Un marathonien à Hong Kong edit
Autour du centre où se réunissent les délégués croisent de petits bateaux, avec à leur bord des policiers. J'aimerais croire qu'ils ont pour mission de protéger toutes les parties prenantes de l'OMC, les manifestants comme les ministres, afin de rendre le débat aussi productif et pacifique que possible. Pas facile, car ce n'est pas seulement d'économie qu'il s'agit. Il y a deux jours, la ministre tchadienne a fait une intervention remarquée lors de la plénière du soir. Elle a parlé de misère et de pauvreté, de dignité humaine et de coopération. Son sujet ? Les négociations sur le coton.
L'OMC traite de bien autre chose que de commerce. Plus exactement, quand on y parle de commerce, on ne parle pas que de tarifs et de droits : on parle des gens. Ce que nous ont dit les pays africains, quand nous avons abordé la question du coton et des bananes, c'est que si nous voulons aboutir à un résultat juste, nous devons mettre leurs inquiétudes dans la balance. Mais la balance est bien chargée, et toute la question est de faire émerger une justice quand chacun cherche à faire peser ses intérêts.
C'est en substance ce que me disent les ministres de la région des Caraïbes : il n'est pas possible à leurs yeux d'avoir une OMC qui convienne à tous, aux petites économies insulaires comme aux grandes, au sud comme au nord. On pourrait ajouter : au sud comme au sud. L'idée même de " pays en voie de développement " a éclaté. Ce groupe jadis homogène est aujourd'hui déchiré par des intérêts divergents. Le principal souci des représentants du G-20, la nouvelle force du système multilatéral qui comprend notamment le Brésil, l'Inde et la Chine, est d'arriver à réduire les subventions agricoles qui ont des effets de distorsion des échanges. Leurs alliés sont les Etats-Unis, et non le Tchad.
La cérémonie d'ouverture a réuni 11 000 hommes et femmes, une masse impressionnante et très colorée. Juste au moment où je disais que l'OMC est une institution plutôt démocratique, un groupe d'ONG a commencé à scander des slogans anti-OMC, tandis qu'un groupe d'agriculteurs coréens se jetait à l'eau pour rallier le centre de conférences... De quoi lever les doutes sur caractère ouvert de l'Organisation ! Les difficultés de l'OMC ne tiennent pas à ce que trop peu de points de vue s'y fassent entendre, mais au contraire à ce que des intérêts si divers s'y expriment.
C'est, au sens propre, un lieu de contradictions. Les deux tiers des délégués qui se trouvent dans le bâtiment veulent une plus grande ouverture du commerce dans le secteur de l'agriculture, alors que les nombreux agriculteurs qui manifestent dans les rues et font les grands titres des journaux demandent exactement le contraire : une fermeture des marchés pour les produits agricoles.
Dans les couloirs du centre de conférence, on croise des représentants d'ONG comme Oxfam, porteurs d'un pétition géante en faveur du commerce équitable. 18 millions d'hommes et de femmes l'ont signée. J'ai rencontré des parlementaires, des syndicalistes, des hommes politiques et des représentants de la société civile - tout en m'arrangeant pour rencontrer autant de ministres et d'officiels que possible. La présence des parlementaires est essentielle, car ce sont les parlements nationaux qui décideront en dernier ressort de ratifier les accords signés par les négociateurs.
Le sommet de l'OMC est tout sauf une discussion secrète entre diplomates. C'est un lieu politique, où des forces s'éprouvent mais où les intérêts sont portés par des discours. La puissance se joue aussi dans la parole. Les différentes parties prenantes l'ont bien compris, qui viennent occuper ce forum. Les dirigeants de la Confédération internationale des syndicats libres me rappellent que le commerce doit créer des emplois et améliorer les conditions de vie : et c'est bien pour cela que nous sommes réunis. L'OMC n'est pas un club de banquiers ou de représentants du capital : la parole y appartient avant tout aux politiques, porteurs des intérêts de leurs peuples.
Et c'est bien aux politiques qu'il reviendra de faire avancer les négociations. Nous pouvons faire une percée à Hong Kong, à condition que les ministres soient prêts à prendre certains risques. Nous n'avons pas de baguette magique pour résoudre nos difficultés : il nous faut seulement de la témérité et du courage. Non pas seulement les qualités du négociateur, mais les vertus du politique.
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