CPE : les conséquences juridiques d'une vraie-fausse promulgation edit
La position exposée par le Président de la République dans sa déclaration du 31 mars 2006 pose problème au regard du droit constitutionnel et du droit du travail.
Sur le plan constitutionnel, la déclaration du Président paraît difficilement compatible avec le principe de légalité. D’après l’article 10 de la Constitution, « le Président de la République promulgue les lois dans les quinze jours qui suivent la transmission au Gouvernement de la loi définitivement adoptée. Il peut, avant l'expiration de ce délai, demander au Parlement une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles. Cette nouvelle délibération ne peut être refusée. » Ce texte enferme le Président de la République, en présence d’une loi adoptée, dans une alternative stricte.
S’il ne demande pas une nouvelle délibération, il ne peut que promulguer. La loi ayant été promulguée, elle s’impose à lui avec d’autant plus de force qu’il est, d’après l’article 5, chargé de veiller au respect de la Constitution, donc, en particulier, au respect des prérogatives du Parlement. Chargé d’assurer « l’exécution des lois » (art. 21), le Gouvernement ne peut pas, d’après la Constitution, « prendre des dispositions » pour qu’une loi promulguée ne soit pas suivie d’exécution. En appelant le Gouvernement à agir de la sorte, le Président de la République méconnaît la séparation des pouvoirs.
Irrégulier en lui même, l’appel de Président de la République à ne pas appliquer la loi promulguée aussi longtemps qu’elle n’a pas été modifiée sera de surcroît juridiquement inefficace. La loi entre en vigueur, à moins qu’elle n’en dispose autrement ou qu’un décret d’application ne soit nécessaire, le lendemain de sa publication au Journal officiel. La loi sur l’égalité de chances n’a pas prévu de retarder le moment de son entrée en vigueur, et elle est rédigée de façon à ne pas nécessiter de décret d’application. Par conséquent, puisqu’elle est parue au JO du 2 avril 2006, elle s’applique depuis le 3 avril.
L’annonce faite par le ministère du Travail qu’aucun contrat-type ne serait diffusé est évidemment sans portée juridique : à partir du moment où un contrat donné est prévu par la loi, il n’est pas nécessaire (à moins qu’une disposition légale ou réglementaire ne l’impose, ce qui n’est pas le cas) de respecter une formule-type élaborée par l’administration, dans la mesure où l’on respecte les dispositions du texte. Ainsi, des CPE valides peuvent parfaitement être conclu. Que se passera-t-il lorsqu’une nouvelle loi, le cas échéant, sera votée ? Si la formule du CPE disparaît purement et simplement, il semble que les contrats conclus avant l’abrogation, à moins que la loi ne soit rétroactive, demeureront en vigueur. En effet, les contrats sont en principe soumis à la loi en vigueur au moment de leur conclusion. L’abrogation de la loi, lorsque celle-ci ne comporte aucune précision, ne fait pas disparaître les effets de situations juridiques qui se sont régulièrement constituées avant celle-ci.
Autre possibilité, le CPE est remanié. En droit social, la loi nouvelle s’applique en général immédiatement aux contrats en cours (lorsque l’on augmente le Smic, tous les contrats sont concernés, et pas seulement ceux qui seraient conclus après l’entrée en vigueur de l’augmentation). On pourrait ainsi penser qu’une version modifiée du CPE se substitue à l’ancienne formule, à compter de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle.
Troisième possibilité : le CPE est abrogé, mais la loi d’abrogation comporte une disposition d’application immédiate qui transforme les CPE déjà conclus en CDD de droit commun (c’est-à-dire avec application du droit du licenciement).
Pour ce qui est du droit social, en l’état actuel des choses, la rupture du CPE est soumise aux règles suivantes. Tout d’abord, le droit du licenciement est mis à l’écart (pas d’obligation de mentionner un motif dans la lettre de licenciement ; pas de contrôle de l’existence d’une cause réelle et sérieuse par le juge). Cependant, des règles particulières, qui n’ont pas été écartées par la loi sur le CPE, restreignent le droit de l’employeur à licencier (protection des représentants du personnel, des femmes enceintes, interdiction de mesures discriminatoires). En dehors de ces cas, la rupture du CPE peut faire l’objet d’une demande en réparation pour abus de droit. La possibilité de contester une telle décision pour abus de droit résulte d’un principe général du droit. De surcroît, il existe un texte, l’article 1780 du Code civil, qui prévoit la possibilité d’une telle réparation. Il faudra donc exhumer la jurisprudence d’avant 1973 (date à laquelle l’exigence d’une « cause réelle et sérieuse » est entrée en vigueur).
Mais plusieurs autres incertitudes planent sur le contentieux éventuel du CPE.
La convention n° 158 de l’OIT, que la France a ratifiée, dispose (art. 4) qu’un « travailleur ne devra pas être licencié sans qu'il existe un motif valable de licenciement lié à l'aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service ».
Cette convention, comme l’a précisé récemment la Cour de cassation, est d’effet direct (Cassation sociale 29 mars 2006, arrêt n° 906), ce qui veut dire qu’elle peut être invoquée par un salarié devant un tribunal français. En effet, d’après l’article 55 de la Constitution, les traités ont une autorité supérieure aux lois, et les conventions de l’OIT sont des traités. Cependant, l’article 2b de la convention 158 de l’OIT permet d’écarter de l’exigence du motif valable « les travailleurs effectuant une période d'essai ou n'ayant pas la période d'ancienneté requise, à condition que la durée de celle-ci soit fixée d'avance et qu'elle soit raisonnable ». Il faudra donc que la Cour de cassation fixe sa jurisprudence et détermine si le délai de deux ans (ou d’un an, dans le cas d’une modification en ce sens) est raisonnable.
Deuxième incertitude, dans un arrêt du 24 novembre 2005 (Mangold, JOCE 11 février 2006) la Cour de justice des Communautés Européennes a condamné l’Allemagne à propos d’un CDD dérogatoire réservé aux travailleurs de plus de 52 ans. Le raisonnement se fonde sur la directive du 27 novembre 2000 relative à l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, c’est-à-dire sur le principe de non discrimination. Il pourrait bien entendu être transposable à un contrat réservé aux moins de 26 ans.
Si la proposition faite par le chef de l’Etat (« le droit du jeune salarié à en connaître les raisons sera inscrit dans la nouvelle loi ») a un sens technique, cela ne peut donc être que celui-là : l’employeur serait obligé d’alléguer un motif, soit dans la lettre de licenciement, soit devant le Conseil des Prud’hommes. Mais comme le « droit de connaître » n’est pas la possibilité de contester sur le fondement d’une définition objective (comme l’exigence d’une cause réelle et sérieuse), le contentieux demeurerait sur le terrain de l’abus de droit, la charge de la preuve incombant au salarié.
Les non-juristes, au fil de cette discussion, devraient prendre conscience du fait que c’est une rêverie que de vouloir chasser le juge du droit du licenciement. Au Danemark, contrairement à ce que beaucoup écrivent, le licenciement est soumis à un contrôle judiciaire. Ce qui a réduit le contentieux, c’est une assurance-chômage très généreuse doublée d’une politique de l’emploi très active.
Que reste-t-il alors du CPE, sachant que les CDI peuvent comporter une période d’essai (disons, de un à six mois, sous le contrôle du juge, suivant la nature du poste) ; que dans un CDI, le salarié n’a droit sauf exception à aucune indemnité de licenciement (8% du montant total de la rémunération brute dans le CPE) et que le préavis est très réduit dans ce cas ?
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