Les dessous de l’affaire Veolia edit
À en croire la presse un complot aurait été ourdi à l’Elysée par messieurs Proglio et Sarkozy, dont l’objectif était d’évincer M. Frérot et de porter Jean-Louis Borloo à la tête de Veolia. La présidence d’un groupe du CAC 40 aurait été troquée contre un soutien au candidat-président et une vengeance personnelle du président d’EDF contre son successeur défaillant à la tête de Veolia aurait été assouvie. Aucun détail ne manque dans les récits, pas même les apartés dans un avion présidentiel entre Paris et Bourgoin-Jallieu. Pour réaliser ce putsch, l’inévitable Alain Minc aurait prêté son concours et des investisseurs qataris auraient été invités par Nicolas Sarkozy à participer à ce board coup.
Le pire du capitalisme de connivence à la française se révélerait à cette occasion puisque des administrateurs appartenant à des coteries politico-industrielles fondées sur les services rendus et non l’intérêt social de l’entreprise auraient apporté leur concours à cette entreprise.
Les relations incestueuses État-entreprises seraient à l’œuvre puisque c’est dans un palais présidentiel et avec le concours de la Caisse des Dépôts, par ailleurs associée à Veolia dans l’activité Transport (Transdev-Veolia), que l’opération aurait été ourdie.
Pire encore, alors que la France avait jusqu’ici échappé aux pratiques italiennes passées de la lottazione, Veolia aurait été accordée en lot de consolation au président du Parti radical, en délicatesse avec l’UMP.
Ce récit, largement recoupé, selon ses auteurs, a le mérite de la vraisemblance. Mais comme l'affaire a fait long feu et qu'on ne saura pas ce qui s'est dit dans le secret des bureaux élyséens, l’affaire n’ira pas plus loin.
Même si cette affaire paraît illustrer les caricatures du capitalisme français, et même à s’en tenir aux informations les plus incontestables, on a du mal à comprendre le scénario de cette crise éclair. Veolia n’est pas une entreprise publique et l’influence de l’État y est très minime puisque la participation de la Caisse des Dépôts est de moins de 10%. Comment expliquer alors que l’État puisse prétendre nommer son PDG ? N’a-t-on pas plutôt soutenu jusqu’ici l’idée que l’héritière de la Compagnie Générale des Eaux jouait un rôle politique direct grâce à son tissu dense d’obligés politiques ?
De même la composition du Conseil d’administration de Veolia paraît illustrer la thèse du capitalisme de connivence puisqu’on y retrouve les patrons ou anciens patrons de Renault, de Sanofi, de Lazard, de BNP-Paribas, du Groupe Dassault, de la Caisse des Dépôts, de Groupama, d’EDF… mais l’échec de la tentative montre à l’inverse que ce groupe s’est divisé et a fait échouer une tentative extérieure de renversement du PDG qu’ils avaient élu. Enfin si les carrières industrielles se font et se défont à l’Elysée comment expliquer un aussi lamentable échec ?
En fait on ne comprend pas grand chose à l’Affaire Veolia-Borloo si on ne revient pas sur les circonstances de la naissance de Vivendi-Environnement devenue Veolia, si l’on ne s’interroge pas sur la crise du modèle économique de l’entreprise, et sur l’impasse de sa gouvernance oligarchique.
La crise actuelle s’explique en effet d’abord par les circonstances de la naissance de Vivendi-Environnement en 2000. Héritant d’un groupe, mêlé « aux affaires », riche de mille participations hétéroclites et encombré d’un immobilier miné par les pertes et les dettes, Jean-Marie Messier opère un tournant stratégique majeur. Il conforte le pôle Telecom, s’empare de Canal+ et d’Havas, se dégage de l’immobilier et prend ses distances avec les services publics locaux. En adoptant une nouvelle identité, Vivendi, il rompt symboliquement avec les miasmes affairistes de l’ex-Compagnie Générale des Eaux, il affirme une vocation mondiale et proclame la transformation du conglomérat de services publics en groupe multimédia. Les services publics locaux regroupés dans Vivendi Environnement sont promis à RWE. Mais un homme, Henri Proglio, va s’opposer à Jean-Marie Messier, fédérer les élus locaux hostiles à cette mainmise allemande, organiser un tour de table financier en allant frapper à toutes les portes et mobiliser une classe politique subjuguée par les exploits du media-mogul français.
L’introduction en Bourse d’un tiers du capital se déroule dans les pires conditions : l’entreprise a été surchargée de dettes, le pré-placement se passe mal et conduit à modifier l’offre au profit des investisseurs institutionnels, le prix de l’action est ajusté au bas de la fourchette. À la tête d’une entreprise fortement endettée, Henri Proglio se lance dans une triple opération d’internationalisation, de diversification dans les services industriels externalisés, et de consolidation financière. Si l’on veut comprendre le rôle de Henri Proglio dans l’affaire Veolia il faut partir d’un constat : l’entreprise est largement son œuvre tant du point de vue stratégique qu’actionnarial ; pour réussir il a mobilisé l’ensemble de la classe politique et du système financier français.
La situation actuelle de Veolia s’explique ensuite par la crise de son modèle économique. Historiquement la fortune de la Générale des Eaux s’est faite sur le foisonnement des concessions de services publics locaux négociés avec les collectivités locales (eau, puis propreté, transports, énergie…). Les scandales à répétition des années 1980 et 1990 ont progressivement tari un modèle fondé sur des contrats à très long terme générant du capital et une rentabilité prévisible. Ce sont les revenus récurrents des concessions qui ont permis à Jean-Marie Messier de transférer à l’entreprise la charge de dettes contractées pour acquérir d’autres activités. Les années 2000 sont plus difficiles car les marchés nationaux sont moins assurés et moins rentables, les besoins en capital sont plus grands pour financer la diversification et l’internationalisation, et l’endettement pèse lourd. Pour alléger la contrainte financière Henri Proglio tente d’infléchir le modèle économique en s’orientant vers les services industriels, la vente de solutions innovantes et le désengagement des opérations très capitalistiques. La crise financière globale que nous connaissons depuis 2007 a un impact fort sur Veolia en rendant plus difficile son financement et en déprimant son cours de bourse.
Dans un tel contexte, l’équipe actuelle d’Antoine Frérot a décidé de se recentrer sur l’eau, la propreté et les services à l’environnement en abandonnant un métier, celui des transports (cession de Veolia Transdev), de réduire son empreinte géographique en quittant les pays déficitaires et de laisser monter EDF à 50 % dans le capital de Dalkia pour améliorer ses finances. Une telle politique conduit à enregistrer des pertes immédiates, à amorcer le processus de désendettement et à réduire les besoins en capitaux frais. Mais elle fait ressortir par contraste les acquisitions coûteuses et les échecs à l’international de l’équipe Proglio. La guerre larvée que mènent Proglio et Frérot porte donc autant sur l’héritage que sur l’avenir, sur les responsabilités passées comme sur la conduite des affaires depuis 2009.
Proglio croit à un groupe diversifié et internationalisé dans les services à l’environnement, adossé à EDF. Il considère que l’urbanisation accélérée, la transition énergétique, et l’externalisation des services industriels créent des opportunités de croissance tant pour Veolia que pour EDF. À l’inverse Frérot part du constat que Veolia n’a plus les moyens, notamment financiers, de ses ambitions et doit réduire la voilure pour faire face à des temps incertains.
Dans une entreprise cotée, c’est au Conseil d’administration que doivent se nouer et déboucher les débats sur la structure bilancielle, sur la stratégie de croissance et sur les partenariats industriels. Si tel n’a pas été cas, c’est une fois encore parce que ce CA a été l’œuvre de Henri Proglio, qu’il représente davantage ceux qu’il est parvenu à convaincre de lui prêter main-forte quand il s’agissait d’arracher Veolia aux griffes de Messier, qu’un Conseil d’administration de plein exercice. La mise en cause d’Antoine Frérot par Henri Proglio aurait pu aboutir si une stratégie alternative avait été soumise aux administrateurs et si le nom d’un successeur crédible et compétent avait été avancé. Mais dans le contexte pré-électoral que nous connaissons, EDF ne pouvait pas faire d’offre d’alliance à Veolia et l’éventuelle éviction de Frérot au profit de Borloo ne pouvait que déclencher une opposition ferme chez des administrateurs indépendants ou soucieux de ne pas se compromettre avec une majorité politique finissante.
L’affaire Veolia-Borloo est donc bien une manifestation de la crise du modèle Français. Une crise qui a plus à voir avec l’incapacité de ce pays à garder sur la durée ses atouts industriels et à instaurer une gouvernance durable d’entreprise qu’avec les failles du capitalisme gaulois. La France a les deux champions mondiaux des services à l’environnement, elle possède également quelques-unes des plus grandes entreprises électriques mondiales ; l’affaire Veolia Borloo illustre donc notre capacité à gâcher nos atouts.
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