Le CNE sera-t-il désactivé par le juge ? edit
Depuis sa mise en orbite, plutôt réussie, par l'ordonnance estivale du 2 août 2005, le Contrat nouvelle embauche (CNE) a connu bien des avanies qui ont fini par introduire le doute quant à la fiabilité de la formule. Les chiffres annoncés (350 000 contrats conclus) ne doivent pas faire illusion : le CNE n'a pas encore trouvé sa place dans le paysage social et juridique français. Y parviendra-t-il un jour ? Rien n’est moins sûr.
Son avenir est, en effet, tout entier suspendu au jugement des tribunaux. Plus précisément : que la Cour de cassation approuve un jour l’arrêt très critique du conseil de prud’hommes de Longjumeau confirmé par la Cour d’appel de Paris le 20 octobre, et c’en serait fait d’une formule vouée à rejoindre le CPE au cimetière. L’hypothèse en est à ce point probable que le gouvernement s’est engagé dans de grandes manœuvres visant au dessaisissement du juge judiciaire au profit du juge administratif.
On comprend bien ses raisons. Il faut se souvenir que le Conseil d’Etat a validé le CNE dans un arrêt du 19 octobre 2005 estimant que « les syndicats requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'ordonnance attaquée méconnaîtrait les stipulations de la convention internationale du travail n° 158… » Et c’est autour de cette question de la compatibilité entre le dispositif d’août 2005 et la convention n° 158 interdisant dans son article 4 le licenciement « sans motif valable » que se joue le bras de force. Car, jusqu’à présent, l’analyse du juge judiciaire l’a conduit à la conviction inverse d’incompatibilité d’où il conclut non seulement à la pratique abusive de certains employeurs mais, plus radicalement, à la contradiction entre l’institution même du CNE et la convention visée avec pour conséquence l’inapplicabilité de ce type de contrat. Ce qui revient à briser le ressort du dispositif fondé, faut-il le rappeler, sur la faculté de mettre un terme à la relation de travail en dehors des règles habituelles du licenciement.
C’est pourquoi les pouvoirs publics ont décidé d’« élever le conflit », selon la formule consacrée, c’est-à-dire de saisir le Tribunal des conflits composé d’un nombre égal de magistrats des ordres judiciaire et administratif et appelé à aiguiller le contentieux vers l’une ou l’autre des deux voies. Notons au passage que cette instance est présidée par le Garde des sceaux dont la voix, en cas de partage, emporte la décision… Réponse sous un délai de trois mois.
En attendant, il est permis de supputer les chances de succès de chacune des deux thèses en présence.
Celle du gouvernement, rappelons-le, est bien énoncée par le préfet de l’Essonne dans son mémoire : la séparation des pouvoirs interdit au juge judiciaire d’exercer sa censure sur un acte administratif (en l’occurrence, l’ordonnance du 2 août 2005). C’est la justification même de la dualité des ordres juridictionnels en France. Bref : chacun chez soi sans interférences !
Cette analyse vient donc d’être à nouveau contestée par le juge d’appel qui a estimé que « la séparation des pouvoirs […] n’interdit pas ( au juge judiciaire ) de vérifier la compatibilité d’une ordonnance avec des conventions internationales ».
Tout le débat va tourner autour deux questions relatives, d’une part, à l’exacte nature de l’acte censuré (ordonnance ou pas ?) et, d’autre part, aux voies de la censure.
S’agissant de la première question, il faut rappeler qu’une ordonnance est un acte pris par l’autorité administrative dans le domaine de compétence législative sur habilitation expresse du Parlement. Une chauve-souris juridique en quelque sorte : administrative par la forme ; législative quant au fond. Et il est de son destin naturel de retrouver l’harmonie entre forme et fond en devenant loi par ratification. Justement, dira-t-on, cette ratification n’est pas encore intervenue et donc… A ceci près que le Conseil d’Etat comme le Conseil constitutionnel ont admis la technique de « ratification implicite » sous certaines conditions qui pourraient être estimées réunies en l’occurrence. Sans entrer dans les détails, quel est l’intérêt de cette discussion ? Il tient à ce que le juge judiciaire est compétent pour écarter une loi contraire à une norme internationale. Donc…
Mais à supposer que l’acte ait conservé sa nature administrative, un second débat surgit, relatif à la nature de l’intervention judiciaire : censure de l’ordonnance ou simple constat d’inapplicabilité ? Bien entendu, les deux thèses se plaident avec, cependant, à mon sens, un avantage à la seconde qui peut s’argumenter ainsi : le juge du contrat de travail doit appliquer deux textes ( l’ordonnance d’août 2005 et la convention 158 de l’OIT ) contradictoires. Lequel faut-il faire prévaloir ? Fort logiquement, celui dont le rang est supérieur aux termes de la Constitution et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, à savoir le traité international. Conséquence : il constate l’impossibilité d’appliquer la disposition incriminée de l’ordonnance sans se prononcer, stricto sensu, sur sa valeur intrinsèque. Il désactive le texte, au nom de la logique juridique, sans l’attaquer frontalement. Affaire à suivre donc et de très près.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)