Ces banques qui n’assurent plus edit
Pourquoi si vite, si fort, si simultané ? Pourquoi cette propagation aux banques européennes ? Cette question intrigue tout un chacun à propos de la très sévère crise de confiance qui touche les banques occidentales. Si toutes ne meurent pas, toutes semblent atteintes, malades en effet, de s’être lancées dans un métier, l’assurance, qui présente des écueils spécifiques. Faute d’être parvenus à les maîtriser, les instruments d’intermédiation financière ont provoqué une panne des échanges sur le marché interbancaire, typique d’une défaillance de marché provoquée par une asymétrie d’information généralisée entre tous les acteurs du système.
La règle de base de l’assurance est que seuls les risques indépendants peuvent être assurés. Prenons le cas de l’assurance incendie pour les biens immobiliers. Ce risque peut être assuré parce que tous ne sont pas victimes d’incendie au même moment. Chaque année, un certain pourcentage à peu près constant de maisons brûle sur un territoire donné. Imaginons maintenant que toutes les maisons brûlent simultanément à la faveur d’un gigantesque incendie. Les assurances seraient incapables de faire face à ce séisme, le montant des remboursements excédant alors leurs capacités financières. Ce risque associé à un gigantesque incendie introduit ce que les économistes appellent une corrélation positive entre les risques individuels d’incendie. Le risque que votre maison brûle n’est plus indépendant du risque que subit celle de votre voisin. On parle alors de risque macroscopique qui ne peut être assuré.
Quel rapport avec la crise actuelle du système bancaire ? Les banques se sont toutes lancées dans l’aventure de la gestion d’un risque macroscopique : le risque de défaut de remboursement de prêts inhérent à un retournement du cycle économique. Le mécanisme est le suivant. Deux banques accordent des crédits à leurs clients respectifs. Ces clients peuvent ne pas être en mesure de rembourser. Pour se prémunir contre ce risque, les banques échangent leur risques de défaut : la banque A s’engage à rembourser le prêt si le client de la banque B fait défaut et vice-versa. Que, dans certaines opérations, les prêts soit eux-mêmes transférés ne change rien à l’affaire.
En période d’expansion, les risques de défaut des clients sont plus ou moins indépendants, car répartis entre les différents secteurs de l’économie. Que se passe-t-il en période de retournement de cycle immobilier, ou de récession généralisée ? Nombre de clients vont se trouver simultanément dans l’incapacité de rembourser. Alors qu’en régime normal, un ménage américain sur dix était incapable de rembourser son « subprime », cette proportion dépasse maintenant un quart. La hausse du risque de défaut sur les subprimes n’est que le symptôme avant-coureur de celle survenant sur les autres crédits, à la faveur de la propagation de la crise immobilière à toute l’économie américaine. Sait-on que le taux de défaillance sur les crédits hypothécaires sur la catégorie immédiatement moins risquée que les subprimes « alternative-A » a quadruplé en un an, pour atteindre 12 % ?
Cette augmentation du risque agrégé témoigne de la dépendance des risques économiques, le retournement du cycle agit comme un gigantesque incendie. La première règle de l’assurance a donc été violée, non seulement à l’échelle des Etats-Unis, mais en raison même de la mondialisation, à celle de l’Occident, le retournement se produisant maintenant également en Angleterre, en Espagne, en France, etc. Si le cycle immobilier était découplé entre l’Europe et les Etats-Unis, on pourrait à la rigueur imaginer que chaque côté de l’Atlantique assure l’autre. Force est de constater que l’on n’est pas dans une telle configuration.
Ce transfert de risque de crédit présente deux autres défauts. Il incite les banques à être moins regardante sur la solvabilité du client. A la limite elles peuvent s’en désintéresser, puisqu’elles ne subissent pas le risque in fine. Ce problème est bien connu sous le nom d’aléa moral. Comme si cela ne suffisait pas, une caractéristique propre des produits proposés sur le marché de l’intermédiation est à l’origine du troisième type de problème, une asymétrie d’information entre acheteur et le vendeur. La banque n’achète pas un crédit particulier mais un « mille-feuilles » de crédit. Dans un portefeuille de bons risques, ont été glissés des mauvais risques comme ceux associés aux subprimes, pour mieux les faire passer. Une telle pratique sape l’un des ressorts clés du marché : il peut exister un marché pour les bons produits, un autre pour les produits de mauvaise qualité, mais pas un marché pour des produits dont la qualité est inconnue.
On comprend dès lors la crise de confiance dans le marché interbancaire. Avec la crise des subprimes, les banques ont découvert les trois pièges des produits offerts par l’intermédiation, la corrélation des risques, l’aléa moral et le caractère incertain en termes de qualité. Les banques se trouvent brusquement confrontées à une hausse de ses besoins de liquidité, soit pour assumer ses engagements de se substituer aux clients défaillants, soit pour pallier la dévalorisation d’actifs. Pour s’être aventurée dans les méandres des dérivés de crédit, la banque a pris le risque de la banqueroute et elle le sait. Elle ne prête plus aux autres, car elle ignore leur degré d’exposition. Au problème de solvabilité s’ajoute alors celui de la liquidité, qui peut précipiter en quelques jours un établissement à la faillite.
Quelle peut être la meilleure solution en vue d’une sortie de crise ? Le point de vue peut différer des deux côtés de l’Atlantique. Les banques européennes ont davantage assuré les banques américaines que l’inverse, pour la simple raison que les États-Unis vivent à crédit sur le reste du monde et que leurs banques ont pris plus de risque. Si l’on raisonne en solde à un niveau macroéconomique, les banques européennes ont donc partiellement assuré les banques américaines contre le risque de défaut lié à une récession aux États-Unis ! C’est clairement un engagement qui ne peut être respecté pour les banques les plus exposées que si l’État acquitte la note ou si elles sont rachetées. En l’état actuel, seuls des établissements financiers des pays arabes ou asiatiques, seraient en mesure d’éponger ces dettes. Mais en raison de la vigueur du sentiment national à propos des banques, ce type de solution semble écarté pour l’instant.
Reste donc l’intervention de l’Etat et une augmentation des impôts dans un terme très rapproché. Que le contribuable belge et français paye pour des dépréciations d’actifs survenus aux Etats-Unis, comme cela s’est passé dans l’opération de renflouement de Dexia, laisse quand même songeur. Faut-il rappeler la crise des finances publiques, les menaces qui pèsent sur le financement des systèmes de santé et de retraite ? On peut quand même faire remarquer, sans craindre d’être taxé d’anti-américanisme, que l’expansion débridée des dérivés de crédit s’est répandue aux Etats-Unis en résistance à toute tentative de régulation et a été imposée au reste du monde. Que la bannière étoilée en paie aujourd’hui les pots cassés n’est que justice, au sens même de la morale du capitalisme. La garantie des dépôts est une chose, celle des dettes et des engagements des banques en particulier dans le hors-bilan, en est une autre, lorsque l’on sait ce qu’elles recouvrent. Les emprunts russes ont été payés par les actionnaires. Les emprunts américains seront-ils payés par les contribuables ? Cette question aurait mérité mieux qu’un débat à la sauvette.
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