout la CFDT et la CGT avaient largement alimenté les programmes sociaux et économiques de la gauche ? Ce fut le cas par exemple à propos de l’essentiel des nouveaux droits portés par les lois Auroux ou de certaines nationalisations économiques. Mais aujourd’hui, les syndicats peuvent-ils remplir en la matière un autre rôle qu’un rôle de figuration ? On peut en douter et pour cause.
Influencer de manière non anecdotique le programme de tel ou tel candidat sur telle ou telle question économique ou sociale, nécessite une condition préalable : c’est que le candidat concerné soit convaincu du poids de celui qui veut l’influencer sur le vote des électeurs. Autrement dit, l’influence sur l’électorat constitue une condition préalable pour exercer une influence sur les principaux candidats à l’élection majeure que constitue l’élection présidentielle. C’est encore le cas des syndicats dans certains pays du Nord de l’Europe. Mais en France ? Ici, à cause des clivages qui les opposent dans l’espace public, à cause de leurs divisions y compris à la base dans les entreprises, à cause du sentiment qu’ils donnent d’être de plus en plus éloignés des aspirations et des attentes des salariés et surtout des jeunes salariés, les syndicats demeurent dans une situation critique. Comme le montre depuis plusieurs années déjà le « Baromètre annuel de la confiance politique » établi par le CEVIPOF, ils pâtissent en effet auprès des salariés et des Français en général, d’un sentiment élevé de défiance. De façon régulière, les syndicats font partie des institutions qui disposent des taux de confiance les plus faibles autour de 30% seulement, bon an mal an. Dès lors, comment pourraient-ils susciter la confiance des grands candidats à l’élection présidentielle alors qu’ils ne disposent pas vraiment de celle des salariés et plus largement des Français ? C’est la question qui marque aujourd’hui les rapports entre « le politique » et les syndicats sur le terrain de l’élection et des choix qu’elle suscite. Et il s’agit d’une question d’autant plus importante que les divisions extrêmes qui ont marqué le syndicalisme au printemps dernier, risque de perpétuer voire d’aggraver le sentiment de défiance qu’expriment les salariés et l’opinion publique à son égard.
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