Sarkozy au secours des héritiers edit
L'impôt sur les successions n'est pas confiscatoire : 90 % des conjoints et 80 % des enfants ne paient aucun droit sur leur part, les autres sont en moyenne très peu taxés. Pourquoi serait-il donc si urgent de le supprimer ?
« Il faut que les Français en aient pour leur argent » : ce nouveau slogan de Nicolas Sarkozy est rassembleur en diable : qui souhaite « en avoir pour moins que son argent » ? L’argent étant malheureusement une ressource rare, il va bien falloir définir des priorités avant de le « rendre aux Français », suivant l’expression consacrée. M. Sarkozy en a annoncé deux, que je me suis permis d’italiciser dans son discours de Poitiers :
« Je souhaite que l’on donne à chacun la liberté de choisir l’école de ses enfants, son temps de travail, l’âge où il cesse de travailler, la liberté de transmettre le fruit de son travail à ses enfants sans droits de succession, de disposer comme il l’entend d’au moins la moitié de son revenu, de prendre sa retraite quand il le veut, et même de travailler autant qu’il le veut après avoir pris sa retraite. »
La seconde proposition est ambitieuse, dans la mesure où les dépenses publiques représentent (aujourd’hui) presque la moitié du revenu national. Mais c’est la première qui m’intéresse aujourd’hui. Je ne sais pas si M. Sarkozy veut vraiment distinguer les successions portant sur « le fruit du travail » des autres ; et sa profession de foi sur les vertus de la « mobilité du capital, du patrimoine » peut aussi bien être invoquée par les partisans d’une redistribution des richesses. Mais plutôt que de pinailler sur les termes ou de revenir sur les arguments généraux, dont j’ai déjà traité ici, je voudrais présenter quelques chiffres.
Le sénateur Marini (de l’UMP, justement) a rendu en 2003 un rapport sur « les mutations à titre gratuit » – soit les successions et les donations. Il s’appuyait sur une étude de la Direction générale des impôts portant sur l’année 2000. A l’époque, la DGI avait dénombré 360 000 successions déclarées. Les deux-tiers des décès donnent désormais lieu à une déclaration, soit deux fois plus qu’il y a trente ans, notamment parce que les gouvernements successifs n’ont pas indexé les barèmes. Cela dit, la plupart de ces successions sont d’un faible montant : un quart représentent moins de 30 000 euros, la moitié moins de 62 000, et les trois quarts moins de 122 000. Chacun des 1,1 million d’héritiers n’a touché que 35 000 euros en moyenne.
Combien paient-ils de droits ? Pour simplifier, je me limiterai aux enfants et au conjoint survivant, qui représentent près de 85% des héritiers et dont le régime fiscal n’est pas très différent. Le calcul est facile : comme chacune de ces successions bénéficie d’un abattement global de 50 000 euros et d’un abattement de 50 000 euros par héritier, la plupart d’entre elles sont libres d’impôt. En fait, 90% des conjoints qui héritent, et 80% des enfants, ne paient aucun droit sur leur part. Ceux qui restent redevables au fisc ne lui doivent que 20% de la part perçue au-delà des abattements et jusqu’à 520 000 euros ; et le taux maximal n’est que de 40%. Comme l’écrit le sénateur Marini : « le barème, qui comporte sept tranches aux dimensions dénuées de signification, est finalement peu progressif […] En pratique, la majorité des mutations à titre gratuit taxables sont imposées au taux de 20 % ».
Il faut rajouter à ces chiffres l’usage étendu que les parents aisés ou riches font des donations entre vifs. Leur nombre a explosé depuis vingt ans. Il y en a eu 510 000 en 2000, nous dit la DGI, et probablement plus aujourd’hui que chaque parent peut donner à chacun de ses enfants 50 000 euros tous les six ans en quasi-franchise d’impôt – seules les donations effectuées moins de six ans avant le décès sont réintégrées dans la succession pour le calcul des droits.
Tout cela ne paraît vraiment pas confiscatoire, ou de nature à faire fuir les riches. Dernier argument, très utilisé aux Etats-Unis : la death tax détruirait des emplois en condamnant les petites entreprises au décès de leur fondateur. Si l’on en croit le rapport Marini (il va finir par m’en vouloir !), il n’est pourtant pas bien difficile de prendre ses précautions : un parent peut léguer son entreprise valant 15 millions d’euros (donc pas si petite) au prix de droits moyens de 15%.
Depuis plusieurs années, M. Sarkozy joue sur du velours en flattant le vieil atavisme patrimonial des Français – la composition sociologique du corps militant de l’UMP y est sans doute aussi pour beaucoup. Mais je suis surpris qu’il soit allé jusqu’à faire d’une réduction des droits de succession une priorité de son action (future et éventuelle). Il y a vingt-cinq ans, « faire payer les riches » était le slogan attrape-tout plus ou moins assumé de la gauche. Ces temps sont heureusement passés ; prenons garde de ne pas tomber dans les mirages de la supply side economics.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)