Ces grandes astuces qui font provisoirement reculer le chômage edit
Le taux de chômage poursuit sa décrue et à en croire le ministre de l'Emploi, on pourrait passer sous la barre des 9% avant même la fin de l'année 2006 grâce à la politique du gouvernement. Est-ce vrai ? En partie, oui, mais en partie seulement car seules des politiques structurelles pourront durablement faire baisser le chômage en France.
La France comptait environ 2,5 millions de chômeurs en avril 2006 (au sens du BIT), soit 9,3% de la population active. Pour que le taux de chômage diminue jusqu’à, disons, 8,7%, il faudrait à population active constante, créer 164 000 emplois. C’est à la portée de notre économie, puisque d’après l’Insee les créations nettes d’emploi en 2006 se monteraient à 200 000. A condition toutefois que la population active reste aussi atone qu’en 2005, voire diminue du fait des départs à la retraite. En effet, plus de population active signifie, à court terme, une concurrence accrue dans le recherche d’emploi et donc moins de sorties du chômage. Inversement, moins de population active augmente les chances de sortir du chômage. Si la population active n’était pas aussi atone, le chômage progresserait à n’en pas douter. Et si le gouvernement n’était pas intervenu, il aurait probablement baissé tout de même, mais moins que ce qui est actuellement observé.
En effet, si ces sorties du chômage sont effectivement permises par des créations d’emplois, c’est parce que notre économie, dont la croissance est bien fragile (1,2% en 2005, 2% avec optimisme en 2006), est incitée à créer plus d’emplois qu’elle ne l’aurait fait spontanément, par des politiques de court terme menées par le gouvernement. Ces politiques sont au nombre de deux principalement : la subvention massive des créations d’emploi et le Contrat nouvelle embauche. Malheureusement aucune ne permettra seule de ramener le taux de chômage à 5%, comme c’est le cas au Royaume-Uni, à moins de réformes structurelles de grande ampleur associées au retour d’une croissance soutenue.
Parlons d’abord des emplois aidés. L’épisode 1997-2002 a pourtant montré combien ces créations d’emplois, notamment dans le secteur public, sont fragiles et ne règlent en rien le problème du chômage à moyen terme. Après être passé sous la barre de 9% en 2001, le taux de chômage est repassé au-dessus de 10% en 2004. Ces mesures relèvent en effet d’une gestion conjoncturelle du problème du chômage, certes utile afin de maintenir le moral des ménages ou soutenir la consommation au moment de ralentissements, mais qui n’aide pas notre économie à créer plus d’emplois durables lorsque la croissance est au rendez-vous, bien au contraire. Après avoir diminué fortement jusqu’en 2005, du fait de l’éradication annoncée de cette politique (fin des emplois jeunes notamment), ils ont été remis au goût du jour avec le Plan de cohésion sociale de M. Borloo début 2005.
Ce plan a notamment créé des « Contrats d’avenir » dans le secteur non marchand pour les bénéficiaires des minima sociaux, et des nouveaux « Contrats initiative emploi » (CIE) subventionnés dans le secteur marchand ainsi des « Contrats d’accompagnent vers l’emploi » (CAE) dans le secteur non marchand, le tout pour les publics en difficulté, notamment les chômeurs de longue durée. En 2005 la montée en charge de ces nouveaux dispositifs ne faisait que compenser la disparition des anciens. Mais depuis fin 2005, ils montent en puissance. Ainsi, sur les quatre premiers mois de 2006, les emplois aidés dans le secteur marchand ont globalement progressé d’environ 42 000. Et les contrats d’avenir et CAE commence à compenser pleinement la disparition des emplois jeunes dans le secteur non marchand où les emplois aidés progressent globalement de 6700 sur la même période. Bref ce sont presque 50 000 emplois créés sur 4 mois. Autant dire que sur l’année, la majorité sinon l’essentiel des 200 000 emplois supplémentaires prévus par l’Insee seront des emplois aidés.
Est-ce un problème ? A moyen terme oui. En effet, d’une part les emplois créés dans le secteur non marchand, comme le CAE ou le contrat d’avenir du plan de cohésion sociale, doivent être financés par une charge fiscale ou des déficits accrus, ce qui pèse sur les créations d’emplois dans le secteur privé (c’est l’effet d’éviction) et, d’autre part, ces emplois sont souvent stigmatisants pour les bénéficiaires, ce qui ne les aide pas à retrouver un emploi dans le privé par la suite. Pour ce qui est des grands programmes de subvention aux créations d’emploi dans le secteur marchand, comme le CIE du Plan de cohésion sociale, ils ont généralement des effets nets limités, car beaucoup d’emplois qui en bénéficient auraient été créés de toute manière (effet d’aubaine) et ces emplois ont tendance à se substituer à des emplois non subventionnés dans des entreprises qui n’ont pas accès aux dispositifs (effet de substitution). En outre, les emplois subsistent rarement lorsque la subvention s’arrête. Mais en attendant, ils sont bien là. Bref, pour faire baisser le chômage plus rapidement M. Borloo applique la bonne vieille recette déjà mise en œuvre par le gouvernement Jospin, à coût de milliards d’euros. Ces mesures coûtent entre 8 et 10 milliards d’euro.
Enfin, concernant le CNE c’est à peu près la même histoire qui se joue, mais cette fois-ci cela ne coûte rien aux finances publiques… Rappelons les faits : 440 000 embauches sur 8 mois, de quoi faire baisser le chômage sous la barre de 8% ! Malheureusement une embauche en CNE ne correspond pas à une création d’emploi supplémentaire en net, puisque ces contrats se substituent pour une grande partie aux CDD et aux CDI. C’est ce que confirme l’étude publiée récemment par la Dares qui a interrogé des chefs d’entreprise concernés par cette mesure. Dans 70% des cas, l’embauche aurait eu lieu sur un autre type de contrat si le CNE n’avait pas existé. Mais restent les 30%, soit environ 130 000 emplois : d’après l’enquête environ 40 000 seraient de « vraies » créations nettes d’emplois, le reste correspondant à des embauches anticipées qui auraient eu lieu plus tard de toute façon. Il faut rester prudent avec ce type de données, car les réponses dépendent fortement du climat ambiant et de la performance des recrues au moment de l’enquête. Mais cela indique tout de même que le CNE, comme les emplois aidés, est une mesure de nature à booster les créations d’emplois à court terme, même si l’effet à moyen et long terme peut s’avérer très décevant.
L’explication est simple. Le supplément de créations d’emplois dû à une anticipation de l’embauche est transitoire : ces emplois ne donneront lieu à une hausse de l’emploi net que pour la durée de la période d’anticipation si, en effet, ils avaient pas eu lieu de toute façon plus tard, et si leur durée de vie moyenne n’est pas raccourcie par la flexibilité qu’offre le CNE. De combien de temps est cette anticipation ? On ne sait pas vraiment mais quelques mois peuvent suffire à créer un surcroît non durable d’emplois. Ensuite, les 40 000 postes qui correspondraient à des créations nettes d’emplois ne sont pas pour autant tous pérennes. Si l’étude indique que 70% des personnes embauchées en CNE étaient toujours en emploi six mois après, il est certain que ce taux va diminuer avec le temps. Au terme des deux ans d’ancienneté, date couperet à partir de laquelle l’emploi doit retomber dans un régime fortement protecteur, les destructions d’emplois vont augmenter. Mais cela, nous ne le constaterons pas vraiment avant août 2007… L’effet net pourrait bien alors s’approcher à moyen terme de l’ordre de 70 000.
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