Quel est le coût politique des réformes ? edit
La plupart des économistes en conviennent, la crise mondiale a mis en évidence la nécessité de réformer les économies, en particulier à la périphérie de l'Europe. Le problème est que ces réformes semblent politiquement coûteuses : de nombreux gouvernements craignent de payer des politiques impopulaires par une défaite électorale. Mais ils devraient s’aviser que c’est en temps de crise que le risque de sanction dans les urnes est le plus bas.
C’est l’une des questions classiques de l'économie politique : pourquoi les gouvernements échouent-ils souvent à adopter des réformes censées être nécessaires et améliorer le bien-être ? L'explication la plus commune a été bien résumée par Jean-Claude Juncker, Premier ministre du Luxembourg et président de l'Eurogroupe : « Nous savons tous ce qu'il faut faire, mais nous ne savons pas comment nous faire réélire une fois que nous l’aurons fait. »
Les économistes ont un avis un peu différent. Depuis les travaux de Peltzman au début des années 1992, jusqu’à une contribution d’Alesina et ses collègues, ils n'ont pas trouvé de preuve que les réformes affectent négativement les chances de réélection. Si les gouvernements ne sont pas sanctionnés par les urnes, pourquoi ont-ils autant de mal à s’engager dans les réformes ? Nous proposons un modèle qui concilie ces observations apparemment contradictoires et jette une lumière nouvelle sur les déterminants politiques des réformes.
Notre théorie s'appuie sur trois prémisses. Premièrement, les réformes ont des coûts actuels et des rendements futurs. Deuxièmement, le niveau d'effort et les ressources investis dans les réformes ne sont pas facilement vérifiables par les électeurs avant que les gains se matérialisent. Troisièmement, la capacité des hommes politiques est hétérogène et elle n’est pas directement observable, de sorte qu'elle doit être inférée sur la base de la performance.
Dans notre modèle, les élections ont pour enjeu de remplacer les mauvais politiques, mais cette sélection ex post fournit une estimation ex ante du « coût politique » des réformes. Les gouvernements sont tentés d'investir moins dans les réformes afin d'améliorer les performances courantes et augmenter ainsi leurs chances de rester au pouvoir. Pourtant, les électeurs rationnels ne peuvent pas être dupes, car ils prévoient correctement les stratégies du gouvernement. En conséquence, le résultat des élections reste indépendant des réformes. Néanmoins, le choix du sous-investissement est rendu possible par le fait que les hommes politiques peuvent s'écarter de leur stratégie d'équilibre, un écart qui passe inaperçu des électeurs.
Une implication intéressante et nouvelle de cette théorie est qu’une plus grande incertitude sur la réalisation des performances abaisse le coût politique des réformes. La raison en est simple. Si l'incertitude est élevée, par exemple parce que l'économie traverse une période de fortes turbulences, le politique va savoir que sa réélection dépendra plus de la chance que de son action. Pour cette raison, il sera moins tenté d'améliorer les performances courantes pour sécuriser son siège, et sera libre de prendre les mesures politiques appropriées. Par conséquent, peut-être étonnamment, une plus grande incertitude et une plus grande volatilité macroéconomique rendent les réformes politiquement plus viables.
Ce modèle est bien sûr théorique, mais il est compatible avec un certain nombre d'observations empiriques. Tout d'abord, on sait que la proximité des élections réduit la probabilité d'ajustements budgétaires et la libéralisation du commerce. Les gouvernements semblent donc bien craindre les conséquences électorales des réformes. Ensuite, concernant l'impact des variables économiques, un certain nombre d’études ont constaté que les crises facilitent l'adoption de réformes budgétaires et structurelles. Même si elles vont souvent de pair avec une volatilité économique élevée, les preuves directes de l'effet de cette volatilité sur les réformes font défaut jusqu’à présent.
Pour combler cette lacune, nous avons d’abord examiné la corrélation entre d’une part les épisodes d’ajustements budgétaires (définis comme une baisse du ratio déficit / PIB d'au moins 1,17 point), et d’autre part les mesures de la volatilité économique. Notre panel comprend 20 pays de l'OCDE, entre 1975 et 2000. Il fait apparaître que les réformes budgétaires ont été plus fréquentes dans les économies les plus volatiles. Dans notre document, nous complétons cette preuve en montrant qu'une plus grande volatilité de l'économie au cours des cinq années précédentes est associée à une probabilité plus élevée de mise en œuvre d’ajustements budgétaires. Le résultat reste valable lorsqu’on contrôle pour chaque pays les effets fixes, les crises économiques et fiscales, et les variables politiques ; il n'est pas sensible à la définition des coupes budgétaires. Les effets sont quantitativement importants. Même s’il faudrait travailler le sujet plus en profondeur, nos données semblent compatibles avec la prédiction que l'incertitude économique favorise les réformes.
Qu’en conclure ? Dans les démocraties modernes, les élections sont l'instrument fondamental de la responsabilité politique. Dans certaines circonstances, cependant, cet instrument peut induire un comportement myope, les décideurs politiques ayant tendance à éviter des ajustements coûteux. Est-ce à dire que les incitations électorales entament nécessairement la crédibilité des gouvernements à mettre en œuvre les réformes structurelles et fiscales nécessaires pour lutter contre la crise actuelle ? Nous croyons que non, pour deux raisons au moins.
Tout d'abord, des pressions extérieures émanant des marchés et de l'UE peuvent réellement aider les gouvernements à s'engager publiquement à adopter des mesures anticrise et à endosser la responsabilité politique de mesures impopulaires.
Deuxièmement, et c’est peut-être plus important encore, comme les temps de turbulences sur les marchés sont caractérisés par un degré élevé d'incertitude, notre théorie donne à penser qu'ils peuvent offrir une occasion unique de mettre en œuvre des réformes qui ne passeraient pas autrement.
Une version anglaise de cet article est publiée sur le site de notre partenaire VoxEU.
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