Covid: l’impact macroéconomique des fermetures d’écoles edit
Une nouvelle mesure du capital humain, qui distingue les composantes de qualité et de quantité, permet d’estimer l’effet à long terme des fermetures d’écoles liées au Covid-19 sur la productivité globale par le biais du canal du capital humain. Les pertes de productivité s’accumulent au fil du temps et sont estimées, après 45 ans, entre 0,4% et 2,1%, pour respectivement douze semaines et deux ans de fermeture d’école. Ces résultats semblent être globalement cohérents avec les conclusions précédentes de la littérature économique. Deux effets opposés pourraient influencer ces estimations. L’enseignement en ligne réduirait les coûts économiques, tandis que les pertes d’apprentissage dans l’enseignement supérieur (non pris en compte ici) les augmenteraient. Dans les pays qui ont le plus fermé les écoles, des politiques visant à améliorer la qualité de l’éducation et de la formation des adultes seront nécessaires pour compenser ou, au moins, atténuer l’impact de la pandémie sur le capital humain.
Pertes d’apprentissages
La pandémie de COVID-19 a entraîné la fermeture partielle ou totale des écoles dans presque tous les pays du monde. En moyenne, dans les pays de l’OCDE, entre mars 2020 et octobre 2021 les bâtiments scolaires ont été totalement fermés pendant 13 semaines, et partiellement fermés pendant 24 autres semaines, ce qui, combiné, équivaut à environ une année scolaire complète.
Ces chiffres moyens cachent de grandes disparités entre les pays. Alors que les écoles en Suisse et en Islande ont été fermées moins de dix semaines, en Corée, au Chili et en Colombie les fermetures ont duré près d'un an et demi (Figure 1). On suppose ici par convention qu'une année scolaire complète compte 38 semaines.
Figure 1. Durée des fermetures d’écoles entre mars 2020 et octobre 2021 dans les pays de l’OCDE
Note : Les « fermetures complètes » (full closures, en orange sur le graphique) font référence à des situations où toutes les écoles ont été fermées dans tout le pays en raison de COVID-19. Les « fermetures partielles » (partial closures, en bleu) font référence aux fermetures d’écoles dans certaines régions ou pour certaines classes, ou avec un enseignement en personne réduit. Les fermetures totales sont définies comme la simple somme non pondérée de ces deux agrégats. Source : UNESCO.
La France, quatrième en partant de la gauche, fait partie des pays qui ont le moins fermé les écoles, en contraste avec ses voisins immédiats qui figurent au milieu du graphique (Allemagne, DEU, et Italie, ITA). Les écoles maternelles, primaires et secondaires y ont été fermées en deux vagues. D’abord, de mars à avril 2020, puis trois semaines en avril 2021. Pour maximiser leur effet sanitaire, les fermetures d’écoles ont chevauché les vacances scolaires. Au total les élèves français ont perdu sensiblement moins de semaines de cours que dans la plupart des pays de l’OCDE.
Plus de la moitié des pays de l’OCDE se sont appuyés sur l’apprentissage à distance en exploitant des plateformes en ligne, des paquets à emporter, la télévision et la radio, avec des résultats variables qui demandent encore à être évalués. On sait en revanche que les pertes d’apprentissage découlant de la fermeture d’une école peuvent être difficiles à rattraper, notamment si la fermeture a été très longue. Elles peuvent donc avoir un impact économique à long terme sur les élèves concernés, avec des conséquences macroéconomiques durables (voir les études citées en référence).
Dans les travaux dont nous rendons compte ici, nous exploitons une nouvelle mesure du capital humain, qui combine le nombre moyen d’années de scolarité (MYS, un indicateur de la quantité d’éducation) et les données de l’OCDE provenant du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA, un indicateur de représentant la qualité de l’éducation).
Notre méthodologie
Pour les lecteurs intéressés, voici quelques détails techniques sur notre méthodologie. La nouvelle mesure est une moyenne pondérée par cohorte des anciens scores PISA de la population en âge de travailler et des moyennes d’années de scolarité moyennes. Les pondérations des scores PISA et du nombre moyen d’années de scolarité sont estimées à partir de régressions qui tiennent compte de la façon dont les variables pondérées par la cohorte expliquent les scores du Programme d’évaluation internationale des compétences des adultes (PIACC) .
Sur la base de cette nouvelle mesure, l’effet de la pandémie peut être calculé séparément sur les scores PISA et sur le nombre moyen d’années de scolarité (MYS), et intégré à la mesure du stock de capital humain. Pour chaque cohorte touchée, les effets de la pandémie sur les scores aux tests MYS et PISA sont additionnés pour estimer l’effet global sur le capital humain. Ils sont calculés en utilisant les élasticités du MYS et du PISA par rapport au capital humain, estimées dans des travaux précédents (Égert et al., 2022). Une moyenne pondérée par la population de l’impact de chaque cohorte affectée est ensuite calculée pour fournir l’effet global sur le capital humain.
La nouvelle mesure du capital humain présente une corrélation robuste avec la productivité pour les pays de l’OCDE dans les régressions de panel chronologiques entre pays. Cela nous aide à quantifier les pertes macroéconomiques dues aux fermetures d’écoles, qui se reflètent dans les pertes de résultats PISA et d’années de scolarité moyennes.
Trois scénarios-types
À l’aide de ces estimations, nous avons envisagé trois scénarios.
Premier scénario, les fermetures d’écoles du printemps 2020 décidées dans de nombreux pays de l’OCDE, correspondant à peu près à un tiers d’année scolaire. Dans ce scénario, la fermeture se traduit par une baisse de 2,6 % du nombre moyen d’années de scolarité[1] et, en utilisant la règle décrite ci-dessus, par une baisse de 0,14 écart-type des résultats PISA[2], ce qui correspond à une baisse de 1,1 % des résultats PISA[3].
Deuxième scénario, une fermeture d’école d’un an, correspondant en gros à la moyenne des fermetures totales (complètes et partielles) observées dans une partie des pays de l’OCDE depuis le début de la pandémie et, selon une première évaluation, à la perte d’apprentissage des élèves les plus défavorisés aux États-Unis. Ce scénario se traduit par une baisse de 8,2 % du MYS et une baisse de 0,37 écart-type des scores PISA, ce qui correspond à une baisse de 2,9 % des scores PISA.
Troisième scénario, une fermeture d’école de deux ans, qui ne s’est produite que rarement et qui correspond en gros à la fermeture totale (complète et partielle) des écoles en Colombie, au Chili, en Corée et au Mexique depuis le début de la pandémie. Cela se traduit par une diminution de 16,5 % du MYS et une baisse de 5,6 % et de 0,72 écart-type des scores PISA.
Pour ces trois scénarios, nous avons estimé l’impact de la fermeture des écoles sur la productivité, par l’effet du capital humain. Les régressions multivariées de la productivité relient la productivité au capital humain en présence d’un certain nombre de variables de contrôle telles que l’intensité de l’innovation, la réglementation du marché des produits et l’ouverture commerciale. L’impact augmentera progressivement à mesure que les cohortes d’élèves touchées par la pandémie entreront dans la population active, pour atteindre son apogée en 2067. À cette date, l’impact de la fermeture des écoles sur la productivité sera de respectivement -0,4 %, -1,1 % et -2,1 % dans les premier, deuxième et troisième scénarios. L’impact se dissipera ensuite progressivement jusqu’à ce que la dernière cohorte impactée prenne sa retraite en 2083 (figure 2). C’est en 2067 que l’impact est le plus important car ce sera l’année où toutes les cohortes impactées seront dans la partie la plus âgée de la population active et où l’impact sur le capital humain sera le plus important.
Comparaison avec les estimations de la littérature existante
Les résultats empiriques de la littérature, sur la base d’une fermeture des écoles pendant une durée d’un an, suggèrent tous un impact non négligeable de la crise sur le niveau du PIB, avec des chiffres allant de -1,1% à -4,7% à l’horizon 2040-2050 (voir les études en référence).
Les chercheurs ont utilisé différentes méthodologies. Dom et ses collègues, en 2020, ont mis en place divers scénarios pour produire des calculs de coin de table. Viana Costa et ses collègues, en 2021, ont calculé les coûts économiques à l’aide de modèles de microsimulation. Les calculs de Hanushek et Woessmann, en 2020, ont utilisé une analyse de régression macro, qui lie le PIB par habitant aux résultats des tests des élèves dans un cadre de correction d’erreurs multi-pays. Nos résultats sont globalement cohérents avec une grande partie de la littérature, à l’exception des résultats de Hanushek et Woessmann qui concluent à un effet beaucoup plus important (-4,7 %). Ces résultats seraient équivalents, toutes choses égales par ailleurs, pour l’effet sur le PIB par habitant.
Figure 2. L’impact de la fermeture des écoles sur la productivité
Source : calcul des auteurs.
Quelles politiques d’atténuation?
Atténuer l’impact du COVID-19 sur le capital humain est un défi politique majeur car la plupart des réformes des politiques éducatives ont de longs délais de mise en œuvre, ce qui implique que celles qui viseront à atténuer l’effet de la pandémie ne pourront pas atteindre les cohortes d’élèves les plus âgés ayant subi les fermetures d’écoles.
Voici les mesures qui pourraient être mises en œuvre pour aider au rattrapage des générations touchées, en suivant ici les travaux de l’OCDE (2020), de l’OECD-Education International (2021), et de Molato-Gayares et ses collègues (2022).
1. Allonger la durée d’enseignement en réduisant temporairement les vacances scolaires ou en ajoutant des heures dans une journée d’école.
2. Réviser le programme scolaire pour se concentrer sur les compétences clés (cela implique sans doute une formation des enseignants).
3. Envisager l’utilisation de technologies numériques pour améliorer le diagnostic des lacunes d’apprentissage et faciliter des pratiques pédagogiques plus individualisées.
4. Diffuser des méthodes (collaboratives par exemple) denature à accroître l’efficacité des enseignants.
Pour les cohortes qui ont déjà quitté l’école, il est important de renforcer les programmes de formation pour jeunes adultes. Cependant, il est notoire qu’ils ne sont pas très rentables, et compenser les pertes d’apprentissage à des âges plus jeunes peut s’avérer très coûteux pour le budget du gouvernement.
Parmi d’autres mesures pourraient figurer l’extension et l’amélioration de la qualité de l’éducation préscolaire (école maternelle notamment), considérée par beaucoup de spécialistes comme le moyen le plus efficace et le plus économique, mais qui arriverait trop tard pour presque toutes les cohortes d’élèves touchées par la pandémie. Enfin, on pourrait envisager de mettre en œuvre des réformes de la politique d’éducation dont on a constaté, en temps normal, qu’elles avaient une corrélation positive avec les résultats des élèves en temps normal, et qui pourraient aussi aider à compenser certaines des pertes subies par les jeunes générations à la suite de la pandémie : parmi ces réformes, une responsabilisation et une autonomie accrues des écoles, une réduction des orientations trop précoces (telles qu’on les pratique en Allemagne par exemple), et une amélioration de la qualité et des qualifications des enseignants.
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Notes
[1]. Le pourcentage de perte de MYS est calculé en divisant la perte de scolarité exprimée en années scolaires par la MYS moyenne de l'ensemble de la population active. Par exemple, pour une perte de 0,32 année scolaire en supposant une MYS moyenne de douze ans pour l'ensemble de la population active, la perte de MYS pour cette cohorte est de 2,6 % (=0,32/12 x 100 %).
[2]. Pour douze semaines, la baisse du score PISA équivaut à 0,14 (12*0,012) écart-type ; pour un an, elle est de 0,37 (12*0,012+(38-12)*0,009) écart-type et pour deux ans, elle est de 0,72 (12*0,012+(76-12)*0,009) écart-type.
[3]. Perte en pourcentage dans PISA = (impact estimé * écart type PISA)/score PISA de base = (-0,14 * 36,1)/462.
Références
Dorn E, B. Hancock, J. Sarakatsannis and E. Viruleg (2020), “Covid-19 and student learning in the United States: The hurt could last a lifetime”, McKinsey.
Égert, B., C.de la Maisonneuve and D. Turner (2022), “A new macroeconomic measure of human capital exploiting PISA and PIAAC: Linking education policies to productivity”, OECD Economics Department Working Papers, No. 1709.
Hanushek, E. and L. Woessmann (2020), "The economic impacts of learning losses", OECD Education Working Papers, No. 225, OECD Publishing, Paris.
Ilzetzki, E. (2020), “The economic cost of UK school closures”, VoxEU blogpost, 5 August.
Kuhn, M., M. Tertilt and N. Fuchs-Schuendeln (2020), “The short-run macro implications of school and childcare closures”, VoxEU blogpost, 30 May.
Molato-Gayares R., A. Park, D.A Raitzer, D. Suryadarma , M. Thomas and P. Vandenberg (2022), “How to Recover Learning Losses from COVID-19 School Closures in Asia and the Pacific”, ADB Briefs No 217, July 2022.
OECD (2020), Lessons for Education from COVID-19: A Policy Maker’s Handbook for More Resilient Systems, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/0a530888-en.
OECD (2021), The state of school education: One year into the COVID pandemic, OECD publishing, Paris.
OECD-Education International (2021), Principles for an Effective and Equitable Educational Recovery, OECD Publishing, Paris
Popova, I., D. Krueger, A. Ludwig and N. Fuchs-Schuendeln (2020), “The long-term effects of school closures”, VoxEU blogpost, 12 November.
Viana Costa D., E. Maddison and Y. Wu (2021),”COVID-19 Learning Loss: Long-run Macroeconomic Effects Update”, University of Pennsylvania.