Test ADN: le déclin social de la paternité ? edit
La polémique sur l'instauration d'un test ADN dans le cadre du regroupement familial a indirectement mis en lumière une disposition peu connue du droit français : l'impossibilité pour les individus de faire réaliser par eux-mêmes un test de filiation. En effet, les lois bioéthiques de 1994 ont restreint l'usage de cette technique aux seules procédures judiciaires ou médicales. Ces restrictions ont d'ailleurs été rappelées par les opposants à l'amendement parlementaire, qui ont pris appui sur l'état actuel de la législation pour refuser une évolution de la réglementation sur l'immigration.
Un tel conservatisme juridique surprend à une époque où les lois sont volontiers évaluées et critiquées - surtout lorsque ces lois posent des interdits. Car la question se pose : finalement, au nom de quels principes limite-t-on l'usage de l'identification génétique ? Est-il juste d'empêcher les citoyens de vérifier (sous réserve naturellement de leur consentement) qu'ils sont bien les descendants ou les ascendants d'une personne ?
Deux grands arguments ont été avancés pour justifier un accès restrictif aux tests : l'un concerne la relativité du critère biologique dans la définition de la filiation, l'autre le souci de préserver la paix des familles.
Il est évident que la filiation ne se cantonne pas à la reproduction sexuée. Faut-il pour autant en déduire que la biologie ne pèse pour rien (ou presque rien) dans la filiation ? Certes, les évolutions sociologiques et les progrès médicaux ont complexifié les relations de filiation, mais cela ne signifie pas que la famille n'ait aucun fondement biologique. Contrairement à ce qu'affirme le sociologue Eric Fassin, il est faux de croire que l'amendement parlementaire au projet de loi sur l'immigration " introduit dans le droit français la notion de " filiation biologique " " (Le Monde, 6 octobre 2007). En fait, comme le rappelle la juriste Frédérique Granet, " en France comme dans le reste de l'Europe, le premier fondement de la filiation est la vérité biologique " même si " cette vérité est traditionnellement présumée " (Le Monde, 9 novembre 2006). Si le droit prend en compte la parenté sociale, il s'organise néanmoins autour de la parenté biologique.
Bien sûr, l'amour ne découle pas mécaniquement de la reproduction ; et inversement, la parenté sociale peut donner lieu à relations affectives très fortes. Mais cela ne permet aucunement d'affirmer, comme le fait un peu rapidement Didier Sicard, que "la paternité sociale a pour avantage d'être complexe, ouverte, multiple, de permettre à la société de faire comme si, et de contourner la réalité humaine dans ce qu'elle a de plus trivial" (Le Monde, 30 septembre 2007) ? Il serait intéressant de savoir quelles sont les études qui autorisent le président du Conseil d'éthique à tenir une telle position, voire à dénigrer la parenté biologique en allant jusqu'à affirmer que "la filiation biologique est pauvre, dans les faits, par rapport à la filiation sociale". Les parents biologiques apprécieront. Viendrait-il à l'idée de quelqu'un de soutenir que la maternité est une simple construction sociale, voire qu'elle est humainement plus " pauvre " que la maternité sociale ?
Cette dévalorisation de la filiation biologique, notamment paternelle, semble aujourd'hui assez généralisée. Elle s'explique très vraisemblablement par des raisons historiques, les théories raciales et les expériences traumatisantes comme le nazisme ayant produit une défiance bien compréhensible à l'égard de tout raisonnement qui fait appel à la part biologique et instinctive de l'homme.
Mais on gagne peu à remplacer un extrémisme par un autre. Jusqu'à preuve du contraire, les procédures alternatives à l'enfantement naturel (telles que l'adoption ou la procréation assistée) restent vécues comme des options alternatives. Loin de devenir la norme, elles ne sont que des pis aller, des solutions de remplacement que l'on met en œuvre par défaut. Quoiqu'on en pense, le désir de se reproduire, la volonté d'être lié par autre chose que des relations sociales sont des éléments anthropologiques qui travaillent profondément l'imaginaire de l'humanité. C'est bien à partir d'un substrat biologique que se tissent les relations affectives et sociales et que s'élabore l'environnement familial. Autrement dit, le souhait de connaître cette donnée biologique - ou d'être rassuré sur ses origines ou sur sa filiation -, bref de savoir si l'on partage bien le même sang, constitue une aspiration majeure de l'existence humaine. On ne peut s'en débarrasser au prétexte que cette préoccupation rabaisse la condition humaine.
Cela étant, un libre accès des individus à cette connaissance biologique ne risque-t-il pas de mettre à mal la paix des familles ? Après tout, ne vaut-il pas mieux faire comme si, pour reprendre les termes de Didier Sicard ?
L'argument est intéressant car il s'inscrit assez bien dans la tradition française qui a conduit l'administration à restreindre l'accès des citoyens à l'information au nom de l'intérêt général et, disons-le aussi, d'un certain paternalisme d'Etat. C'est l'idée que la paix des familles doit se faire aux dépens de la vérité et des droits individuels. L'argument n'est pas nouveau, mais il est surprenant de constater qu'il reste encore en vigueur aujourd'hui alors que l'évolution des mœurs et du droit est venue bouleverser le schéma traditionnel de l'intervention publique dans les familles, et que les individus aspirent à davantage d'autonomie et de liberté. Un problème assez similaire se pose avec l'accouchement sous X (auquel le Conseil d'éthique - ce n'est pas un hasard - fait référence dans son avis sur les tests ADN) puisque ce dispositif permet de préserver le secret de la maternité (droit de la mère à refaire sa vie) au détriment du droit de l'enfant à connaître ses origines. Avec les tests de paternité, c'est non seulement le droit de l'enfant qui est remis en cause, mais aussi le droit du père.
Par ailleurs, chercher à imposer la préservation du secret pose trois types de problèmes. Le premier est un problème d'égalité car empêcher l'usage d'une technique favorise généralement ceux qui ont l'argent et l'information pour utiliser les services que l'on trouve dans autres pays (c'est ce qu'a montré le précédent de l'avortement en France dans les années 1970 - et même ensuite). Le deuxième est le risque d'être contre-productif puisque le législateur ne laisse d'autre choix aux individus qui sont désireux de connaître leur parenté que d'engager une procédure contentieuse devant les tribunaux, ce qui n'est pas la meilleure façon de pacifier les familles. Le troisième problème concerne une forme de discrimination contre les hommes car l'argument de la paix des familles suppose, au bout du compte, de se faire le complice de l'infidélité et du mensonge de la mère (le problème ne se pose pas dans l'autre sens car on n'imagine mal une mère sans information sur l'origine de son enfant, même si le cas peut marginalement se produire).
Certes, chacun peut estimer en son for intérieur que la femme a le droit de trahir et de mentir à son conjoint, mais il est plus difficilement acceptable d'entériner officiellement une telle attitude, laquelle revient à tenir le père pour entité négligeable et à consacrer une forme d'humiliation publique à son encontre. Ce dernier point est peut-être le plus troublant en raison de ce qu'il nous apprend sur l'image du père dans la société actuelle. C'est là une confirmation supplémentaire du déclin social de la paternité - le signe aussi que nul relais ne vient pour l'heure défendre la cause masculine. Car aujourd'hui, en dépit d'un foisonnement des mouvements sociaux, où quasiment toutes les causes ont su s'organiser, on imagine encore mal un mouvement qui prendrait en charge la défense des pères.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)