Réforme du collège et réforme des programmes: l’embardée edit
Le collège a indiscutablement besoin d’une réforme. Les aspects positifs et négatifs du collège unique sont bien connus depuis maintenant quarante ans. D’un côté, on a assisté à un progrès démocratique important et à une élévation du niveau général de la population grâce à une scolarité commune jusqu’à seize ans. De l’autre, l’hétérogénéité des élèves n’a pas été prise en compte et l’on a peu fait évoluer une structure conçue au départ comme un « petit lycée » alors qu’elle doit parachever en réalité la consolidation des acquis commencée à l’école primaire. Le résultat est la marginalisation d’au moins 20% des élèves qui sortent du système sans bien maîtriser les savoirs fondamentaux et une crise de confiance qui affecte le système en son entier.
Si le diagnostic est globalement partagé, le pronostic est plus discuté. La réforme du collège proposée par Najat Vallaud Belkacem procède d’une inspiration intéressante mais cette inspiration est dénaturée par une série d’éléments qui la troublent et même la contredisent.
L’inspiration intéressante consiste à aller dans le sens d’une plus forte autonomie de l’établissement. En proposant une capacité d’initiative sur 20% des horaires dont dispose le collège, elle ouvre la voie à de nouveaux « Enseignements pratiques interdisciplinaires » (EPI) qui, s’ils sont bien faits, peuvent contribuer à un travail plus collectif, plus dynamique autour de grandes thématiques qui ont été identifiées. Il est bon de faire confiance ainsi à l’intelligence et à l’esprit d’initiative des acteurs de terrain en les aidant à se saisir de cette nouvelle opportunité et en renforçant l’ingrédient majeur de tout succès : l’esprit d’équipe. Il est possible au demeurant de montrer que l’interdisciplinarité ne se fait pas contre les disciplines mais avec elles, dans un objectif d’ouverture, de dynamisme, d’excellence.
La réforme présente néanmoins de ce fait un premier risque. Le premier objectif à viser est en effet de consolider les acquis des élèves, notamment en français et en mathématiques. On doit donc prendre garde à ce que ces deux matières ne pâtissent pas de la redistribution des horaires qui résultera de la réforme. Rien ne le garantit aujourd’hui. La réforme étant présentée comme un outil de lutte contre les inégalités, elle rencontrerait une première et grave contradiction si elle fragilisait l’acquisition des savoirs fondamentaux chez les élèves les plus en difficulté. L’interdisciplinarité est pertinente mais elle ne saurait être présentée comme l’arme automatique et efficace contre les inégalités. Il faut se garder d’une pensée magique sur ce point.
La réforme s’accompagne aussi de mesures qui sont directement contradictoires avec l’objectif affiché : la suppression des classes « bilangues », des sections européennes et le sort fait aux langues anciennes. Au moment où on préconise plus d’autonomie, on attaque, au nom de l’égalité et par une injonction verticale, ce qui permet à des établissements de nourrir leur projet éducatif spécifique. Qui plus est, cette décision est accompagnée d’une rhétorique qui brouille les pistes.
En effet, tout ceci serait réalisé pour donner à tout le monde ce qui n’existe aujourd’hui que pour quelques uns. C’est d’abord factuellement inexact car le ministère a pris ces décisions pour réaliser des économies permettant de financer les autres mesures. Autrement dit, le choix a été fait de casser des dispositifs qui fonctionnent aujourd’hui très bien pour d’hypothétiques lendemains qui chantent. La rhétorique devient abusive quand elle laisse croire que ces dispositifs bénéficient aux classes sociales favorisées. Or, des centaines de personnes ont travaillé à leur implantation depuis plus de dix ans, très souvent précisément pour requalifier des établissements en difficulté. Les classes bilangues ont ainsi permis non seulement de stabiliser l’enseignement de l’allemand en France mais aussi de donner une nouvelle attractivité à des établissements de tous ordres. Avec un discours de lutte contre les classes moyennes au profit des classes populaires, on effraie les premières et on lèse en réalité les secondes. La réforme du collège envoie ainsi dès ses prémisses des signaux concrets en contradiction directe avec le message abstrait qu’elle véhicule. Cela pose évidemment un problème de méthodologie politique et crée la confusion qui gêne maintenant la possibilité d’un débat clair.
Il y avait pourtant autour du consensus national créé par les événements de janvier la possibilité d’élaborer un projet qui dépasse enfin les clivages classiques. Cette occasion a été ratée.
L’embardée a été accentuée par un autre problème de méthode. En effet, au moment même où s’officialisait la réforme du collège, les projets de refonte des programmes étaient rendus publics par le Conseil supérieur des Programmes.
Ce Conseil a été créé par la loi dite de « refondation de l’école » comme une entité indépendante, chargée de proposer au ministre les programmes. La refonte de ces derniers a été considérée par le gouvernement comme nécessaire, ne serait ce que pour tenir compte de la redéfinition des cycles de la scolarité tels qu’ils existaient depuis la loi Jospin de 1989.
Ceci est une nouvelle source de confusion car les programmes proposés concernent l’école élémentaire et le collège (cycle 2 : CP, CE1, CE2. Cycle 3 : CM1, CM2, 6ème. Cycle 4 : 5ème, 4ème, 3ème).
Or, il n’est pas du tout certain que les programmes de l’école primaire (élaborés en 2008) nécessitaient une refonte. Le terrain commençait à se les approprier. Des résultats encourageants ont commencé à être enregistrés (notamment pour l’école maternelle). Les nouveaux programmes sur ce point représentent pour bien des observateurs un retour en arrière car moins clairs et moins progressifs que les précédents. L’énergie réformatrice aurait dû se concentrer sur le seul collège (mais la ministre ne saurait en être tenue pour responsable car cette logique s’était mise en place avant elle).
C’est surtout l’inspiration générale de ces textes qui a attiré l’attention, tous cycles confondus. Les commentateurs ont d’abord vu la renaissance d’un jargon que l’on croyait réservé à des errements passés. Tout le travail fait ces dernières années pour montrer que l’Education nationale ne parlait pas ou plus cette novlangue ridicule qui a tant nui à sa réputation a été balayé par des formules dignes d’un Trissotin des temps modernes. Le dégât ainsi causé pour l’image de tous les acteurs de l’Education nationale est en soi une première catastrophe. Et on se demande comment il n’y a pas eu un seul lecteur averti pour empêcher ceci. Derrière ces fautes de langage, c’est une inspiration qui s’est révélée. Comme d’habitude, les débats se sont beaucoup concentrés sur le français et sur l’histoire qui sont les matières les plus sensibles. Et, comme d’habitude, il y a eu de l’outrance.
Mais les débats ont aussi montré qu’il n’y avait pas de fumée sans feu. Toutes les déclarations du président du Conseil supérieur des programmes ont plutôt aggravé qu’atténué les critiques que l’on pouvait formuler. Il a répété par exemple que « la grammaire n’est pas un dieu » alors même que le vocabulaire et la grammaire doivent être considérés comme des priorités absolues si l’on souhaite sincèrement un rebond dans la maîtrise du français par les élèves. Et il y a, de fait, dans le projet de programme, une édulcoration de cette priorité.
En histoire, lorsque, pour apaiser les esprits, le président de la République a dit qu’il fallait porter attention aux repères que l’on donnait aux enfants, le président du Conseil supérieur des programmes a déclaré de son côté (Le Monde, 14 mai 2015 ): « J’invite François Hollande et Najat Vallaud-Belkacem à ne pas forcer le trait sur ce point (le récit national) car on finirait par « désespérer Billancourt » : les professeurs ne sont pas pour le roman national. N’en rajoutons pas. »
De facto, le président du CSP se place en position de faire la leçon à la ministre et au chef de l’Etat au nom d’une ligne intellectuelle qui serait supérieure au pouvoir politique… Au passage, il confirme donc bien ce que ses détracteurs lui reprochaient. Ce putsch pédagogique réalisé par un Frankenstein institutionnel échappant à ses créateurs produit une situation assez grave en réalité qui interroge sur la façon dont ce conseil a été conçu. De nouveau, une idée intéressante a été gâchée, ici par la pratique de l’esprit de clan. Une visée pédagogique nullement attendue par le pays, tous bords confondus, professionnels et non professionnels de l’éducation, est imposée au détriment d’une refonte qui était pourtant nécessaire, s’agissant des programmes du collège.
Il faudrait plus que la consultation actuelle de courte durée pour améliorer un travail qui, sur certains points, comporte aujourd’hui des aspects positifs. Si l’on veut réussir cette réforme des programmes, elle doit se fonder sur des principes clairs et partagés et à un rythme qui permette son appropriation sereine par les acteurs. Les enjeux de légitimité et de qualité de la mise en œuvre (par la formation continue en particulier) sont considérables et devraient inviter à ouvrir une nouvelle étape, plus apaisée, pour créer des programmes solides et durables non soumis aux aléas des alternances politiques.
La réforme du collège est donc encore possible. Il faudrait se concentrer sur l’idée première par laquelle elle se présentait, celle d’une autonomie plus grande de l’établissement au bénéfice d’un projet éducatif collectif de chaque collège. Il faudrait abandonner toutes les destructions de dispositifs qui ont fait leurs preuves et qui permettent de lutter contre les inégalités en tirant le système vers le haut. Il faudrait reprendre l’élaboration des programmes en se donnant le temps de réaliser un travail équilibré, efficace et durable.
L’enjeu d’une réforme réussie est d’aller du collège unique vers le collège commun. En gardant l’acquis démocratique de l’accès de tous à un socle commun de connaissances, de compétences et de culture, on doit favoriser ce qui permet à chacun de développer son talent, à l’encontre de l’uniformisation qui, loin de créer l’égalité, l’éloigne.
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